En décembre 2014, une petite cellule de communication pour le compte du diocèse de Lyon avait fait de la visite du cardinal Barbarin auprès des chrétiens d’Irak à Erbil un véritable « buzz ».
« Plus de 40000 tweets, 7500 articles de presse dans le monde, le sujet a été en TT Monde (TT pour Trending Topics, actualités les plus discutées sur Twitter, ndlr) », rappelait un membre de l’équipe.
Le succès de l’opération a donné des idées aux Dominicains qui organisaient jusqu’à ce dimanche le pèlerinage du Rosaire à Lourdes.
Ils ont fait appel à l’équipe lyonnaise, structurée derrière l’association Noé 3.0, afin de dire, autant que possible qu’il ne s’agit pas d’« un pèlerinage de mamies ».
Community managers, photographes, développeurs, journalistes, « cathos » de droite et de gauche, ils se sont retrouvés pour assurer la présence de l’événement sur les réseaux sociaux, décliner Bernadette Soubirous en mèmes, choper le 06 de Nikos Aliagas ou produire des JT pour faire « buzzer la bonne nouvelle ».
Il est environ 9h ce matin du mercredi 7 octobre. Déjà 250 tweets depuis le début de la matinée et Thomas, ingénieur informaticien, passe la tête de derrière ses deux Mac pour fixer les objectifs. Arrivés sur place la veille, les membres de l’équipe de communication ont lancé ce matin-là #OPLourdes. « OP » comme opération mais aussi comme Ordre des Prêcheurs, l’autre nom de l‘Ordre des dominicains.
Derrière ce hashtag, ils vont assurer la présence en ligne du pèlerinage du Rosaire et rendre la cité mariale un peu plus virale. Les « cathogeeks », comme ils se sont baptisés, ont installé leur QG dans les locaux du musée de Sainte-Bernadette et de Radio Présence, à deux pas de pèlerins de l’entrée du sanctuaire. Une salle est réservée aux community managers (CM) et spécialistes de l’image. Son petit nom : la « war room ». Dans une autre, adjacente, s’est installé le pôle vidéo.
Noé 3.0, une boîte de com’ qui a la foi
Natalia Trouiller, ancienne journaliste, est la reine respectée de cette ruche numérique. Ex-chargée de com du diocèse de Lyon, elle était déjà à la manoeuvre pour l’opération #Erbilight en décembre 2014, lors de la visite du cardinal Barbarin auprès de chrétiens d’Irak dans la ville d’Erbil.
Après son succès, qui a surpris jusqu’à ses instigateurs, l’équipe a créé l’association Noé 3.0. Noé pour « Nouveaux Outils d’Evangélisation » et clin d’oeil évident à la référence biblique.
L’association propose ses services à des associations ou structures chrétiennes. L’activité n’en demeure pas moins commerciale. Les Dominicains ont donc lâché un billet pour faire la promotion du pèlerinage mais personne n’a souhaité nous confesser son montant.
L’équipe réfléchit d’ailleurs à créer une société. Pour cette mission relativement longue, les besoins sont plus importants et la cellule lyonnaise a mobilisé une cinquantaine de bénévoles venus des quatre coins du pays.
« Noé assure l’intendance et conçoit l’opération. Après, on tape dans un réseau », explique Natalia Trouiller.
Autour de la table dans la « war room » beaucoup se sont rencontrés pour la première fois. Journalistes pour des médias catholiques, photographes, communicants pour des communautés catholiques, prêtres ou laïcs, il ont eu pour première mission de parvenir à travailler ensemble.
« Le Christ a été le premier community manager »
Le principe est simple : produire du contenu sur le terrain et le relayer sur les réseaux sociaux. Les photographes ont sillonné le sanctuaire pour shooter visages et moments importants de la journée, les journalistes live-tweeté des conférences et rapportent sons ou images pour faire vivre les moments forts de la journée.
De retour à la « war room » les community managers diffusaient le contenu collecté et produit.
Objectif avoué : relancer un pèlerinage en perte de vitesse, comme la fréquentation générale du sanctuaire. Même si sur place, de l’avis de beaucoup le pèlerinage du Rosaire est celui qui souffre le moins.
« Le pèlerinage est plus jeune qu’on ne le pense. Ce n’est pas un pèlerinage pour mamies. On veut aussi maintenir le lien pour ceux qui ne peuvent pas venir. Les frères en Bolivie par exemple, sont sur Facebook. Alors le Rosaire sera célébré quelque part dans la Cordillère des Andes. On est assez famille », nous a expliqué le frère Eric Salobir, promoteur général pour les médias de l’ordre des dominicains.
Au mur, les recommandations sont claires pour les photos : « jeunissez » (sic).
Et pour aller les toucher, il faut investir les supports numériques et les réseaux sociaux. Mardi 6 octobre, dans le train de pèlerins qui nous menait jusqu’à Lourdes depuis Lyon, un proche collaborateur du cardinal Barbarin nous confiait toute la symbolique catholique que véhiculait selon lui les réseaux sociaux. Et l’évidence alors d’une présence aujourd’hui de l’Église catholique sur ces terrains.
« Le Christ a été le premier community manager. Une communauté c’est religieux à l’origine. Le following, cette notion de ‘qui m’aime me suive’, c’est très évangélique. Le partage, c’est catho ça aussi. »
Romain, 16 ans, est en première ES au lycée Saint-Thomas d’Aquin à Oullins, il a fait le voyage dans ce même train. Même s’il nous a dit parler assez peu de sa foi sur les réseaux sociaux de peur d’apparaître trop prosélyte – « ça donne un côté Témoins de Jéhovah »- il apprécie d’y voir une présence catho.
« C’est de plus en plus dur de s’identifier à une église qui est vieillotte. Avec les nouvelles technologies, elle devient plus proche de nous.»
« La sainte Trinité : un site, un compte Twitter, un profil Facebook »
En amont du « pèlé », comme on dit dans le milieu, un site a été lancé : jenfiledesperles.fr. C’est de l’humour . Le jeu de mots fait référence aux perles des chapelets et conduit le visiteur vers les contenus produits autour du pèlerinage mais sans s’afficher directement comme un site catho. La « bio » du compte Twitter dit ainsi : « J’enfiles des perles, LE site des passionnés de perles et de piscines ! ».
« C’est pour attirer des gens périphériques qui ne sont pas familiers avec le Rosaire. C’est là aussi que nous constituons une chaîne de prières et que nous relayons les journaux télévisés », raconte Natalia Trouiller.
Dans la matinée, la mécanique de l’équipe s’est mise doucement en place. Peu avant le début de la messe inaugurale, les photographes sont partis en direction du sanctuaire, pour une messe relayée en même temps sur Twitter. On a pu entendre ce type de phrases :
« Bon, faut que j’aille live-tweeter l’homélie là. »
Pour faciliter le travail en direct, l’équipe a demandé à certains conférenciers d’envoyer leurs communications en amont. Elles ont été découpées en extraits de 140 signes.
Les CM de l’équipe ont commencé à diffuser du contenu sur les comptes officiels de jenfiledesperles.fr. Encore peu suivis, pour beaucoup d’entre eux ont publié derrière différents comptes Twitter et profils Facebook. Leurs comptes personnels mais aussi ceux plus institutionnels de communautés, organismes ou médias pour lesquels ils travaillent à l’ordinaire.
Sophie Lebrun, journaliste (avec 4700 followers), a posté des photos dès son arrivée à Lourdes .
« Je fais une petite tweetstory, c’est la première fois que je viens au pélerinage du Rosaire ».
Mais durant le pèlerinage, elle a aussi tweeté derrière le compte de Marthe Robin, fondatrice des Foyers de la Charité pour qui elle a travaillé, et celui des Chrétiens à gauche.
« Derrière ce hastag #OPLourdes chacun met avant l’événement et le contenu selon sa sensibilité. Après, tout dépend du compte. Derrière celui de Marthe Robin, je vais être dans la gentillesse et la tendresse. Derrière le mien, je serai amour et passion »
Pour elle, le mode opératoire est simple :
« Ici aussi c’est la Sainte Trinité : un site web vers lequel renvoyer, un compte Twitter et un profil Facebook. »
Mobiliser les réseaux (+ Nikos Aliagas)
Tous les membres de cette équipe de com’ éphémère ont mis à contribution leurs réseaux. Sur les écrans, on a pu voir des messages privés se multiplier pour demander à des personnalités de relayer le contenu tagué #OPLourdes. Parfois, avec succès.
« Yes ! L’Abbé Grosjean a retweeté ! Je le lui avais demandé par texto. »
Pour tenter de faire monter la vague des défis sont lancés : parvenir à faire tweeter ou retweeter des personnalités, cathos ou cathos-friendly, sur l’évènement. Quelques noms sont rédigés sur des post-it pour chacun : Hervé Mariton, BHL, Cécile Duflot, Nikos Aliagas…
« Nastasha Saint-Pier, elle pourrait nous retweeter, elle est très catho. »
L’affluence, dans le contexte d’une baisse de la fréquentation, reste un enjeu important : 20 000 pèlerins ont été annoncés cette année. Alors les CM ont passé commande en conséquence aux photographes tout juste rentrés de la messe :
« Je veux du pèlerin, là, beaucoup de monde. Oui, celles-ci sont très bien. Vas-y balance-les », demande Guillaume au photographe François-Régis.
Pendant ce temps-là, Thomas Gallice, contrôlait le bruit généré sur les réseaux sociaux. Il a mis au point un outil, sur mesure, une sorte de tableau de bord général de l’activité sur les réseaux sociaux. Le programme, encore en cours de développement, est installé sur un Raspberry Pi (ordinateur de la taille d’une carte de crédit, ndlr).
Connecté aux API de Facebook et Twitter, il récupère les statistiques de base des comptes de jenfiledesperles. Il a ajouté un indice de performance général pour Twitter.
« Je calcule des points de performance à différents niveaux. Je calcule le ratio de retweet par le nombre de tweets avec le hastag #OPLourdes ou encore le ratio de tweets avec le hastag de nos followers. Ça s’actualise toutes les 30 minutes et ça me donne au final un indice de performance global ».
A 14h, le compteur affichait environ 2200 tweets #OPLourdes.
Pimp my Bernadette
Le défi pour l’équipe est aussi de dépasser les frontières de la sphère catho. Investir ces terrains numériques et espaces de dialogues peu familiers pour l’Église reste encore quelque chose de nouveau. Au-delà des sollicitations de gros comptes, il faut montrer qu’on connaît les codes. Et qu’on sait l’adapter à son message.
Une porte d’entrée : l’humour. Le site Jenfiledesperles.fr n’en était qu’un avant-goût. La veille, dans le train de pèlerins qui nous menait jusqu’à Lourdes, un membre de l’entourage du cardinal Barbarin nous disait :
« On peut être chrétiens et drôles, grâce à Dieu. »
Emmanuelle Dancourt, journaliste pour la chaîne catho Kto venue donner un coup de main au pôle vidéo, a regardé le travail d’un œil approbateur :
« Ils ont compris l’impact de l’humour sur les réseaux sociaux ».
« Oui, c’est vrai, on ose », renchérit Clément Borioli. Il y a deux ans il était encore l’un des porte-paroles de la Manif pour Tous, via son association Homovox (catho gay contre la loi Taubira). Après deux ans dans une communauté religieuse à Rome, il est venu s’installer à Lourdes.
Tout au long de la journée, des légendes humoristiques ainsi accompagné certaines photos en alternance avec du contenu plus sérieux.
Ils ont quand même du swag les dominos #OPLourdes pic.twitter.com/Ik7lqLUkTR
— Natalia Trouiller ن (@ntrouiller) 7 Octobre 2015
Live from Lourdes with the Dominicans #OPLourdes Poke @miesWdrodze @OP_Tours @Dominicains2015 @LaicsOP @OpToulouse pic.twitter.com/4mGoXV79DC — Eric Salobir o.p. (@frEricOP) 9 Octobre 2015
Tous ces mecs à genoux devant une femme, ça fait plaiz’ Poke @Femen_France #OPLourdes pic.twitter.com/u9QEemgiU3
— Khagnine شكرًا مريم (@Khagnine) 9 Octobre 2015
Pour se moquer gentiment du look catho et des tenues des ecclésiastiques, des petits « points mode » ont parsemé les fils Twitter.
Décryptage style d’#OPLourdes pic.twitter.com/nDTm1Sj0fs — Khagnine شكرًا مريم (@Khagnine) 8 Octobre 2015
Passage obligé des réseaux sociaux : les mèmes. La figure emblématique de Bernadette Soubirous, qui dit avoir vu la Vierge à plusieurs reprises en 1858 dans la grotte où se pressent aujourd’hui des millions de croyants, n’y a pas échappé. Maquillée ou avec un gros joint au bec, la bergère de Lourdes est ainsi transportée sur les internets.
Pimp my what ? pic.twitter.com/DkJm6gHO1s — Le PetitChose (@lepetitchose) 7 Octobre 2015
Le cardinal Barbarin, en son temps, pour l’opération #Erbilight, avait aussi eu droit à son mème :
Thomas Gaudin, le graphiste et responsable de ces détournements, justifie ainsi leur emploi :
« C’est pour montrer qu’il faut être décomplexé par rapport à ça et qu’on ne doit pas tout prendre avec des pincettes. Une blague reste une blague. Mais si on a des mèmes politiquement incorrects, on les tweete depuis des comptes indépendants ».
« Pimp my Bernadette » est lui parti sur les comptes officiels. Il n’a pas été inutile puisqu’il a en tout cas convaincu Nikos Aliagas de tweeter au sujet d’ #OPLourdes. Après quelques échanges de textos avec l’animateur, l’information s’est répandue et a suscité son petit frisson dans l’équipe : officiel, Nikos a tweeté et même retweeté. Un compte à un million de followers environ.
Un petit salut à tous les bénévoles qui s’occupent des malades à l’ #oplourdes ! Miracle ! La générosité existe! pic.twitter.com/V86hpp8YoH — Nikos Aliagas (@nikosaliagas) 7 Octobre 2015
Le présentateur vedette de TF1 a connu des tweets suscitant un engagement plus important et est vite repassé à The Voice. Mais pour l’équipe cette petite victoire en a permis d’autres.
« On a eu le chanteur Grégoire, il voudrait lui aussi faire un tweet. Il a vu celui de Nikos. J’ai l’impression de travailler à Télé Z là », rigolait ainsi Thomas, le graphiste.
Le chanteur a finit lui aussi par y aller de son petit coup de pouce après que l’équipe lui ai soumis une proposition de tweet.
Tout mon soutien aux personnes porteuses d’un handicap en pélerinage avec #OPLourdes pic.twitter.com/BucIS9q2rr
— Gregoire Officiel (@Gregoireoff) 7 Octobre 2015
Et Nikos Aliagas a même fini par suivre le compte de l’Ordre des Dominicains.
Alliance sacrée dans une « war-room »
En début de soirée, quelques frères dominicains sont venus visiter la « war room ». Patrick Lion, responsable stratégique de Noé 3.0, assure la visite guidée. Il loue notamment le mélange des communautés catholiques au sein de l’équipe.
«On est une équipe de 5-6 permanents avec 70 personnes mobilisables à qui on propose ce genre d’actions. Parmi elles on trouve des cathos tradi, des gens de la communauté des Béatitudes, des paroisses diocésaines, de la communauté Saint-Martin et plein d’autres. »
A travers eux, ce sont en effet différentes « tribus » catholiques qui s’unissent le temps du pèlerinage. Honorine Grasset est membre des Foyers de Charité en tant que célibataire consacrée. Pour #OPLourdes elle assure la présentation du journal télévisé quotidien diffusé sur Youtube.
Elle l’a présenté en tandem avec le prêtre Gabriel Roussineau, membre de la communauté du Chemin Neuf basée à Lyon et en charge du programme « Net for God« . Au soir de leur première, ils étaient encore tout heureux et presque surpris d’avoir pu réaliser un journal d’une dizaine de minutes en s’étant rencontrés le matin même.
« C’est le signe qu’on est des chrétiens d’horizons différents mais qu’on peut travailler ensemble. C’est le témoignage de cette Eglise qu’on véhicule aussi à travers cette opération. Ce qu’on doit mettre en valeur existe, c’est un message de paix qui est immense et qui nous dépasse », témoignait Honorine.
« On s’est reparlé entre cathos grâce aux réseaux sociaux »
Les réseaux sociaux comme lieux de dialogues, voire de « réconciliation » entre communautés catholiques, c’est ce qui nous a été raconté. Par un proche collaborateur du cardinal Barbarin notamment :
« On s’est reparlé entre tribus cathos, sur les réseaux sociaux. On voit aujourd’hui des gens de Témoignage Chrétien retweeter un journaliste de France Catholique alors qu’il y a 10 ans c’était inimaginable. Les réseaux sociaux aident à s’expliquer sur des questions et c’est une chance.»
Si les réseaux sociaux ont pu avoir des effets inattendus et bienfaisants pour renouer le dialogue, les instigateurs de l’opération #OPLourdes attendent aussi qu’ils deviennent un terrain du partage de la foi et de l’évangélisation. Certains regrettent les réticences de croyants à parler de leur foi. Ce genre d’opérations doit, selon eux, permettre de briser les réticences. C’est le point de vue de Patrick Lion :
« En revenant d’un événement comme le pèlerinage du Rosaire les gens n’osent pas dire ce qu’ils ont vécu. Ils se le disent entre cathos mais pas au-delà. »
Dans la soirée, après 400 photos traitées, près de 3000 tweets, beaucoup de cafés et quelques Red Bull, l’équipe a quitté peu à peu la « war room ». #OPLourdes ne faisait pas parti des TT France mais l’activité générée satisfaisait tout de même Thomas le développeur.
« Pour #Erbilight on avait fait mieux. Mais ce n’est que le premier jour, on va voir les prochains jours ce que ça va enclencher. »
23h, fermeture de la war room.
#OPLourdes s’est poursuivi jusqu’à dimanche. Elle était aussi un galop d’essai pour les Dominicains. Le mois prochain, l’ordre religieux fêtera ses 800 ans à Rome. Futur nom de code : #OP800.
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