Rencontre
Par Emilie Rosso, étudiante en journalisme.
On écrit souvent qu’Amira Yahyaoui est une blogueuse tunisienne. Amira n’est pas d’accord, elle se décrit comme une dissidente politique avant tout. « Je suis une militante des Droits de l’homme qui a utilisé Internet pour le militantisme, et du coup on m’appelle souvent cyberactiviste ».
Les blogs, elle les a utilisés pour faire passer son message, pour promouvoir la liberté d’expression et dénoncer la censure. Justement à cause de la censure, elle a créé plus d’une centaine de blogs pour que ces billets soient toujours accessibles depuis l’intérieur de son pays.
« Internet est rapidement devenu la solution de facilité pour se revendiquer comme militant contre la censure et Ben Ali. Mais beaucoup de gens utilisaient des pseudonymes, moi y compris, on n’était pas vraiment des personnes réelles. Et cela m’était insupportable ».
Amira décide alors de sortir de l’anonymat. En 2010, elle arrête complètement son blog et initie la grande manifestation du 22 mai 2010, «Nhar ala Ammar», « une manifestation réelle pour une liberté virtuelle ». Et surtout, une initiative citoyenne et indépendante qui a alerté l’opinion populaire sur la réalité de la censure sur Internet.
A la question posée au cours de la table ronde organisée à Lyon, demandant si les relations entre Tunis et Paris sont désormais coupées, la jeune femme donne une réponse claire :
Ces révolutions ont été pressenties comme étant une menace pour la France parce que c’était tellement mieux quand les pays arabes étaient bien gardés par nos amis dictateurs qui interdisaient le voile, comme en France. Les Tunisiens éprouvent une grande rancœur envers les médias français qui ont fait une fixation pendant toute la campagne électorale sur Enhada et sur l’islamisme en général. C’était incroyable. Des fois, en lisant des articles dans les journaux je me disais : Mon dieu ! Ils parlent de l’Iran ou de l’Afghanistan, mais pas de la Tunisie !
Pour ses nombreuses actions anti-censure, Amira a été arrêtée plusieurs fois. « J’ai été sévèrement tabassée et amochée à plusieurs reprises », confie-t-elle sans ciller. « J’ai de la chance », ajoute-t-elle, « parce que je viens d’une famille militante exposée internationalement, et le gouvernement n’osait pas arrêter les gens déjà connus ». Amira ne passe donc pas par la case prison, mais on lui confisque son passeport.
Elle s’exile en France pendant quatre ans. Fille du juge Mokhtar Yahyaoui, premier juge à se rebeller contre l’appareil judiciaire tunisien, Amira est presque une militante née. « Quand on est en face à autant d’injustice c’est normal de s’engager parce qu’on a plus le choix », raconte la jeune femme, qui a vu son cousin, Zouhair Yahyaoui « donner sa vie pour la liberté d’expression ». « J’ai donc de la chance », répète-t-elle.
« Les militants les plus méritants ce sont ceux qui viennent de familles au pouvoir, les enfants d’ambassadeurs, de ministres qui se rebellent. C’est important, parce que cela veut dire qu’il y a des enfants éduqués dans le silence, la soumission, qui ont compris l’importance de la liberté et de la démocratie ».
Apatride et interdite de séjour dans son propre pays pendant la révolution tunisienne, Amira a pourtant joué un rôle important. « J’étais dans les débat télévisés pour affronter les officiels tunisiens qui venaient pour raconter des bêtises et minimiser les évènements, que les manifestants n’étaient que des anarchistes », explique la tunisienne. Même si elle ne peut pas rentrer en Tunisie, Amira a toujours des amis là-bas, elle reçoit des vidéos de la répression et se charge de les transmettre aux médias français.
« C’était une révolution médiatique, c’est cela aussi qui nous a aidés à faire tomber Ben Ali ». Amira a confiance en l’avenir.
« Le problème, c’est qu’on a tendance à vouloir tout, tout de suite. Si on peut avoir la démocratie maintenant tout de suite, on peut aussi avoir les libertés maintenant tout de suite. Mais le problème du chômage ne peut pas se régler maintenant tout de suite ».
La Tunisie a encore beaucoup à faire, et Amira veut participer à la construction de cet Etat démocratique. C’est pour cela que, pendant la campagne législative, Amira Yahyaoui s’est présentée en tête d’une liste indépendante pour les Tunisiens en France.
Elle est actuellement en train de fonder une ONG qui servira de centre de surveillance de l’Assemblée constituante. Aujourd’hui, Amira a récupéré son passeport. En janvier, elle retournera s’installer dans son pays « pour mieux défendre le peuple tunisien ».
A lire aussi, l’entretien intégral avec Amira Yahyaoui.
Photo : Emilie Rosso
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