avec Dalya Daoud / Rue89Lyon
A l’heure de la sinistre « rigueur », des syndicats relancent le débat sur la diminution du nombre des députés, et de leur rémunération au passage. Et à quelques mois du suffrage concernant ces « ménagères de la nation » (d’après l’expression de Jean-Jack Queyranne, président de Rhône-Alpes et député PS), il est temps de faire le point sur leur terrain de campagne, plutôt flou car bousculé à de nombreuses reprises. Avec un petit digest historique sur le découpage des circonscriptions lyonnaises. Par Emmanuel Saint-Bonnet, bloggeur géographe et analyste politique.
Les ciseaux (ou la tronçonneuse, selon les points de vue) d’Alain Marleix ont épargné Lyon. Chargé du redécoupage des circonscriptions législatives, le secrétaire d’Etat aux Collectivités du gouvernement Fillon II (2008-2010) s’est surtout occupé de la banlieue lyonnaise et des parties les plus rurales du département.
La « faute » à la démographie de la capitale des Gaules, qui n’a gagné « que » 62 000 âmes entre les deux recensements de référence, celui de l’ancien découpage (1982), et l’actuel (2008). Pas de quoi créer un nouveau siège de député donc, selon la commission Guéna chargée d’examiner le redécoupage Marleix, même si les parlementaires lyonnais de 2012 représenteront pour chacun d’entre eux, devant l’Assemblée, 15 500 habitants de plus que leurs collègues élus en 1988.
Avant d’évoquer les rapports de force électoraux, ce que nous ferons dans un prochain billet, faisons un tour d’horizon des points d’appui géographiques des quatre circonscriptions lyonnaises.
Un coussin lyonnais un peu lourd
Le fameux « millefeuille » administratif français se décline ici en coussin, la non moins fameuse friandise lyonnaise. Mais un coussin un peu lourd, puisque la pâte d’amande candie recouvre une double ganache de chocolat : tout au fond du coussin se trouvent les arrondissements, l’unité de base sans doute la plus connue des Lyonnais. Au nombre de neuf depuis 1964, après l’annexion l’année précédente de la commune de Saint-Rambert-l’Ile-Barbe, chacun est doté d’une mairie, et donc d’une autonomie limitée mais réelle (loi PLM de 1982).
Depuis 1958, les circonscriptions électorales ne prennent plus appui sur les arrondissements.
La ganache au chocolat se corse un peu. Son curaçao: les cantons. Au nombre de 14 depuis 2001, les cantons ne forment pas une division administrative, mais seulement une circonscription électorale, permettant de désigner les élus lyonnais au conseil général du Rhône.
Comme le montre la carte ci-dessus, leur découpage se base sur la population. Les arrondissements de la rive droite (Ouest) et de la Presqu’île ne sont recouverts que d’un seul canton. Ceux de la rive gauche (Est) sont recouverts de deux, voire trois cantons (notamment pour le 3e arrondissement).
Tandis que les arrondissements possèdent des frontières historiques, les délimitations cantonales ont ainsi fluctué au fil des évolutions démographiques. Le découpage actuel respecte les limites des arrondissements. Le précédent datant de 1964, à treize cantons, partageait le 8e arrondissement entre les cantons XII et XIII (ces derniers ne correspondent plus à la réalité actuelle). Et, avant 1914, certains Lyonnais de la rive gauche élisaient le même conseiller général que les Villeurbannais.
Pour tout citoyen s’intéressant au minimum à la cuisine électorale, la recette commence à devenir difficile à suivre. Elle se complique en surface de notre coussin.
Pâte d’amande électorale
Quatre circonscriptions forment la pâte d’amande candie. Elles ont été tracées en 1986, et restent donc inchangées. Le précédent découpage (1958-1981) en comptait cinq.
La carte ci-dessus paraît un peu complexe, mais cette surcharge matérialise bien les libertés prises par le législateur lorsqu’il procède à un redécoupage. C’est d’ailleurs souvent le moment où on lui reproche de favoriser tel ou tel candidat. Les cantons en forment la base, on l’a vu, mais n’échappent pas, par endroit, à un tronçonnage en règle : les I, IV, XII et XIV se trouvent à cheval sur deux circonscriptions, et par conséquent n’élisent pas le même député de part et d’autre de cette frontière invisible. En tout cas le tout est bien difficile à appréhender pour de nombreux électeurs…
Il est vrai que notre pâte d’amande électorale prend des formes surprenantes.
On peut considérer que la première circonscription présente une certaine forme de cohérence en regroupant les quartiers du Sud, même si la capitale de la région Rhône est plutôt structurée sur un axe est-ouest.
En abritant les quartiers Nord-Ouest, la deuxième circo ne constitue pas non plus une insulte flagrante à la géographie lyonnaise.
En revanche, cela se gâte pour la quatrième circonscription. Mais surtout pour la troisième circonscription, avec son corridor reliant les cantons VIII, IX et la partie du X située au nord de la ligne de chemin de fer, à la partie du XII au nord de la rue Marius-Berliet et à l’est de l’avenue Berthelot, à partir de la place du 11-Novembre-1918, de la rue Paul-Cazeneuve et de l’avenue Francis-de-Pressensé, et à la partie du XIV constituant l’ouest des rues Feuillat et Maryse-Bastié, des avenues Paul-Santy et Général-Frère, et du passage Comtois.
Nous ne sommes pas loin du gerrymandering, un néologisme bien connu des experts électoraux. Le terme a été construit à partir du nom de Gerry, gouverneur américain du début du 19e siècle, notamment resté dans l’histoire pour son talent à découper les circonscriptions dans des formes plus ou moins biscornues, et proches de celles d’une salamandre. En français, on parle aussi de « salamandrisation »…
Finalement, on s’éloigne de la confiserie pour se rapprocher de la charcuterie, notre coussin lyonnais prenant des goûts de rosette à trancher à l’infini.
Aller plus loin
– La réduction du nombre de députés pour préserver leurs indemnités ?
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