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Chapitre 12 – «Un hédonisme dévastateur»

Demidieux, 5 février 2017

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A Demidieux, il y a toujours eu les deux écoles. De part et d’autre de la place du Foirail, le lycée public et le lycée privé se font face comme deux chiens de faïence. Ancien pensionnat de jeunes filles, le lycée privé est une vieille institution où l’on voyait jadis des nonnes à cornettes border les rangs d’élèves devant l’entrée, sous l’œil bienveillant d’une statue de la vierge aux bras ouverts.

Depuis deux ans, le religieux y a fait son retour en force, avec la nomination d’un nouveau directeur, Nicolas de Vertecrique. Du même coup, l’institution a pris un nouveau visage (1). Toutes les salles d’enseignement, autrefois un peu vieillottes, ont été rénovées. Le chauffage au fioul maintient jour et nuit une température de vingt-quatre degrés (2) sous les hauts plafonds.

La chapelle a été restaurée et ornée de fresques de style naïf destinées à l’édification de la foi des âmes innocentes. Un Jésus en montrant la voie aux jeunes représente le Christ, bras ouverts, twittant «Dieu est amour» sur un AïePad. Sur une autre fresque, Adam, représenté sous les traits de Brad Pitt, et Eve, une simili-Angelina Jolie, sont séparés par un panneau «Stop» tenus par deux angelots.

Trois aumôniers, salariés par le conseil régional, dispensent l’enseignement religieux et sont disponibles à toute heure pour recevoir la confession. La pension est gratuite pour les jeunes filles et jeunes gens de condition modeste dont les parents sont de nationalité française et titulaires d’une adhésion à jour au Bataillon Français.

Les différences sociales sont d’ailleurs gommées par l’uniforme, lui aussi financé par la Région. Les jeunes gens portent une chemise grise et un foulard rayé, enroulé autour du cou. Le pantalon à pinces tombe sur des souliers vernis. Les jeunes filles portent un chemisier de même couleur que les garçons et une jupe plissée bleu marine. Filles et garçons cohabitent encore dans les mêmes locaux, mais, placés dans des classes différentes, leurs horaires sont décalés de manière à ce qu’ils se rencontrent le moins possible.

L’année de leurs seize ans, les garçons et les filles se voient remettre un «passe chasteté (3)» sous la forme d’une sorte de petit étui de voyage décoré du blason de la Région ainsi que d’une citation du président Domitien, « il n’est pas question que les jeunes soient sous l’influence conjuguée d’un totalitarisme sexuel débridé et d’un hédonisme dévastateur (4).» La trousse contient un chapelet fait de cinquante petits grains de nacre accompagné d’une étiquette indiquant le mode d’emploi «à dire trois fois en cas de tentation impie». On y trouve aussi une liste d’adresses de prêtres à consulter pour une confession urgente, un petit guide pour éviter les interactions avec le sexe opposé ainsi qu’un petit martinet pour faire pénitence en cas de flirt.

En face, le lycée public Alain-Savary est en piteux état. Les fenêtres vermoulues sont un rempart dérisoire contre les courants d’air. L’enseignement laïc et républicain est désormais dispensé en grande partie dans des bâtiments de type “Algeco”. Pour affronter l’hiver, le Conseil régional a voté l’achat d’un poêle à mazout d’appoint par classe, ainsi que de dix jerricans de pétrole désodorisé (5).

Partout sur le site patrouillent des vigiles, casquette de toile vissée sur le crâne, uniforme bleu marine. Ils ressemblent à s’y méprendre à des policiers (6), à ce détail près que l’écusson “police nationale” est remplacé par le blason de la Région réhaussé d’un glaive et d’un bouclier avec la mention “sécurité régionale”.

On n’entre sur le site qu’en passant par un portique de détection magnétique. Les vigiles ont reçu une formation pratique de physionomistes à l’entrée des plus grandes boîtes de nuit françaises. Les élèves qui ne présenteraient pas la tenue correcte exigée sont refoulés, et ceux qui semblent louches au sens de la nomenclature officielle du Bataillon Français sont fouillés avant d’entrer.

A Demidieux, jeune, choisis ton enseignement.

A suivre…

 

Ceci est une fiction, mais…

1 – Le financement des lycées publics est une compétence obligatoire du Conseil régional, lequel octroie déjà à titre complémentaire des aides à des lycées privés, ce qui n’est pas suffisant aux yeux du Front National. « Nous vous demandons que les libres choix d’enseignement des familles soient respectés par la Région et ses représentants, et que leurs impôts contribuent au financement de l’ensemble du système éducatif, enseignement public et enseignement libre sous contrat. » Joëlle Regairaz, le 26/05/2011.

2 – « La gestion du chauffage des lycées ne dépendra pas du dogme écologiste » Alexandre Gabriac, le 21/10/2010 à propos d’une délibération sur les lycées écoresponsables.

3 – Au conseil régional de Rhône-Alpes, les élus du Front National se sont particulièrement déchaînés contre la proposition d’un «pass contraception» qui proposera aux jeunes une consultation gratuite chez un gynécologue, un dépistage des infections sexuellement transmissibles, etc.

4 – Au Conseil régional de Rhône-Alpes, le 25/06/2011, à propos de la mise en place du pass contraception pour les jeunes, Sophie Robert (FN) s’interroge : « Ne serait-il pas urgent que la collectivité, plutôt que de donner une éducation hygiénique et technique de l’éducation sexuelle en banalisant l’acte, le sexe pour le sexe, (…) leur montre la beauté des relations qui impliquent un respect par rapport à leur corps ? (…) Plus que jamais en ces temps troublés où notre société perd tout repère, et particulièrement les jeunes générations sous l’influence conjuguée d’un totalitarisme sexuel débridé et d’un hédonisme dévastateur, il nous faut revenir aux fondamentaux de la loi naturelle. »

5 – Au conseil régional de Rhône-Alpes, les élus FN votent contre le programme des «lycées éco-responsables».

6 – Le 25 octobre 1996, à Montceau-les-Mines, à l’occasion d’une réunion publique du Front National animée par Bruno Gollnisch, le service de sécurité du parti, le DPS, s’est signalé par sa tenue vestimentaire et le matériel utilisés : pantalon et blouson de toile bleu foncé, casques, boucliers. Ses membres ont repoussé des contre-manifestants par des charges organisées. Le maire de la ville a déposé une plainte pour usurpation d’uniforme.


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