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Une monnaie pour Lyon : que peut changer la Gonette dans l’économie locale ?

La Gonette, 31e monnaie locale complémentaire, a été officiellement lancée ce samedi 7 novembre à Lyon.

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Une monnaie pour Lyon : que peut changer la Gonette dans l’économie locale  ?

> Nous republions notre article du 27 septembre dernier

 

Sur le papier, le projet de la Gonette est plutôt attractif : une monnaie citoyenne, tournée vers l’économie locale et le développement durable. Mais à y regarder de plus près, cette initiative présente des faiblesses qui peuvent faire douter de son succès éventuel. 

Montage « monnaie locale ». Crédit : CC/Labrèche.

Le 7 novembre prochain sera lancée une nouvelle monnaie, locale et citoyenne. Elle est baptisée la Gonette, parce qu’à Lyon, un Gone, c’est un gamin du pays. Cette monnaie sera utilisable en parallèle à l’euro, uniquement chez certains petits commerçants de Lyon et de ses environs qui respectent une charte de valeurs précises, visant à « promouvoir le commerce local, écologique, humain et social ».

Après avoir acheté leur carte de membre auprès de l’association la Gonette, les utilisateurs de cette monnaie pourront échanger des Gonettes contre des euros auprès du Crédit coopératif de Lyon, banque partenaire, ou auprès de certains commerçants.

C’est simple : une Gonette vaut un euro.

Comme pour toutes les autres monnaies locales, les porteurs du projet sont partis d’un constat : depuis plusieurs dizaines d’années, 98 % des transactions financières opérées proviennent de la spéculation des les marchés financiers et 2 % seulement alimentent l’économie réelle.

Dans cette vidéo, les membres de l’association la Gonette ont imaginé un bourg peuplé de poussins qui, un jour, décident de créer leur propre monnaie, et font ainsi émerger « une économie florissante qui profite à tout le village et au-delà. »

 

Les militants parlent aux militants

Créée par une quarantaine de citoyens, majoritairement des trentenaires déjà engagés dans d’autres associations ou collectifs militants, la Gonette  permettrait de proposer une alternative à ce système. Selon une étude réalisée par l’association, la majorité de ses membres voient en cette monnaie locale un moyen de « refaire la société ».

Pas étonnant dès lors qu’ils soient soutenus par une quarantaine de collectifs lyonnais proches des mouvements altermondialistes ou alternatifs comme Alternatiba ou les Amaps.

Selon Jérôme Blanc, professeur d’économie à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, spécialiste des monnaies locales citoyennes, la création d’une monnaie locale est si complexe que seuls des citoyens militants peuvent l’initier :

« Les personnes qui lancent une monnaie locale sont des gens qui ont déjà réfléchi à la question et qui entrent dans une démarche militante. Le paradoxe, c’est que, au début du processus de création d’une monnaie locale, ce socle militant restreint est nécessaire, voire inévitable, alors que la monnaie locale vise à s’adresser au plus grand nombre. »

Une démarche confidentielle que Nicolas Briet, salarié de l’association La Gonette, chargé de la communication, assume avec humour :

« Avec mon diplôme de chimie, j’étais bien éloigné du monde de la finance. Mais à un moment, je ne sais pas, j’ai dû trop faire de yoga et regarder trop de documentaires sur le sujet, j’ai voulu changer les choses ! »

L’équipe de bénévoles de la Gonette. Crédits : Florent Custodio

Les premiers commerçants partenaires sont d’ailleurs déjà sensibles au sujet, à l’image de Sophie Dommange, à la tête du restaurant végétarien, sans chimie ni OGM Soline : 

« J’étais parmi les premières à prendre part au projet. Cela m’a paru logique : on y retrouve les valeurs qu’on défend dans notre commerce. »

Chez les commerçants présentés comme partenaires sur le site et que nous avons contactés, nombreux sont encore en phase de réflexion. Rien d’alarmant pour Sophie Dommange, membre de la commission partenariat :

« Ces commerces sont en cours d’ahésion. Nous espérons une cinquantaine de commerçants partenaires d’ici le lancement, le 7 novembre prochain. »

Nicolas Briet travaille à fédérer un maximum de citoyens, avec pas moins de 500 commerçants utilisateurs de la Gonette d’ici 5 ans :

« C’est vrai que notre démarche n’est pas facile à expliquer. Mais c’est comme une grossesse. Au début, c’est fragile mais une fois enclenchée, c’est parti ! »

« La Gonette ne va pas se répandre dans toute la métropole »

L’association soigne sa communication. Depuis début Septembre, les événements de promotion de la Gonette se multiplient, que ce soit auprès du grand public grâce aux journées du patrimoine ou dans les milieux initiés, comme cette intervention des membres de l’association à l’occasion d’une réunion publique d’Alternatiba.

Mais cette monnaie ne pourra pas se généraliser, voire se substituer aux monnaies classiques selon Jérôme Blanc :

« Ce que nous montrent les expériences connues, c’est que jamai, le seuil d’un millier de prestataires ou de 5000 usagers n’a été dépassé. Ces projets, portés par des personnes défendant des milieux militants proches d’idées vertes et/ou libertaires, séduisent souvent un petit nombre. La Gonette ne va donc pas se répandre dans toute la Métropole. Mais elle peut participer à sensibiliser le public à ces sujets. »

Toulouse, Toulon, Boulogne-sur-Mer : depuis 4 ans, une trentaine de monnaies locales est sortie de terre, aux quatre coins de France. C’est au pays Basque que l’expérience a été la plus concluante. Porté par l’argument identitaire, l’eusko s’est rapidement développé. Dans une interview au Monde, le coprésident d’Euska Moneta, l’association en charge de la gestion de l’Eusko, voit en cette monnaie un vecteur de défense de la culture basque :

« Les gens ne parlent plus assez basque ici, on veut donc réimpulser [la langue basque] par la monnaie « 

En seulement deux ans. la monnaie basque a séduit 600 prestataires et 3 000 prestataires, selon la Semaine du Pays Basque. Un succès qui ne se dément pas, comme le montre ce reportage de France 3 :

A Lyon, où cet argument identitaire n’est pas le plus fort, Nicolas Briet et ses acolytes jouent plutôt la carte du projet citoyen, tourné vers une économie durable et locale pour promouvoir leur monnaie :

« Avec la Gonette, on crée des connexions dans les acteurs lyonnais, car on incite les commerçants, par un système de commissions, à payer leurs fournisseurs avec cette monnaie. Cela permet de renforcer l’économie locale. Et puis, l’argent a la même puissance qu’un bulletin de vote. Puisque c’est la finance qui dirige le monde, avec la Gonette, on a la possibilité de choisir à qui on donne notre argent. C’est une innovation démocratique. »

La monnaie, ça coûte (63 000 euros)

Une innovation démocratique qui a eu bien des difficultés à voir le jour, comme se souvient Sophie Demmange :

« Au tout début, il y a quatre ans, il y avait une réelle effervescence. Au fil des réunions, le nombre de bénévoles s’est réduit. Chacun a sa vie et comme rien n’était concret, c’était décourageant. On s’est retrouvé à quatre autour d’une table. Là, ça a été dur. »

Car lancer une monnaie locale, ça coûte de l’argent. Dans son budget prévisionnel, que Rue89Lyon s’est procuré, l’association prévoit 63 000 euros de dépenses pour 2015-2016, dont plus du quart alloué à la communication et à l’organisation d’événements.

Le logo de la Gonette. Crédits : DR.

Pour rentrer dans ses frais, la Gonette se fonde largement sur les investissements publics et privés. Une aide financière de la Région Rhône-Alpes de l’ordre de 45 000 euros est ainsi venue relancer la machine en décembre dernier. Cyril Kretzchmar, conseiller délégué à la nouvelle économie, aux nouveaux emplois, à l’artisanat et à l’économie sociale et solidaire à la Région Rhône-Alpes y voit en effet un moyen de booster l’économie locale  :

« Nous avons soutenu une dizaine d’initiatives de la sorte dans la région. Nous tenons à accompagner ce genre de projets innovants, qui stimulent l’économie locale. Plus on localise l’échange, plus le territoire s’enrichit. On ne sait pas encore si la Gonette aura un effet levier sur l’économie locale, mais je prends le pari. »

Pour Jérome Blanc, cet apport était indispensable :

« Les monnaies locales qui ont réussi sont des monnaies soutenues financièrement par les collectivités territoriales. Avec ces subventions publiques, les porteurs du projet peuvent salarier plusieurs personnes permettant de travailler à plein temps sur le développement de la monnaie. »

Le projet n’est ainsi autofinancé qu’à hauteur de 20 %. Des fonds propres qui proviennent d’un appel aux dons, lancé sur une plateforme de crowdfunding début septembre. Objectif : récolter 20 00 euros d’ici la fin du mois d’octobre. Un moyen également de tester la popularité du projet chez les Lyonnais pour Nicolas Briet :

« On a besoin de savoir si on est soutenu et si les Lyonnais sont motivés par cette monnaie locale. »

A l’une des présentations de la Gonette

Pour l’heure, une centaine de personnes ont permis de  récolter environ 20 % de la somme espérée. Nicolas Briet est conscient que rien n’est encore fait :

« C’est un long marathon. Il faut tenir. »

Alors marchera, marchera pas ? Pour Jérôme Blanc, les porteurs du projet peuvent avoir bon espoir :

« Les valeurs portées par cette monnaie sont dans l’air du temps. Jamais autant de personnes ont mangé bio. Après, il faut une alchimie complexe pour qu’un tel projet fonctionne. Il est plus facile d’expliquer l’échec d’une monnaie locale que son succès ! »

Mis à jour le 28/09/2015 à 9 H avec rectificatif budget (63 000 euros au lieu de 630 000 euros). 


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Photo : LB/Rue89Lyon

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