On a coutume de supprimer son article défini « la » au titre du conte de Perrault La Barbe Bleue. Comme pour absolument transformer le concept en personnage, la menace qui plane en ogre qui rode. Jean-Michel Rabeux assume et réhabilite la synecdoque (utiliser la partie pour décrire le tout, la barbe bleue pour décrire le prince, et hop les enfants, révision de grammaire). Il faut dire que sur scène, la barbe est tellement présente (énorme et fluo) qu’elle recouvre et dévore le personnage qui la porte.
On lui trouve des allures des Sébastien Chabal peinturluré en bleu après une victoire (lointaine) de la France dans un tournoi international de rugby. Cette barbe est le signe de sa monstruosité qui s’avèrera, et Rabeux injecte là un peu de La Belle et la Bête, le résultat d’un sortilège plutôt que la manifestation physique d’une essence définitivement mauvaise. Les esprits progressistes pourront voir là une position subtilement affichée contre un déterminisme génétique à la lumière duquel on voudrait comprendre de nombreux crimes aujourd’hui. Pour continuer de semer le trouble, le monstre semble ici sincèrement amoureux de sa septième épouse comme celle-ci semble éprise du riche prince, bien que dégoutée par son masque de poils. Jean-Michel Rabeux détourne le conte original et le débarrasse de ses intentions morales initiales : apologie de l’obéissance, de la soumission, condamnation de la curiosité. L’amour inconditionnel de la jeune fille est tourné au ridicule et l’histoire finira bien.
Pour adultes à partir de huit ans
« La Barbe bleue » de J.M. Rabeux © Netty Ravanyi
La Barbe bleue selon Rabeux est un spectacle pour enfants ou plutôt, comme il le dit lui-même, « pour adultes à partir de huit ans ». L’actualisation du conte fait du prince un homme d’aujourd’hui (il possède deux hélicoptères et trois Ferrari) mais n’altère ni le merveilleux ni la cruauté du récit. La scène où la jeune épouse découvre les corps des six précédentes est particulièrement macabre ; le magnifique travail sur les maquillages, les costumes, les lumières et les voix sublime tout autant les moments de rire et d’effroi. La jeune fille a des airs de Sally dans L’Etrange Noël de Monsieur Jack ; l’interprète de sa mère porte aussi les habits du prêtre, d’un ange gardien et même de la mort. Elle est présente à ses côtés à tout instant, avertissant à un moment les spectateurs : « votre mère invisible vous voit partout ». Mais son statut est plus qu’ambigu car elle ne protège pas sa fille, elle l’observe simplement et nous raconte son histoire.
Les grands thèmes du conte original sont détournés ou parodiés avec autant de fantaisie que de générosité. Comme au moment du passage bien connu « Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? », lors duquel les fameuses rimes en « oie » (« je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie ») sont déclinées en suite loufoque : « souffroie », « pleuroie », « mouroie », baisoie » « ressuscitoie ». Une bonne occasion pour aborder avec les enfants l’histoire de la langue française. Alors que La Barbe Bleue compte parmi les histoires que nous connaissons presque par coeur, nous sommes sans cesse surpris par le déroulement des événements et par les caractères des personnages. Dans l’univers plastique et poétique de Jean-Michel Rabeux, personne n’est vraiment qui l’on croyait et si la peur advient, elle n’est jamais le bout du chemin.
La Barbe Bleue, par Rabeux. Jusqu’au samedi 3 décembre à 20h (sauf mercredi 30 novembre à 15h) au Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon 4e.
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