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Eau, logiciels libres et monnaies locales : 5 choses à savoir sur les communs

L’eau, les logiciels libres, les jardins partagés, les monnaies locales… autant de réalités qui sont aujourd’hui englobées dans l’appellation « communs ». Pourtant, alors même qu’on les croise tous les jours, il est parfois difficile de comprendre leurs spécificités.

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Illustration du Festival "Villes en biens communs"

A l’occasion de la sortie du Dictionnaire des biens communs publié sous la direction de Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld, quelques éléments pour s’y retrouver.

 

1/ Les communs, une si vieille histoire

Les communs, ou biens communs, sont des ressources auxquelles chacun peut avoir accès et qui sont gérées collectivement selon des règles ou des normes admises par une communauté.
Si l’on peine parfois à comprendre les communs, c’est qu’une vaste nébuleuse de concepts et de notions évolue autour d’eux, alors même qu’ils sont institués depuis l’Antiquité.

Un peu plus récemment, l’économiste Paul Samuelson a publié « The Pure Theory of Public Expenditure » en 1954, dans lequel il dresse une typologie des sortes de biens qui existent selon deux variantes : la rivalité et l’exclusion.

Pour lui, un bien est rival lorsque sa consommation implique que sa quantité disponible diminue. Il est excluable lorsque son accès est restreint à certains individus parce qu’il devient coûteux ou indisponible. Si cette classification peut être jugée un peu vieillissante, elle permet tout de même de comprendre un peu mieux à quoi ressemblent les communs.

A côté de ces types de biens, il ne faut pas non plus penser que les biens communs sont synonymes de la notion philosophique de « bien commun » qui voudrait que nos actions soient dirigées vers un intérêt général, même si, ils peuvent y concourir.

 

2/ Communiquer, réglementer, s’adapter : les lois des communs

Difficile de passer à côté de la figure d’Elinor Ostrom lorsque l’on parle de gouvernance des communs.

L’américaine a reçu en 2009 l’équivalent d’un prix Nobel d’économie pour son travail sur la « Gouvernance des biens communs », et a montré à travers des exemples précis comment s’opérait et fonctionnait une gestion collective des communs, sans faire appel à l’autorité de l’Etat.

Elinor Ostrom établit 8 principes qui permettraient de gérer des biens communs au mieux, et d’éviter la raréfaction des ressources. Parmi lesquels on retrouve des idées comme : délimiter une communauté, se faire confiance entre membres et développer des règles adaptées aux besoins et à la quantité des ressources.

Elle a ainsi battu en brèche la thèse de Garrett Hardin développée dans son article sur la « Tragédie des biens communs » publié en 1968. Selon lui, les individus seraient incapables de gérer des ressources de façon collective sans les épuiser.

Il est souvent admis que les communs apparaissent comme une troisième voie entre la propriété privée et la propriété publique de l’Etat. Sans que cette affirmation soit fausse, elle reste à nuancer. Pour Judith Rochfeld :

« Les communs donnent une troisième possibilité entre les deux [propriété privée et propriété publique] qui n’invalide pas forcément les deux autres. C’est intéressant quand on voit que le privé n’assure pas la préservation des ressources, et que le public n’en garantit pas l’accès ».

Une gestion communautaire n’exclut donc pas, de fait, la présence étatique dans le processus. Et elle peut même l’accompagner.

 

3/ Urbanisme, droit d’auteur, recherche médicale,… les communs de plus en plus communs

Dans leur Dictionnaire des biens communs, les chercheur-es développent des exemples de gestion collaborative.

A Bologne, en Italie, une charte des communs urbains s’est développée avec l’idée que la municipalité et les citoyens collaborent sur la rénovation, l’amélioration et plus généralement la gestion des biens qui appartiennent au secteur public.

A ce propos, Judith Rochfeld explique :

« En Italie, il y a eu le constat d’un état qui s’était retiré et d’un mouvement de privatisations excessives. Mais ce n’est pas toujours le facteur, il y a aussi des prises de consciences individuelles ».

Pour la juriste, c’est souvent une « prise de conscience citoyenne » qui est à l’origine de ces projets.

En France, de plus en plus de personnes travaillent sur les communs, comme à Brest, Lille ou même Lyon où est organisé un festival les 9 et 10 décembre prochains. Mais au delà de ces initiatives locales, on constate aussi une réflexion plus globale, notamment sur la question du numérique.

Au Canada par exemple, la loi de « l’utilisation équitable » ou fair use, apparaît comme un moyen, pour les amateurs, de jouir d’une œuvre protégée sans violer le droit d’auteur. La redéfinition du droit d’auteur, fer de lance de certains partis politiques, a déjà été entreprise, et notamment au niveau européen où certaines directives sont rediscutées. Judith Rochfeld :

« La propriété d’auteur et le droit des brevets ne sont pas forcément à remettre en question, car ils ont des justifications très profondes. […] Mais il y a beaucoup de discussions et quelques réalisations ».

Mais les communs concernent aussi des secteurs plus surprenant, comme la médecine.

En Inde par exemple, un groupe de médecins travaille de manière collaborative sur un remède à la tuberculose. Les résultats ne pourront pas faire l’objet d’un brevet, comme l’explique ce très bon épisode de Datagueule.

4/ Pourquoi en parle-t-on aujourd’hui ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer que l’on parle davantage des communs aujourd’hui. Judith Rochfeld dresse un constat:

« D’abord il y a des facteurs conjoncturels : la crise environnementale à partir des années 60 et l’émergence de la question de la préservation de certaines ressources essentielles à la communauté. La montée du numérique également, avec une tension entre les questions de privatisation des ressources et des demandes d’accès. Puis des sources politiques et sociales avec l’idée que l’Etat et la propriété privée ne sont pas capables d’assurer que certaines ressources soient au bénéfice de tous ».

L’idée de faire un dictionnaire des biens communs, elle, est née il y a deux ans du projet Propice (Propriété, intellectuelle, communs et exclusivité). L’objectif de ce projet regroupant des experts de différentes disciplines était de d’analyser les activités autour des communs à un moment où : « Le vocabulaire sur les communs est de plus en plus mobilisé socialement et politiquement. »

Illustration du Festival « Villes en biens communs »

5/ Les communs : un enjeu de mouvements sociaux

Parce que les communs exigent une gouvernance collaborative, ils redessinent aussi le rapport qu’on entretient avec le pouvoir.

Les philosophe et sociologue Pierre Dardot et Christian Laval ont d’ailleurs travaillé sur le lien entre communs et mouvements sociaux. En prenant l’exemple de la contestation au président Erdogan, en 2013 en Turquie, dans le parc Gezi destiné à être rasé et devenu l’emblème de la lutte, ils ont montré comment pouvait s’opérer l’exigence d’une alternative politique et la ré-appropriation de lieux communs.

Comme l’est aussi, en France, Nuit Debout ou l’opposition contre la construction d’un aéroport à Notre-Dame-Des-Landes.

Et si les biens communs se retrouvent au cœur de certaines luttes sociales ou environnementales c’est parce qu’ils revoient la façon dont s’organise la propriété, et plus généralement, la société. Pour Judith Rochfeld :

« Avec les communs, les droits de la propriété sont distribués à plusieurs membres de la communauté et il y a une gestion collective. Ce n’est pas contre la propriété, mais ça revoit la répartition ».

Par Philippine Orefice, étudiante en journalisme à Sciences-Po Lyon

>> Un article à retrouver sur Villa Voice.

>> Le programme est ici.


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