Faut-il s’attendre à un « survote » en faveur de Marine Le Pen dans les zones périurbaines ? Selon l’institut de sondages Ifop, cité le 28 février par lemonde.fr, le vote FN pourrait connaître un pic dans sa géographie électorale à environ 40 km des centres-villes.
Le phénomène n’est pas nouveau. Il a débuté à la présidentielle de 1995, à l’étonnement d’ailleurs de nombreux observateurs, surpris par la percée de Jean-Marie Le Pen dans des communes rurales.
Il n’est pas non plus totalement inattendu. Les communes périurbaines sont souvent peuplées de classes moyennes, attirées par un foncier plus abordable qu’en centre-ville. Mais les emplois demeurant en zone urbaine et en première couronne, ces périurbains sont davantage dépendants des transports, et donc leur pouvoir d’achat des fluctuations des cours de l’énergie. Une fragilité qui s’accroît pour ceux qui doivent se chauffer au fuel en maison individuelle…
Bref, pour certains, le rêve d’acheter à bon prix à la campagne peut se transformer en cauchemar, mêlant « éloignement choisi et relégation subie », analyse Michel Bussi, spécialiste de la carte électorale française à l’université de Rouen, cité par lemonde.fr. Avec, en résultat des courses, un vote de contestation contre le gouvernement sortant, qui profitera à François Hollande, mais plus largement de protestation, qui cette fois pourrait aller vers Marine Le Pen.
Dans le Rhône suffit-il pour le savoir de tracer une couronne brune sur une carte, à l’aide d’un compas, à 40 km de la colline de Fourvière ?
Jean-Marie Le Pen a obtenu dans le département en 2007 9,1 % des suffrages exprimés, pour un résultat national de 10,4 %. A Lyon, il pointe à 6,5 %. La préfecture vote habituellement moins Le Pen que le reste du département : 16 % contre 19,1 % en 1995, 15,1 % contre 19,3 % en 2002.
Sur la carte ci-dessus, on trouve les résultats du FN en 2007 à l’échelon communal, Jean-Marie Le Pen subit un véritable trou d’air à Lyon et dans la petite couronne. Il se requinque plus rapidement dans une banlieue est et sud davantage populaire et ouvrière qu’à l’Ouest. Pour trouver des scores FN supérieures à 14 %, il faut aller jusqu’à la pointe du canton de Vaugneray, à l’Ouest, et aux portes de celui d’Anse, au Nord.
Dans cette dernière direction, la barre des 40 kilomètres au-delà de Lyon, se situe au nord de Villefranche-sur-Saône. C’est dans ce secteur que se trouvent le plus grand nombre de communes ayant le plus voté FN.
Cette géographie électorale coïncide de façon assez convaincante avec la carte ci-dessus de la typologie urbain-rural, dressée en 2010 par l’Insee. Cette forte concentration de votes FN, au Nord du département, débute à peu près au même endroit que la couronne périurbaine du Grand Lyon. Elle se poursuit bien au-delà, jusque dans les communes encore très rurales composant le canton de Monsols. A noter que l’influence du FN décroît dans la pointe nord-est (est des cantons de Monsols et Beaujeu), davantage polarisée par l’agglomération de Mâcon.
La situation sur le flanc ouest s’avère tout aussi intéressante. Autour de l’agglomération de Tarare, qui constitue un pôle secondaire distinct du Grand Lyon, le FN oscille entre 8 et 14 % des exprimés, quelques communes dépassant cette barre. Mais, au Nord d’Amplepuis, dans ce petit pôle du grand périurbain, situé entre le Grand Lyon et l’agglomération de Roanne, les suffrages en faveur du FN repartent à la hausse.
Cela valide-t-il pour autant le diagnostic de l’Ifop ? La comparaison avec la carte de l’Insee révèle des fractures spatiales, aussi bien d’ailleurs au plan des stocks (situation géographique) que des flux (transports). Les zones les plus éloignées du pôle urbain principal, ou écartelées entre deux agglomérations, semblent davantage attirées par le vote FN. Ce dernier a tendance à s’atténuer dans les secteurs davantage rééquilibrés, en termes d’emplois et de services notamment, par une agglomération secondaire.
Cependant, l’éloignement, le coût des transports et le manque de services publics ou privés (zones commerciales) n’expliquent pas tout. La carte du premier tour de la présidentielle de 2007 reflète des tendances antérieures à la périurbanisation des communes les plus éloignées de Lyon.
Tout d’abord, le FN conserve de beaux restes dans la banlieue la plus proche, notamment l’Est du canton de Meyzieu et le Sud de celui de Givors, à l’entrée du couloir de la chimie. Décines-Charpieu, Givors, Meyzieu, Vaulx-en-Velin, où Jean-Marie Le Pen dépassait les 20 % en 1995 ont vu le FN décliner, la percée s’est un peu éloignée du centre de l’agglomération au fil des mutations sociologiques et de la hausse du foncier, mais il subsiste comme un bruit de fond dans cette banlieue est. A l’ouest, où une ville comme Tassin-la-Demi-Lune se situait en 1995 sous la moyenne départementale du FN, le vote Le Pen demeure bas.
Le trou d’air du FN, évoqué plus haut, est donc excentré vers l’ouest, ce qui n’est pas du tout le cas de l’agglomération lyonnaise, qui s’étale de manière assez homogène autour de la capitale des Gaules, comme le montre la carte de l’Insee.
De plus, les scores importants du FN dans le Beaujolais et le Tararois ne constituent pas un phénomène récent. En 1995, Jean-Marie Le Pen atteignait, en tête, 25 % à Villefranche-sur-Saône et 19,8 % à Tarare, en troisième position. La géographie électorale du FN s’est cependant ruralisée, à l’instar de ce qui se passe au sud du département, puisqu’en 2007, il n’était plus en tête à Villefranche, à un niveau inférieur des campagnes situées plus au nord.
L’analyse ne serait pas complète sans les cartes des votes Sarkozy (ci-dessus) et Royal (ci-dessous) au premier tour de 2007.
Le premier, concurrencé par François Bayrou dans les zones les plus rurales, dépasse surtout les 40 % dans le Mont d’Or, mais également en banlieue Est. La géographie de la seconde s’avère définitivement urbaine, dans les communes les plus peuplées et certains chefs-lieux de canton intermédiaires.
Si l’étude de l’Ifop se confirme le 22 avril, les votes Hollande devraient se distribuer à peu près de la même manière que ceux de Ségolène Royal. Ceux pour Marine Le Pen pourraient s’éloigner un peu plus des centres-villes pour s’enraciner davantage dans les communes plus lointaines. Les votes Sarkozy seraient situés un peu plus loin dans la couronne périurbaine mais décliner davantage dans les communes les plus rurales (Tararois, canton de Monsols).
Tout ceci, bien entendu, sans tenir compte d’une infinité d’autres facteurs, et pas seulement les particularismes et permanences à l’échelon local…
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