Prochain objectif : l’occupation de la place Guichard (3ème arrondissement) après la manifestation du samedi 9 avril contre la loi travail. Cette fois-ci, le préfet du Rhône n’interdira pas cette occupation. « Nuit Debout Lyon » pourra s’y dérouler jusqu’au mardi 12 avril.
1. Occuper une place publique
Ce lundi, un appel avait été lancé pour à l’occupation de la place Mazagran à la Guillotière (Lyon 7ème) à partir de mardi 18h, après la cinquième manif contre la loi travail.
L’idée de « Nuit debout Lyon » est d’occuper un espace public à l’image du rassemblement continu qui se tient place de la République, à Paris. Une première tentative avait eu lieu le 31 mars à Lyon qui s’était transformée en manif sauvage sur les Pentes de la Croix-Rousse.
Mais à Lyon, ce mardi 5 avril, il a fallu compter avec les forces de l’ordre. Contrairement à la place de la République parisienne où les CRS ont pour consigne de rester à bonne distance des occupants, un imposant dispositif policier interdisait l’accès de la place Mazagran.
300 personnes se sont alors rabattues sur un autre lieu : les quais du Rhône, sous le pont de la Guillotière. Jusqu’à 2 heures du matin, les temps d’assemblées générales et de commission ont alterné pour finir par la projection de « Merci Patron ! ».
A une « grande majorité », l’occupation de la place Guichard a été décidée pour le samedi 9 avril, après la sixième manifestation contre la loi travail. Une demande d’autorisation doit être déposée auprès de la préfecture du Rhône. Comme cela avait été fait pour la place Mazagran. Mais « hors délai », reconnaissait un coordinateur du mouvement.
A l’image du mouvement parisien, l’objectif est toujours d’occuper en continu une place publique.
Comme d’autres participants, Cyril, un intermittent de 30 ans, l’un des coordinateurs du mouvement lyonnais, cite les références espagnoles et américaines.
« Les Indignés et Occupy Wall Street courent dans toutes les têtes ».
Ces deux mouvements étaient notamment fondés sur l’occupation de places publiques par une assemblée permanente.
A Lyon, quelques dizaines d’indignés avaient occupés la place des Terreaux en novembre 2011.
2. Reprendre la parole
L’occupation d’une place n’est pas une fin en soi. Tous les participants de ce mouvement, des curieux aux coordinateurs, mettent en avant « l’assemblée citoyenne » permise par ce type d’occupation.
« Les manifs, c’est bien, mais elles sont accaparées par les syndicats. On veut faire entendre d’autres choses », lance une étudiante.
Mais à ce stade, difficile de dire ce que porte « Nuit Debout Lyon ». Pour Cyril, cela permet surtout de créer un « mot d’ordre unitaire ».
Sylvain, un autre coordinateur de 32 ans, qui travaille pour une ONG, affirme que le mouvement a « plein de revendications » :
« Bien sûr, on va parler de chômage, d’homophobie, de racisme ou de la loi travail. Mais on ne veut pas imposer des choses. C’est à l’assemblée de choisir les sujets de débat ».
Irène, une étudiant de 25 ans en Master de Sciences sociales, trouve le moment « magique » :
« On reprend la parole. On aborde des questions dont on ne parle plus depuis longtemps. Qu’est-ce qu’on peut faire pour se réapproprier nos vies ? Pour changer cette société esclave de la loi du marché ? »
3. Une organisation horizontale, « sans leader »
Les coordinateurs ne veulent pas être pris en photo. Ce n’est pas de la coquetterie mais la crainte de retombées dans ce qu’ils dénoncent : la personnalisation à outrance de la politique.
Au contraire, c’est l’assemblée générale souveraine qui se veut le cœur du mouvement « Nuit Debout ».
Mardi soir, à une courte majorité, l’occupation d’« un lieu culturel de premier plan » a, par exemple, été rejetée. Il a été décidé de préparer la future occupation sur la place Guichard.
Lors des débats, ce sont les techniques popularisées par les mouvements altermondialistes qui sont utilisées : on agite les mains quand on est d’accord ; on croise les bras quand on est en désaccord.
Mais de nombreuses décisions pratico-pratiques sont discutées et prises à l’échelle de commissions : « débat », « action », « bouffe », « logistique », « festif », « coordination » et « accueil et sérénité » (autrement dit sécurité et rapport avec la police).
Cette organisation en commissions commence à se roder. Pour la tentative d’occupation de la place Mazagran, le mouvement disposait par exemple d’une sono, d’un barnum et de soupe pour 300 personnes.
Pour la prochaine tentative, il manque des tables, des bâches, des palettes et un groupe électrogène.
4. Une majorité de jeunes non-organisés mais pas de lycéens
Mardi soir, sous le pont de la Guillotière, la grande majorité des participants avaient entre vingt ans et une trentaine d’années.
Étudiants, chômeurs, travailleurs précaires en nombre mais pas de lycéens.
Aucune des personnes rencontrées appartenaient à une organisation politique ou syndicale.
Cyril, l’un des coordinateurs, modère ce constat :
« Beaucoup de gens ne sont pas organisés mais il y a des quelques personnes du Front de gauche, de la CGT spectacle, de Sud ou des anarchistes ».
Chacun vient à titre individuel. Au vu la défiance qui règne à l’égard des politiques voire des syndicalistes, il serait plutôt mal venu de sortir drapeaux et autocollants d’une organisation.
« Les confédérations syndicales n’attendent qu’une choses, c’est l’essoufflement du mouvement », affirme une étudiante.
Fabien, un chômeur de 30 ans, a participé à la commission « débat » :
« On a discuté sur la manière de remettre de la démocratie. Comment pouvons-nous nous réapproprier la politique alors que les élus ne respectent pas leur mandat ? »
5. « Convergence des luttes » et « Merci patron ! »
A entendre les participants de la « Nuit Debout », la loi travail est « une étincelle », ou encore « la goutte d’eau » qui aurait amené les personnes à se réunir spontanément en suivant le modèle parisien.
Le mouvement est plutôt la conséquence d’un travail de plusieurs semaines de « convergence des luttes », autrement un rapprochement des différentes revendications.
« Nuit Debout Lyon » s’appuie notamment sur certains outils Internet (notamment le forum) et le compte Facebook de « l’Assemblée de Lyon ». Ce qui permet une meilleure organisation surtout pour la logistique.
Cette « Assemblée de Lyon » est issue la mobilisation contre l’état d’urgence. Un collectif s’était alors formé à qui l’on doit notamment la manifestation du 6 février. Lorsque le projet de loi travail a été rendu publique, « l’Assemblée de Lyon » a alors grandement élargi sa plateforme revendicative en ajoutant aux revendications anti-sécuritaires le retrait de la loi travail.
Le mot d’ordre national « On vaut mieux que ça », plus fédérateur et représentatif de cette « convergence des luttes », a été adopté.
Cyril, lui-même issu du Collectif unitaire 69 des intermittents et précaires, ajoute une autre origines au mouvement : le film « Merci Patron ! » de François Ruffin :
« Le film et le journal Fakir dont il est issu ont porté cette idée de convergences des luttes. Ça nous a inspirés ».
Ce sont ces mêmes personnes de « l’Assemblée de Lyon »/« On vaut mieux que ça » qui ont lancé un appel pour « Nuit Debout Lyon » le 31 mars à la Croix-Rousse puis pour une nouvelle AG le 3 avril, dans le 8e arrondissement, avec pour seule mot d’ordre « Nuit Debout Lyon ».
Ce jour-là, près d’une centaine de personnes sont venues et ont décidé de mener une occupation de la place Mazagran. On connaît la suite. Le mouvement « Nuit Debout Lyon » était lancé.
[Mis à jour du vendredi 8 avril à 17h]
L’occupation de la place Guichard pour une troisième « Nuit Debout Lyon » a été acceptée par le préfet pour trois nuits. à partir de dimanche 10 avril 0 heure jusqu’au mardi 12 avril. De 18h à 7h du matin.
Un flou juridique subsistait pour le début de l’occupation, le samedi 9 avril de 18h à minuit puisque la demande n’a pas été déposée dans les temps.
Contactée par Rue89Lyon, la préfecture du Rhône annonce que les participants de la « Nuit Debout » seront « tolérés ». En clair, contrairement au 5 avril, la police n’interdira pas l’accès à la place visée par l’occupation et devrait rester à bonne distance.
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