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Tuerie place des Géants : le procès d’un quartier de Grenoble

Ils sont dans le box des accusés depuis une semaine, au cœur de débats houleux, de joutes rocambolesques, de témoignages timides… Hamdi et Oualid sont jugés pour meurtres et tentatives de meurtres en bande organisée, commis dans le contexte de règlements de compte qui ont ensanglanté Grenoble durant plusieurs années avec, en trame de fond, un trafic de drogue international. Les habitants, témoins mais aussi parties impliquées, ont tous tenté depuis cinq jours d’effacer cette image de « Chicago-sur-Isère » qui colle depuis à la peau de leur quartier.

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Crédit photo : Maxppp

 

Des détonations dans le babyphone

Cinq jours d’audience et une succession de témoins qui défilent à la barre, pour tenter de comprendre pourquoi deux hommes ont été tués place des Géants, à Grenoble, le 31 octobre 2007. Règlements de compte entre deux gangs adverses, se disputant le marché de la drogue ? C’est ce qui ressort du dossier, et ce qui est encore apparu au cours des audiences. D’un côté, le clan de l’Alma, de l’autre celui de la place des Géants, à Villeneuve. Dès le premier jour d’audience, Hamdi a avoué le meurtre, déclarant avoir tiré sur une seule des victimes, pour venger son frère, Ali, tué dans un guet-apens organisé dans la forêt de Champagnier, quelques mois auparavant.

C’est dans un contexte de fusillades et d’assassinats commandités (huit entre 2003 et 2008, faisant onze morts), que la tuerie de la place des Géants s’inscrit. Peignant la vie quotidienne de quartiers dit « sensibles » de Grenoble. « C’était Halloween, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait de pétards ». Florence, 35 ans, est entrée dans la salle d’audience, mal à l’aise. Enseignante, elle habite un duplex donnant sur la place. Elle a déclaré ne pas avoir l’habitude d’y traîner.

L’enquête de police a souvent donné du « rien vu, rien entendu ». Certains ont malgré tout lâché quelques informations et ont donc été appelés à témoigner au procès. Même scénario à chaque fois : après avoir entendu des détonations, ils se sont précipités à leurs fenêtres, observant alors deux personnes courant à travers la place des Géants, vêtues de blousons sombres portant l’inscription « police ». Florence a entendu le bruit d’« explosions », amplifié par le babyphone dans la chambre de son nouveau-né. Toujours dans l’immeuble du 10, place des Géants, une dame de 60 ans a elle aussi entendu les bruits dans le même objet de puériculture trônant près du lit de son petit-fils.

 

Dire la vérité, sans haine mais pas sans crainte

Pour Guillaume, autre habitant du quartier, pas grand-chose de plus. Si ce n’est une réponse assez parlante faite au traditionnel serment des témoins : « Vous jurez de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dîtes je le jure ». Le jeune homme de 28 ans, la main à peine levée au-dessus de l’épaule, a lâché : « Sans crainte, j’vous dis pas, mais oui je vais dire ce que je sais ». « Dans ces affaires-là, on sait jamais », a-t-il ajouté.

L’ambiance est lourde. Tous sont réticents à répondre, même aux questions les plus anodines : les horaires de fermeture des commerces du coin, les distances entre le parking sous-terrain et la place des Géants elle-même. L’un d’eux finit par lâcher, presque agacé :

« On est 12 000 personnes à vivre là, à Villeneuve. Quand il se passe quelque chose, les médias sont là. Mais en tant qu’habitant on ne ressent pas la même chose que ce qu’on lit dans les journaux. Quand on y vit, on y vit bien. »

« La place des Géants est un quartier sensible ? Qu’est-ce que cela signifie, sensible ? » Cette question a été posée par le président à l’un des policiers en charge de l’enquête, qui a laconiquement répondu :

« Ce n’est pas moi qui définis les zones, c’est le ministère de l’Intérieur. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte, et il décide de qualifier tel ou tel quartier de « sensible ». »

La place des Géants est estampillée de cette mention.

 

La hache de guerre déterrée

« C’est tout le quartier de la Villeneuve qui a mauvaise réputation, » a résumé un témoin, à la barre. Les avocats des accusés ont tenté de faire dire aux témoins que la place des Géants était « mal fréquentée ». Objectif visé : faire des deux victimes, Frédéric et Christophe Morival, mais aussi des trois personnes blessées, des gangsters qui encourraient le risque d’actes de vengeance à leur encontre.

Richard Morival, frère et cousin des deux victimes, a échappé aux balles ce soir sur la place des Géants. Avec un certain panache, il a défendu le nom de sa famille, celui de son frère, Christophe, décrit comme le « caïd ». « Il vivait de son camion de pizza », assure-t-il. Jamais il n’a cillé, effaçant le décorum d’une mafia de quartier :

« Aujourd’hui on voudrait enterrer la hache de guerre. L’accusé dit qu’il est un homme de paix. Mais pour qu’il y ait la paix, encore faut-il qu’il y ait eu la guerre. Si on était une mafia, on n’aurait pas été tranquilles place des Géants. On n’a pas de sang sur les mains, même si ça vous arrangerait. »

Vendredi soir, l’audience s’est d’ailleurs achevée sur une rixe verbale entre les parties civiles Morival et la famille Khadraoui, juste séparées par le passage entre les rangées de bancs. Chacun reprochant à l’autre de « l’ouvrir trop grand », d’être un « dealer » ou un « assassin ». Les hommes du GIPN, cagoulés et armés, présents dans la salle d’audience, ont fait barrage, devenant pour l’occasion des surveillants de cour d’école. Les menaces ont fusé, puis se sont éteintes.

 

Oualid, un accusé mis sur la touche

Tandis que Hamdi Khadraoui a avoué dès le premier jour, demandant la clémence des jurés, expliquant son geste par le désir de venger son frère Ali, tué lors d’un guet-apens organisé à Champagnier quelques mois auparavant, Oualid Mokhrane n’a cessé de clamer son innocence. Il jure depuis son arrestation ne pas avoir participé à cette fusillade.

Il a pourtant été l’une des victimes, blessé lors du guet-apens de Champagnier. Contre lui, peu de preuves. Son avocat plaidera d’ailleurs la relaxe. L’enjeu est de taille et, pourtant, il est resté très en marge des débats, qui se sont focalisés sur les personnalités au sein de la famille Morival, la tentative de description d’une hiérarchie familiale, dont le leader aurait donc trouvé la mort place des Géants.
Les cinq premières journées d’audience se sont ainsi cristallisées autour de la relation entre les familles Khadraoui et Morival. Laissant de côté Oualid Mokhrane qui, pourtant, constitue le véritable enjeu quant à la vérité des faits et, finalement, à la peine encourue.

 

« La vengeance d’une femme ? »

Toute la semaine, la question est restée en suspens : Angelica va-t-elle venir témoigner ? Cette femme aujourd’hui âgée de 41 ans est dans l’affaire de la place des Géants un témoin-clef. Dans une déposition faite auprès des enquêteurs, elle affirme que Hamdi lui a stipulé la présence de Oualid au sein du commando, le soir du 31 octobre.

Après avoir laissé planer le doute sur sa présence, Angelica s’est finalement déplacée vendredi après-midi, précisant en avant-propos qu’elle souffrait de dépression et qu’elle souhaitait enfin retrouver la tranquillité. Car dans cette affaire, la jeune femme a joué un rôle prépondérant. Présentée comme la maîtresse d’Ali Khamdraoui, victime de Champagnier, elle est restée proche de son frère, Hamdi, au point de lui rendre visite en détention. Pour lui avoir fait passer un courrier et une puce de téléphone, impliquée dans un projet d’évasion avorté, la jeune femme a écopé de six mois de prison ferme. Une peine particulièrement sévère. « Pour ma sécurité, on m’a dit », a-t-elle lancé ce vendredi après-midi, au cours de son témoignage, évoquant la séparation douloureuse d’avec ses enfants.

Angelica n’a pas caché son mépris pour Oualid, qu’elle juge inconséquent, qu’elle « n’aime pas ». Angelica est restée stoïque derrière la barre : « Oui, je confirme, Hamdi m’a bien dit que Oualid était avec lui. » Ses parloirs ont été sonorisés pour les besoins de l’enquête, et c’est au cours d’une de ces entrevues que Hamdi aurait lâché le nom de Oualid. Mais là encore, difficile de s’appuyer sur le rapport d’enquête : les enregistrements n’auraient pas fonctionné au moment de l’aveu. Angelica a parlé de cet échange à la police qui n’a jamais eu en sa possession de preuve matérielle.

La phrase est pourtant tombée comme un couperet, alors que juste avant elle, la femme de Hamdi, Chafika, n’a pas flanché derrière la barre, jurant ne pas savoir si Oualid était ou non avec son mari le soir du 31 octobre 2007. Angelica a assuré ne subir aucune pression, ni de la famille Morival, ni des policiers. Mais les deux accusés ont rejeté en bloc son témoignage. Hamdi restera silencieux sur l’identité des personnes qui l’accompagnaient.

« Pour vous, il s’agit de la vengeance d’une femme ? », a demandé le président à Oualid. Lequel n’a cessé de marteler :

« Les deux seules écoutes qui sont importantes, qui disent que j’ai participé, elles n’ont pas marché ! C’est de la folie ! Une, encore, je veux bien, mais deux ! Elle ment, je ne sais pas pourquoi. C’est un cauchemar que je vis, c’est un cauchemar. »
En quittant le tribunal, Angelica a demandé : « C’est bon, on va me laisser tranquille maintenant ? »

Le verdict sera rendu à la fin de semaine.


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