Ce samedi 9 janvier, c’est le grand jour. Le Grand Stade de l’Olympique Lyonnais à Décines va enfin être inauguré lors d’un match contre Troyes. L’attraction de la découverte, les festivités et la rencontre sportive éclipseront sûrement, le temps de cette soirée, le long feuilleton de sa construction. Retour sur l’histoire d’un stade présenté comme entièrement privé mais qui ne l’est pas tant que ça et qui ne fait pas briller les yeux de tout le monde.
Dès le départ, pas grand monde n’en veut
Cette hyper-infrastructure, le président de l’Olympique Lyonnais en parle depuis au moins dix ans. C’est d’ailleurs dans cette perspective, en pleine époque dorée de l’OL, que Jean-Michel Aulas introduit l’OL Groupe en bourse en 2007. Objectif : permettre au groupe de lever des fonds pour financer la construction du stade et devenir ainsi le premier club français à posséder son stade. L’opération rapporte près de 94 millions d’euros. Le stade est annoncé pour 2010 et le souhait est de le voir sortir de terre à Vénissieux.
Finalement ce sera Décines-Charpieu, avec l’aide déjà du président PS du Grand Lyon Gérard Collomb. Le début d’un soutien des collectivités locales qui ne cessera pas. Mais à Décines, dans l’est lyonnais, une opposition au projet de « l’OL Land » ne tarde pas à se mettre en place. Car ce n’est pas qu’un stade de forte capacité qui doit sortir de terre mais tout un complexe sportif, de bureaux, d’hôtels, d’un pôle de loisirs et même d’une clinique.
A droite, pas grand monde n’est favorable au Grand Stade. Philippe Meunier, député de la 13e circonscription se dit carrément hostile. A Décines, Laurence Fautra, dans l’opposition d’une mairie alors dirigée par Jérôme Sturla (PS) favorable au projet, devenue maire de la commune depuis y est tout aussi opposée. Michel Forissier, maire UMP de Meyzieu, n’en veut pas plus et juge le projet « mené à la petite semaine, en urgence ». Pour celui qui était alors patron de l’UMP du Rhône, la desserte du futur complexe est insoluble.
« Un grand stade, c’est simple, c’est deux métros. Qu’est-ce qui justifie un tel investissement dans ce secteur de l’agglomération ? »
A gauche, tout le monde n’a pas le doigt sur la couture. A Chassieu, le maire PS de l’époque n’y est pas plus favorable. L’avocat et élu écologiste Etienne Tête, alors adjoint de Gérard Collomb, monte au créneau contre le projet et sera la cheville ouvrière des recours des citoyens opposants. En 2009, Gérard Collomb lui indique la sortie de la mairie.
Du côté de la société civile et des riverains de Décines, l’association « Carton Rouge » voit le jour, portée notamment par Franck Buronfosse. D’autres opposants s’organisent et se regroupent sous la bannière « Les Gones pour Gerland » pour marquer leur attachement au maintien du club dans son stade historique à Lyon.
La doublette Aulas-Collomb mène l’attaque
Pour mener à bien un tel projet, le président lyonnais devait pouvoir compter avec des soutiens forts du côté des élus locaux. Il l’a trouvé en la personne de Gérard Collomb.
Avec le Grand Lyon (devenu Métropole de Lyon depuis) et Gérard Collomb, il trouve donc des terrains sur lesquels construire son projet. Les a-t-il obtenus à vil prix ? Ils ont été vendus à la Foncière du Montout (filiale de l’OL Groupe) à 40 euros le m² alors que les opposants estimaient qu’ils en valaient près de quatre fois plus. Selon le prix du marché. La justice a en tout cas validé la transaction.
Autre signe de soutien d’importance : la prise en charge des accès en voiture et en transports en commun au futur complexe. Dès le départ, le deal est conclu : le complexe sera construit avec des financements privés mais la collectivité doit assumer les accès au grand stade. Coût pour le Grand Lyon : 200 millions d’euros environ. Et sûrement un peu plus.
Malgré tout, entre temps, le déclin sportif de l’OL s’est accompagné de mauvais résultats économiques pour l’OL Groupe. Le club n’a plus les mêmes moyens et ne génère plus autant d’argent. Le bouclage du tour de table s’avère de plus en plus délicat et là encore Aulas va avoir besoin du soutien des collectivités locales.
En 2013, pour ficeler son budget de 400 millions d’euros environ nécessaire à la construction du stade, il obtient du département du Rhône une garantie bancaire de 40 millions d’euros qui lui permet de boucler son partenariat avec Vinci. Un cadeau de Michel Mercier, alors président UDI du conseil général mais aussi de Gérard Collomb. Face à une majorité de droite plutôt hostile au projet et donc à ce soutien, ce sont les voix de gauche qui permettent à la délibération d’être votée, avec la main invisible du maire de Lyon.
Un stade pas si privé que ça
Le tour de table n’est finalement officiellement bouclé que fin juillet 2013 :
- 135 millions d’euros de fonds propres
- 112 millions d’euros de financement obligataire (en partie garantis par le département du Rhône donc)
- 144,5 millions de dettes bancaires et location financière
- 13,5 millions de revenus garantis pendant la phase de construction.
Si la construction du stade et du complexe, pour 450 millions d’euros, ont bien été financés sur des fonds privés, les voies d’accès et le prolongement de la ligne T3 du tramway ont, elles, été payées par le contribuable.
Mais Jean-Michel Aulas met toujours en avant l’argument massue de l’intérêt général et des retombées pour la métropole, comme l’emploi. Malgré tout, des coûts induits pèsent toujours sur les collectivités, notamment sur la commune de Décines qui doit assumer l’éclairage et la mise en sécurité des abords du stade. Des investissements qui pèsent lourd dans ses finances et sur lesquelles la Cour Régionale des Comptes l’a notamment alertée.
Cette posture, Jean-Michel Aulas l’adopte depuis longtemps. En 2004, alors même que les collectivités locales viennent de mettre la main à la poche pour la rénovation des loges du stade de Gerland à Lyon (stade qui appartient à la Ville), le président Aulas affirme sa volonté de voir construire un grand stade dans l’agglomération.
Il clame alors depuis qu’il s’agira d’un stade « 100 % privé » et qui ne coûtera rien à la collectivité. Malin, le président Aulas prend soin de toujours teinté d’intérêt général et métropolitain son projet de complexe privé.
Comme le rappelaient les Cahiers du Foot en 2006, deux ans plus tôt Aulas jugeait ce projet « judicieux pour la métropole » dans la perspective notamment de voir « Gerland revenir au rugby ». Ironie de l’histoire, dix ans plus tard et alors que c’est chose faite le président du club lyonnais s’étrangle à l’idée de voir le site confié au club de rugby et à son président Olivier Ginon, patron de la puissante entreprise d’évènementiel GL Events.
Des recours juridiques encore en cours en 2016
Les recours juridiques contre le Grand Stade tombent très vite. Et certains ne sont toujours pas purgées.
Une délibération de juillet 2007 du Grand Lyon concernant la révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU) de Décines et permettant la demande du permis de construire est annulée par le tribunal administratif fin 2009. Prévue initialement pour 2010 et déjà repoussée à 2012, l’inauguration du Grand Stade est alors annoncée au mieux pour fin 2013.
Un référendum sur le projet est même demandé par plus de 3000 habitants de Décines. Le maire de l’époque, favorable, le refuse.
Les recours sont alors systématiques. Après un permis de construire déposé en janvier 2011, l’État déclare le projet d’intérêt général. A la fin de l’année, le permis de construire est validée par le Grand Lyon. Une décision contestée par les opposants.
En janvier 2012, le préfet valide les déclarations d’utilité publique qui permettent l’expropriation de propriétaires privés afin de construire des voies d’accès (voitures et transports en commun) au futur grand stade. Ces décisions préfectorales sont elles aussi attaquées. Les opposants sont déboutés en partie par le tribunal administratif en première instance qui leur donne toutefois raison concernant le prolongement du tramway T3 jusqu’au grand stade. En appel, ces déclarations d’utilité publique sont annulées pour des vices de forme et l’annulation du prolongement du tram confirmée.
Mais pas de quoi arrêter le chantier et le projet. Aulas et Collomb avancent. Au moment où tombent ces décisions de la justice administrative, les accès au stade sont en grande partie déjà réalisés ! Et le bouclage financier du projet à peine ficelé.
Un agriculteur, des moutons et des zadistes
Pour construire des voies d’accès au grand stade il a fallu pour le Grand Lyon et la Métropole, en passer par l’expropriation. Celle notamment d’une trentaine d’agriculteurs du secteur. Parmi eux, une figure s’est détachée. Celle de Philippe Layat, agriculteur céréalier qui élève aussi quelques moutons et travaille comme détective privé. Un personnage qui l’est devenu un peu malgré lui, embringué dans la lutte derrière des étendards dont il fait au fond peu cas.
Possédant 25 ha de terres à cheval sur Décines et Chassieu, l’expropriation portant sur 9 ha a coupé son terrain en deux. Pour ces terrains classés « N », soit en zone à protéger, Le Grand Lyon lui en a proposé 1€ du m². Il crie alors « à l’hérésie » quand les parcelles avoisinantes classées elles en « forte urbanisation » ont été cédées pour 40€ du m². Au Grand Lyon, on souligne alors qu’il est celui qui « parle plus fort que les autres » qui eux « ont fini par comprendre qu’il était préférable de négocier ».
Au printemps 2012, un collectif d’opposants s’installe sur la colline du Biézin à Décines. C’est un petit Notre-Dame-des-Landes qui s’organise entre petites habitations et tentes. La version lyonnaise s’appelle les « Fils de Butte ». Ils campent là pour empêcher le début des travaux qui interviendra pourtant à l’été 2013. Ils seront restés sur place environ un an et demi. Début septembre 2013, ils sont finalement expulsés. Cinq jours auparavant ils avaient accueilli dans leur campement des Roms expulsés d’un bidonville de Vaulx-en-Velin. Les riverains qui jusque-là toléraient « les hippies » s’étaient alors mobilisés.
Philippe Layat a continué à s’opposer farouchement à la construction des voies d’accès sur ses anciennes terres et à contester les procédures d’expropriation. Il est devenu le visage médiatique de l’opposition à « l’OL Land ». Finalement, en septembre 2014, les bulldozers arrivent sur ses anciennes terres sous forte escorte policière.
Aujourd’hui, l’agriculteur ferraille toujours contre la Métropole de Lyon. Les procédures ne sont pas terminées mais les revers s’accumulent pour lui. Il conteste encore les aménagements et la mise en sécurité selon lui insuffisante de ses terres effectués par la Métropole.
Achevé en près de deux ans et demi à partir du début des travaux, le Grand Stade est désormais là prêt à être inauguré. Complexe totalement privé quant aux bénéfices qu’il doit généré, il reste une machine à créer du rêve et du cash.
Après avoir répété qu’il n’avait rien coûté aux contribuables locaux, Jean-Michel Aulas et le club ont largement communiqué sur la dimension ultra-moderne et connectée du stade. Commande depuis sa place, visionnage de ralentis et option multicam via une appli smartphone… Le Grand Stade se veut l’équivalent des grands stades européens comme celui de Munich, d’Arsenal à Londres ou celui de Manchester City. Derrière ces nouveaux services se cachent aussi et surtout une volonté de rentabiliser plus largement l’équipement et de générer davantage de recettes. Avec ce nouveau stade le club veut que les supporters dépensent plus et ne s’en cache pas.
D’ailleurs, il y a davantage de loges et davantage de places plus chères.
Avec les équipement du parc attenant, le stade doit accueillir d’autres manifestations sportives ainsi que des concerts pour faire marcher la machine à cash. Le montage financier compliqué et la réticence de certains partenaires privés à prendre certains risques en attestent : tous n’ont pas cru ou ne croient pas au modèle économique de Jean-Michel Aulas.
Le contribuable ne semble avoir aujourd’hui d’autre choix que d’espérer que cela fonctionne. Les emprunts à rembourser sont lourds. Malgré la charge assumée par les collectivités locales pour les travaux d’accès, le montage financier reste pour l’heure moins risqué pour elles que les fameux « PPP » (partenariats public-privés) choisis pour la construction ou la rénovation d’autres grands stades en France et qui représentent à long terme une menace sur leurs finances.
Mais en cas de défaillance, que se passera-t-il ? Dans le dernier numéro de Lyon Capitale, un élu socialiste de la Métropole jugeait ainsi que la garantie bancaire accordée pour boucler le financement signifiait aux investisseurs privés que « si tout se passe mal, le stade sera municipalisé ».
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