Elles demandent à l’élu d’expliciter la coupe budgétaire de 7 millions d’euros qui leur a été annoncée en juin, mais surtout de présenter un projet politique qui leur semble complètement absent à ce jour.
Une ville qui dédie 20% de son budget total à la culture, ça en jette un peu. Aussi, quand l’annonce d’une coupe budgétaire à hauteur de 7 millions d’euros est tombée, en juin dernier, les premiers concernés sont restés, semble-t-il, anesthésiés. Pas de mouvement de colère, pas de communiqué de presse offusqué.
Lors de la traditionnelle soirée de rentrée culturelle organisée par la Ville de Lyon, le 2 septembre dernier, personne n’a moufté, même si on a entendu des grognements devant le buffet -pas contre le vin aigre mais contre la baisse généralisée de subventions. “Difficile de protester auprès de celui qui vous fait vivre”.
Cela a mis un peu de temps mais, finalement, après une quinzaine de jours de discussion, nécessaires pour peser chaque mot rédigé, tout ce que Lyon compte de directeurs prestigieux a fini par s’accorder.
Seules les structures dédiées au spectacle vivant se sont concertées. Attention les yeux, ça brille :
Serge Dorny pour l’Opéra de Lyon, Dominique Hervieu pour la Maison de la Danse, Guy Walter pour la Villa Gillet, avec Cathy Bouvard pour les Subsistances, Claudia Stavisky pour le Théâtre des Célestins, Jean Lacornerie pour celui de la Croix-Rousse. Ce n’est pas fini : Jean-Marc Bador pour l’Auditorium et l’Orchestre national de Lyon, Joris Mathieu pour le TNG (Théâtre Nouvelle Génération) et le Théâtre des Ateliers -bien que ce dernier metteur en scène ne soit pas touché par la coupe de subventions, il a tenu à poser sa signature.
« L’événementialisation de la culture »
Ce qui a provoqué cette lettre ? Ce sont notamment les propos que l’adjoint au maire a tenus dans une interview donnée au magazine lyonnais Exit. Georges Képénékian y aborde sans détour sa volonté de voir une forme de “souplesse” gagner les emplois dans la culture à Lyon, celle de voir bouger les lignes chez ceux qui ont toujours eu beaucoup. L’adjoint attend d’eux des efforts, visibles.
Tous s’interrogent. Le ton du courrier des acteurs culturels est très sobre. Il évoque un “étonnement”, du “dépit”.
Les directeurs indiquent qu’ils souhaitent désormais engager un dialogue :
“Cette concertation, nous l’aurions souhaitée en amont des décisions et des déclarations à la presse”.
Georges Képénékian, que nous avons joint, a du mal à cacher une forme de fatigue, plus encore que d’exaspération :
“Le dialogue n’a jamais été rompu, bien évidemment. Une réunion s’organise, là, avec tout le monde. Tous ont très bien compris que, dans le contexte actuel, on ne pouvait pas sanctuariser la culture. Quand ça va mal, c’est généralement le premier poste budgétaire qu’une ville fait sauter. A Lyon, cela n’est pas le cas, il en reste encore beaucoup, de l’argent, pour la culture !”
Dans le courrier, on reproche toutefois à l’élu d’avoir annoncé les coupes budgétaires de façon lapidaire, en juin dernier. De l’avoir fait de façon dispersée, sans donner de perspectives ni de ligne politique claire.
En aparté, on nous dit aussi :
« A Lyon, on assiste à l’événementialisation de la culture. On dirait qu’il ne faut plus que des choses qui marchent, qui fonctionnent avec peu car ce ne sont pas les mêmes économies ni le même travail dans le temps : un Festival de la Rose, un festival Quais du Polar… »
Le premier adjoint assure que jouer le porteur de mauvaises nouvelles ne lui plait pas. Mais il voudrait aussi relativiser, en confiant que beaucoup d’autres acteurs culturels le soutiennent actuellement dans ses choix -ceux qui estiment que, justement, les victimes des coupes ont toujours eu beaucoup.
Les Subsistances dans l’oeil du cyclone
Alors que le climat était déjà morose, un rapport de la chambre régionale des comptes relatif aux Subsistances a fini de le rendre tout à fait délétère, repris dans des articles parus en salve la semaine dernière.
Le magistrat de la cour des comptes qui s’est donc rendu « aux Subs » pour une inspection complète, l’an dernier, a rendu des conclusions acides. Les résidences régulières de quelques compagnies sont pointées du doigt. Entre les lignes, c’est quasiment de copinage que sont accusés les directeurs des Subsistances. Mais aussi d’avoir gonflé les chiffres de fréquentation du lieu, ou encore de ne pas avoir mis en place un comité de pilotage avec la Ville de Lyon qui, en tant que tutelle de la structure, en prend aussi pour son grade.
Guy Walter, directeur des Subsistances (à qui il est également reproché un salaire s’approchant des 10 000 euros par mois, pour la gestion des Subs mais aussi de la Villa Gillet), a répondu à son tour par voie de presse. Pour lui, il s’agit de considérations idéologiques, inacceptables dans ce type de rapport. L’association qui gère les Subsistances a répondu sur chacun des points soulevés (rappelant notamment qu’elle a accueilli 192 compagnies différentes en 6 ans, pour un total de 259 résidences).
Georges Képénékian n’a pas hésité à dire, quant à lui, que la structure manquait de visibilité -raison pour laquelle le lieu s’est ouvert chaque soir de l’été dernier pour différents événements. Toujours dans l’interview donnée au magazine Exit, l’adjoint a également évoqué l’image « élitiste » que dégageraient les Subsistances.
Soufflant le chaud et le froid, en tension entre la contrainte de transmettre les mauvaises nouvelles et l’envie de garder un tissu culturel riche, l’élu a par ailleurs reformulé en conseil municipal son soutien à ce lieu de création international. C’est toutefois celui qui a subi le plus violemment la baisse de subventions -elles passeront sur les trois prochaines années de 1,8 millions d’euros à 1,4 millions d’euros.
Et si l’on refait le film, on ne peut s’empêcher de penser que le rapport de la cour des comptes n’y est pas pour rien. La Ville de Lyon en a reçu copie quelques semaines avant sa publication, comme c’est la règle, dans le but de pouvoir apporter des réponses au magistrat enquêteur.
Georges Képénékian, qui a sans doute voulu anticiper la charge qu’il allait devoir encaisser après la publication d’un tel rapport, l’a lui-même dit dans la presse :
« La lisibilité et la visibilité de ce qui se passe aux Subsistances, franchement, c’est dramatique. »
Cathy Bouvard voudrait comprendre ce qu’il va advenir des lieux et des laboratoires comme celui qu’elle pilote :
“Peut-être qu’aujourd’hui ne peuvent-ils plus exister, peut-être est-ce la fin de la culture subventionnée telle qu’elle existe, qui permet de prendre le temps de la création, dans le champ des écritures contemporaines. Mais alors ce n’est pas à moi de l’annoncer. Il faut se poser la question de ce que l’on proposera, désormais.”
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