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Chapitre 5 – « La loi naturelle »

Siège de la Région Oropotamie, 20 mai 2014

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«Entrez, cher monsieur, entrez !»

Domitien  affiche la mine obséquieuse de ses meilleurs jours. Avec empressement, il ouvre grand la porte capitonnée de son bureau. Éternel polo bleu clair, sac à dos accroché à une épaule, Jacques-Yves Bardamu patientait dans l’antichambre. Cet explorateur honoraire des pôles et des profondeurs sauvages, philosophe à ses heures, est un peu le Diogène de Sinope du groupe écologiste, cultivant un regard qui se veut sarcastique sur le petit théâtre de la politique régionale.

Il reste un moment sur le pas, puis s’avance pour prendre avec retard la main qui s’allonge devant lui. Domitien est littéralement plié en deux.

«Voyez-vous, cher monsieur, les civilisations d’extrême-Orient sont admirables. Là-bas, quand on reçoit quelqu’un, on s’incline pour marquer sa déférence.

— Écoutez, je ne suis pas venu pour la causette…

— Bien sûr, cher monsieur, bien sûr. Je suis simplement très touché que le grand explorateur que vous êtes ait accepté mon invitation.»

Il l’invite à s’asseoir et prend un cigarillo.

«Permettez… Comme vous le savez, cet immeuble est désormais un espace de liberté pour les fumeurs.

— La fumée me dérange.

— Bien sûr, bien sûr. Excusez-moi.»

Il replace son cigarillo dans sa boîte en tôle “Le Diplomate”, range la boîte dans un tiroir et reprend.

«Monsieur Bardamu, j’ai lu plusieurs de vos livres. Je les trouve d’une grande acuité de jugement… Vous avez parcouru le monde, vous avez côtoyé de nombreuses civilisations…»

Bardamu se redresse sur sa chaise, tendu comme un arc, et ne perd pas de vue Domitien  qui arpente son bureau devant lui.

«J’apprécie grandement ce regard que vous portez sur notre civilisation. Ce mélange de pessimisme et d’ironie… D’ironie pessimiste…

— L’ironie est ce qui reste au pessimiste, tranche Bardamu. Et notre présence ensemble dans ce bureau prouve que c’est bien tout le peu qui me reste.

— Ne vous méprenez pas sur mon compte, Monsieur Bardamu. Vous êtes un homme de culture. Nous sommes faits pour nous entendre. Vous saviez ce que Montaigne disait de La Boétie : nous nous cherchions avant que de nous être vus.

—  Et La Boétie a écrit : quand je pense à ces gens qui flattent le tyran pour exploiter sa tyrannie et la servitude du peuple, je suis presque aussi souvent ébahi de leur méchanceté qu’appitoyé de leur sottise. Vous ne m’y prendrez pas.

— Monsieur Bardamu, vous vous méprenez. Je parle à l’homme de culture, et non pas à l’opposant. Nous pourrions faire de grandes choses ensemble. Que faites-vous parmi ce ramassis de gauchistes, de soixante-huitards agités? Vous n’avez rien en commun avec eux !»

Domitien  a posé les deux mains sur l’acajou de son bureau. Sa voix trahit un début d’impatience. Bardamu ne moufte pas.

«— J’ai été soixante-huitard, moi aussi»

Domitien  se rassied, prend une longue inspiration, joint ses mains du bout des doigts, et, à nouveau, étire mécaniquement son sourire courtois.

«—  Moi aussi, cher ami, moi aussi. Je suis ce qu’on pourrait appeler un soixante-huitard de droite. Mais là n’est pas la question. Ce que je veux vous dire, c’est que vous et moi, nous sommes faits de la même pâte : nous n’aimons pas ce monde-ci. Tout au fond de nous, nous sommes des nostalgiques. Nous avons été blessés par le monde moderne. Nos rêveries sont restées dans un monde qui n’a malheureusement plus cours. Pour votre part, vous regrettez le temps où l’homme cultivait la terre avec ses propres mains, humblement et honnêtement, dans une harmonie avec la nature. Comme disait Maurras, “il faut connaître les vérités de la nature ou il faut périr sous leurs coups”.

Vous pleurez comme moi sur le temps où les villages étaient encore de joyeuses communautés qui se retrouvaient à la sortie de la messe, le temps où nos campagnes bruissaient d’oiseaux… Seulement, ce qui importe davantage pour vous, ce sont les petits oiseaux. Vous êtes un poète. Quant à moi, ce qui m’importe le plus, c’est cet ordre presque parfait qui régnait. Ce sens de la discipline et du devoir, voyez-vous, était garant d’une harmonie, je dirais, presque écologique entre les êtres.

C’est ce que nous appelons chez nous la “nature ethnique” (1). La loi naturelle (2) est la plus forte, et c’est d’abord à notre société que nous devons l’appliquer. Comme disait ce grand esprit qu’était Robert Ardrey, “Lorsque votre chien aboie en voyant passer un étranger devant votre clôture, en quoi son mobile diffère-t-il de celui qui vous a poussé à la construire?” La nature, cher ami, ce sont nos instincts élémentaires : instinct territorial, instinct d’agressivité, instinct d’identité… Il nous appartient d’ordonner ces instincts en nous souciant de préserver l’espèce qui nous tient le plus à coeur : le peuple français. C’est Konrad Lorenz, prix Nobel, monsieur, qui nous le dit : il est essentiel “d’empêcher le mélange entre deux espèces ou quasi-espèces”.

Et si vous et moi nous investissons dans la politique, c’est parce qu’au fond de nous-mêmes, nous éprouvons le besoin de réparer. Nous voulons panser les plaies d’un ordre ancien qui n’a pas cessé de se dégrader depuis 1789. Vous blâmerez davantage la Révolution industrielle, et moi la Révolution politique et cosmopolitique, mais, n’est-ce pas, ce sont là les deux faces d’une même médaille. Vous voulez restaurer le milieu naturel, nous voulons revenir à l’ordre ethnique.

Dès lors, n’y aurait-il pas une formidable contradiction à vouloir préserver la faune, la flore, la qualité de nos sites naturels, et dans le même temps accepter une immigration massive qui vient transformer nos cités en villes arabes ? Et pourquoi se battre pour la préservation des espèces animales en acceptant dans le même temps le principe de la disparition des races humaines par métissage généralisé? Croyez-moi, cher monsieur, le Bataillon Français est le seul véritable mouvement écologiste. Le patriotisme, c’est de l’écologie !»

Domitien venait de vomir sa profession de foi du parfait fasciste. Pendant tout ce discours, Bardamu sentait la nausée comprimer son thorax. D’un coup, il se mit à exploser.

«— Je suis peut-être un pessimiste. Je suis peut-être un nostalgique. Mais vous et vos acolytes, vous êtes des maniaques et des paranoïaques. Pour vous, le combat politique consiste à considérer comme ennemi tout ce qui ne ressemble pas aux images d’Épinal qui peuplent vos délires. La vision du passé que vous agitez comme un chiffon n’a jamais existé. Votre nostalgie n’est qu’un faux nez avec lequel vous séduisez les pauvres gens à coups de lieux communs pour les faire adhérer à vos thèses puantes. Sous vos dehors courtois fréquentables, vous empilez dans vos références tout le musée des horreurs du passé : la féodalité, l’aristocratie, l’intégrisme catholique, l’anticommunisme obsessionnel, le fascisme… Tout cela, vous ne le digérez même pas ; ça subsiste en vous comme autant de strates de votre inconscient politique.  Vous ne vous souciez pas le moins du monde des incohérences que cela suscite. Quant à votre prétendu écologisme, il est encore une couche de vernis, comme l’est le masque “social” de Jeanne-Marie de Kervenac’h. Il cohabite sans complexe avec tout le reste dans la contradiction la plus totale. Vous dites vouloir protéger la nature, mais vous êtes pour les OGM (3), pour le nucléaire, vous êtes les derniers à nier le réchauffement climatique (4). Vous vous êtes opposés jusqu’ici à toutes les politiques de la Région (5) en faveur de la biodiversité, de la ressource en eau…

— Monsieur Bardamu, ne vous emballez pas de cette manière. Savez-vous que très souvent, votre pensée rejoint la mienne ? Ainsi, lorsque vous appelez de vos vœux une agriculture de proximité, par les Oropotamiens et pour les Oropotamiens. Quand vous parlez de «relocalisation» vous faites de la préférence nationale sans le savoir (6) !

— Vous n’avez vraiment rien compris. Là où vous parlez d’exclure le reste du monde, nous proposons au contraire de recréer du lien social entre les hommes. Nous voulons restaurer un tissu local d’activités qui met en valeur notre territoire. Dois-je aussi vous rappeler que vous votez systématiquement contre toutes les politiques d’aménagement du territoire en zone rurale (7) ? Vous défendez une carte postale des villages d’antan, mais vous vous opposez aux politiques qui cherchent à maintenir les campagnes vivantes.

Monsieur Domitien, je vais vous dire le fond de ma pensée. Plus que tous les autres, le mouvement écologiste est à l’antithèse absolue de votre parti. Vous êtes des dirigistes, obsédés par un collectif uniforme que vous appelez la patrie, massée autour d’un chef unique? Nous croyons en l’individu, à sa chance de s’épanouir de manière autonome, en harmonie avec les autres. Vous avez foi dans le laisser-aller économique, la loi du plus fort  que vous dites “naturelle” ? Nous voulons stimuler les solidarités, les coopérations, donner leurs chances à ceux qui sont rejetés de prendre en main leur avenir par eux-mêmes. Plus que l’extrême gauche avec ses tentations dirigistes et étatistes, plus que le parti socialiste et ses tendances centrifuges et social-libérales, je crois profondément que nous sommes vos exacts opposés (8). Et de toute manière, votre culture de la peur et de la haine fait que nous n’aurons jamais rien à nous dire. J’ai d’ailleurs passé assez de temps ici. Au revoir, monsieur.»

Bardamu, déjà debout, reprend son petit sac à dos et quitte le bureau. Domitien bondit et se met à hurler dans le couloir.

«— Pauvre idiot, vous ne savez même pas ce que j’allais vous proposer !»

A suivre…

 

Ceci est une fiction, mais…

1 – Les parties mises en couleur bleue de cet argumentaire sont littéralement reprises d’un discours ahurissant de Bruno Mégret tenu lors d’un colloque du FN sur “l’écologie” à Lyon en novembre 1996. Du fascisme pur et dur de la part d’un «félon» qui pourtant, déjà en son temps, prônait une alliance avec la droite classique.

2 – Ce concept préoccupant de “loi naturelle” qui devrait s’appliquer à la société apparaît aussi dans le discours bien plus récent d’une élue FN au Conseil régional, Sophie Robert, qui s’opposait le 25/06/2011 à une politique promouvant la contraception : « Il nous faut revenir aux fondamentaux de la loi naturelle ».

3 – Au Conseil régional de Rhône-Alpes, les élus FN ferraillent contre les politiques environnementales. « Est-il responsable de s’interdire de rechercher sur les OGM?», s’interrogeait Joël Cheval le 21/10/2010.

4 – Le 21/10/2010, Olivier Wyssa pointait « des sommes gaspillées par millions, par exemple dans cette politique de lutte contre le réchauffement climatique et pour la préservation de la biodiversité »

5 – «Nous considérons que la ligne « programme emploi environnement» et la ligne «éco-responsabilité» ne sont pas suffisamment réduites » indiquait Mireille D’Ornano, lors d’un débat budgétaire le 15/12/2010.

6 – En Rhône-Alpes, à propos de l’encouragement aux filières agricoles de proximité, Christophe Boudot a déclaré le 15/12/2010 « Il met en place (…) une véritable préférence rhônalpine »

7 – En Rhône-Alpes, le Front National vote contre les actions de développement local, l’aménagement du territoire, la politique foncière…

8 – Lire à ce propos la dernière partie de notre décryptage des votes au conseil régional.

 


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