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Procès : faut-il sauver le soldat Manning ?

Plus d’un an et demi après son arrestation, Bradley Manning sera mis en accusation ce 23 février à Fort Meade, dans le Maryland, avant son procès en cour martiale. Le jeune militaire, qui a eu 24 ans en décembre dernier en détention, est accusé, entre autres, de collusion avec l’ennemi. L’affaire Manning réunit des enjeux tels que la liberté d’expression, le secret militaire, la diplomatie mondiale, la paix au Moyen-Orient. Pas moins. Le tout dans le cadre très contemporain de Wikileaks et sur fond d’homophobie dans l’armée.

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L’histoire de Bradley Manning est avant tout celle d’un jeune garçon un peu paumé qui, balloté entre une vie familiale chaotique, des petits boulots miteux et une sexualité mal assumée, finit par échouer dans l’armée américaine à dix-neuf ans.

Pendant les deux ans qu’il passe à parfaire sa formation d’analyste, le jeune homme s’affirme. Mais plus il assume son homosexualité, plus la loi du « don’t ask don’t tell », toujours en vigueur à l’époque, devient son épée de Damoclès et le harcèlement dont il est victime l’affecte profondément. En octobre 2009, il est envoyé en Irak et son mal être augmente. Isolé, il supporte mal les conditions du terrain et l’oppression de la hiérarchie. Son travail d’analyste lui donne libre accès à de nombreux documents militaires et certaines de ses trouvailles le révoltent. En novembre 2009, soit un mois après son installation en Irak, il contacte Julian Assange, fondateur du site Wikileaks, et lui livre plusieurs centaines de milliers de documents confidentiels, dont une vidéo d’un raid aérien à Bagdad daté du 12 juillet 2007, sur laquelle des soldats mitraillent des civils depuis un hélicoptère.

À partir de février 2010, Julian Assange distille les documents confiés par Bradley Manning sur Wikileaks, déchaînant une vague de scandales. Diffusée en avril 2010, la vidéo de la bavure militaire donne à voir au monde entier un aperçu des horreurs ordinaires de la guerre. Le gouvernement américain se met alors en chasse pour débusquer la taupe.

Pendant ce temps, les conditions de vie de Bradley Manning en Irak ne se sont pas améliorées. Le 7 mai 2010, il se bat avec une collègue analyste et il est rétrogradé. De plus en plus isolé, il trouve dans internet son seul refuge. Le 20 mai, il entre en contact avec Adrian Lamo, un pirate informatique connu dans le milieu des hackers. Profondément déprimé, il se confie sur l’échec de sa vie familiale, professionnelle et sentimentale. Le jeune homme va même jusqu’à raconter de quelle manière il a procédé au plus grand pillage de données de l’histoire de l’armée américaine, tout en écoutant des chansons de Lady Gaga. Il a demande aussi à Adrian Lamo :

«Si tu avais libre accès à des archives classées pendant une longue période, que tu y trouvais des choses incroyables, horribles, des choses qui appartiennent au domaine public […] que ferais-tu ?»

Cinq jours plus tard, Lamo, qui a déjà été arrêté en 2003 à cause de ses activités de pirate, prend peur et dénonce Bradley Manning au FBI. Le lendemain, soit le 26 mai 2010, Manning est arrêté puis transféré au Koweït dans la prison d’Arifjan.

 

La détention

Le 29 juillet 2010, il est placé sous surveillance maximale au centre de détention militaire de Quantico, en Virginie. Les révélations de Wikileaks et la percée médiatique de Julian Assange l’éclipsent petit à petit, on finit par oublier Bradley Manning.

Fin janvier 2011, le scandale éclate à nouveau : David Coombs, l’avocat de Bradley Manning, dénonce le traitement de son client, qu’il qualifie de torture psychologique. De tous les détenus de l’établissement de Quantico, Bradley Manning est le seul à subir le dispositif de surveillance maximale, malgré un comportement exemplaire. Ses conditions de détention, très lourdes, impliquent un isolement quasi continu 23 heures sur 24 dans une cellule, sans vêtements, oreiller ni couverture, l’interdiction de faire de l’exercice et un accès très limité à des livres ou magazines qu’il doit rendre en fin de journée. Toutes les cinq minutes, le jeune homme doit répondre à l’appel, et il est automatiquement réveillé la nuit s’il ne fait pas face à la porte. Pour son heure quotidienne de promenade, Bradley Manning est encadré par deux gardes au minimum et porte des bracelets de sécurité. Dans une lettre de onze pages envoyée le 10 mars 2011 aux autorités de l’armée américaine, le jeune homme fait part des pressions psychologiques qu’il subit au centre de détention de Quantico. Le témoignage est accablant, décrit des scènes surréalistes dans lesquelles le détendu doit se tenir debout, entièrement nu, devant tous les surveillants, pour la parade matinale.

Durant les mois qui suivent, la polémique ne cesse d’enfler. La position ambiguë de Bradley Manning dans l’opinion publique, entre héros œuvrant pour la justice et traître de la nation, couplée à ses conditions de détention révoltantes, achève de faire de l’ex-soldat un personnage incontournable. De nombreux mouvements de soutien se créent, des sites comme bradleymanning.org ou freebradley.org fleurissent sur la toile, et des manifestants se relaient devant les grille de la Maison blanche pour scander «Free Manning !». Le 20 avril 2011, Bradley Manning est finalement transféré à la prison militaire de Fort Leavenworth, dans le Kansas. Plus d’espace, des conditions plus souples, un suivi psychologique régulier et une grande bibliothèque, tels sont les arguments du lieutenant-colonel Dawn Hilton, commandant du centre de détention. Un cadre plus agréable dans l’attente du procès.

 

Un tremblement de terre juridique et diplomatique

Durant les sept jours d’audience préliminaire en décembre 2011, la défense a voulu démontrer que Bradley Manning avait souffert de troubles émotionnels et sexuels au cours de son déploiement en Irak entre octobre 2009 et mai 2010, dans l’indifférence totale de ses supérieurs. Le jeune homme sera formellement mis en accusation le 23 février à Fort Meade dans le Maryland, avant son procès en cour martiale. Vingt-deux chefs d’accusation ont été retenus contre Bradley Manning, dont fraude, transmission illégale ou encore collusion avec ennemi. Concrètement, le gouvernement américain reproche au soldat d’avoir dérobé des documents confidentiels dans le but de l’afficher sur Internet, tout en sachant que ces informations seraient accessibles par l’ennemi. Pour cela, il échappe à la peine de mort mais risque cinquante-deux ans de prison.

Le procès de Bradley Manning est emblématique de la polémique qui entoure Wikileaks et pose la question épineuse : toutes les vérités sont elles bonnes à dire, en particulier dans un contexte diplomatique tendu ?

Selon David Coombs, les câbles diplomatiques et militaires révélés par Wikileaks n’ont pas mis en danger les troupes américains. Ces fuites ont bien évidemment écaillé l’image lisse du conflit au Moyen-Orient que le Pentagone cherche à donner, tâche déjà bien ardue après les scandales des prisons d’Abou Ghraib et de Guantanamo en 2004 et 2005. Si ces fuites n’ont pas fait de Bradley Manning un criminel, il n’en reste pas moins un individu gênant. Gênant car toute bavure révélée au grand jour s’accompagne d’enquêtes internes, d’excuses publiques, d’un tribunal, d’un jugement, mais surtout d’une remise en question.

L’affaire Manning divise les foules et déchaîne les passions. Si l’ex-soldat risque de passer sa vie derrière les barreaux avec une étiquette de traître suprême collée sur le front, l’opinion mondiale est loin d’être unanime. Pour la députée islandaise Brigitta Jonsdottir, le bidon d’essence que Bradley Manning a jeté sur les braises doit être englobé dans un processus plus large de pacification sur le long terme.

En effet, ses révélations auraient «aidé à motiver les mouvements démocratiques du Printemps arabe» et «contribué à ce que l’administration Obama accepte de mettre fin à l’occupation des troupes». Par ailleurs, Bradley Manning figure dans la liste des 241 nominés pour le prix Nobel de la Paix 2012.

 

Par Aurélien Lamy

 

A retrouver sur heteroclite.org.

 

 


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