(Article publié le 14 août)
L’histoire débute lors du match France-Tunisie, en octobre 2008. La Marseillaise se fait siffler. Kamel Mouellef regarde le match. Il est « peiné » autant par les sifflements que par les réactions des clients du bar du 7e arrondissement de Lyon où Kamel boit un coup. Lui, a une conviction :
«Ces gens ont sifflé la Marseillaise car ils ne connaissent pas leur histoire. On ne leur a pas expliqué que les soldats coloniaux se sont battus sous le drapeau français depuis le XIXe siècle ».
Kamel Mouellef a 59 ans et une « belle situation professionnelle ». Mais ce cadre commercial dans une entreprise de transport se sent « lié » à cette histoire que lui racontait sa grand-mère.
Son arrière-grand-père, Alouache, tirailleur algérien, a combattu pendant la Première Guerre mondiale alors qu’il n’avait jamais mis les pieds sur le territoire métropolitain. Il est mort au front en 1918. La famille ne sait pas où il est enterré.
« Déni de mémoire »
Kamel décide de partir sur les traces de cet arrière-grand-père et de tous les autres tirailleurs coloniaux. Pour financer ses recherches, il crée une association « Déni de mémoire ». Il finit par trouver son ancêtre dans un cimetière militaire près de Soissons.
Il raconte l’histoire de son aïeul et des autres tirailleurs algériens de la Grande Guerre dans une première BD, sortie en 2011, nommée « Turcos », qu’il finance en grande partie sur ses deniers personnels.
« Pour faire connaître cette histoire, mieux vaut une BD qu’un pavé de 400 pages ».
A cette période, il commence également à s’inviter dans les commémorations des Première et Seconde guerres mondiales. Il se pointe avec le drapeau du 1er régiment de tirailleurs, qu’il a reproduit avec l’aide de l’élu du 2e arrondissement (apparenté PS) Roland Bernard.
Une première fois, le 11 novembre 2010, il se fait jeter.
« Il y avait des anciens militaires qui avaient combattu pendant la guerre d’Algérie. Ils m’ont dit que je n’avais rien à faire ici alors que ce régiment est l’un des plus décorés de l’armée française ».
Toujours muni de son drapeau, il intervient dans les écoles.
« J’explique aux jeunes qu’il ne faut pas cracher sur le drapeau ou la Marseillaise car ces élèves ont des ancêtres qui sont morts pour la France ».
« Il y avait Jean Moulin mais aussi Jean Mouloud »
Ses recherches l’amènent sur les traces des indigènes, comme on disait à cette époque-là, qui ont participé à la Résistance.
Après avoir parcouru les cimetières militaires et les monuments aux morts, il consulte les archives et scrute les plaques commémoratives de la Seconde guerre mondiale à la recherche de ces noms.
« Il n’y avait pas que des Jean Moulin, il y avait des Jean Mouloud, Jean Nguyen, Jean Cohen, Jean Kowalski ou Jean Samba ».
Cela le conduit à devenir le co-scénariste d’une autre BD (avec Olivier Jouvray et comme dessinateur Payen).
Il raconte l’histoire de ces coloniaux qui ont combattu dans les maquis du Vercors ou de la Montage noire. Il s’arrête particulièrement sur le destin de Mamadou Addi Bâ, un Guinéen qui organisa, à partir des Vosges, une filière de passage vers la zone libre dès le début de l’occupation allemande. Arrêté, il fut fusillé par les Allemands.
A la fin de l’album, les visages d’une vingtaine de Résistants sont publiés, avec documents d’archive et courte biographie. On apprend notamment que l’un des bras droits de Jean Moulin se nommait Chérif Mécheri.
Kamel Mouellef donne également le nom d’un Résistant qui a combattu dans un maquis de l’Oisans (en Isère). Maamar Ahmida est « l’Algérien inconnu » de cette plaque commémorative de la commune de Valbonnais. Né en Algérie, ce membre des FFI (Forces françaises de l’Intérieur) a été tué lors d’un combat avec une troupe allemande.
Commémorer tous les libérateurs
Selon Kamel Mouellef, « on a nié l’histoire de ces Résistants, pour créer une Résistance blanche ».
Une des manières d’en parler serait, pour lui, d’évoquer, lors des commémorations de libération des villes, toutes les nationalités qui ont combattu l’occupant et pas simplement les forces alliées.
« A Lyon, il faudrait parler de l’Armée d’Afrique et pas simplement des Américains. »
Certaines villes de l’agglomération lyonnaise ont posé des plaques commémoratives, comme à Ecully ou à Fleurieu-sur-Saône.
« Les Français de souche doivent comprendre »
Inlassablement, il continue d’interpeller les politiques pour que cette histoire soit également enseignée.
« Les Français de souche doivent comprendre qu’on est pas arrivé dans les années 80 pour leur manger leur pain. Il faut qu’ils prennent conscience que malgré les colonies, les indigènes sont restés fidèles à la France et ont combattu dans la Résistance ».
Et ne lui dites pas qu’il tient ce discours car il est « issu de l’immigration » :
« Moi, je suis né à Lyon 2e en 1956. « Issu de l’immigration », ça veut dire qu’on ne fait pas partie de la maison France. On ne le dit jamais pour un Italien ou un Portugais ».
Du genre tenace, la langue bien pendue, il a réussi à se faire une petite place dans les médias. Et pas seulement dans les colonnes de la presse locale (Le Progrès, France 3 ou Lyon Capitale). De France Culture à BFMTV (voir la vidéo ci-dessous), il a pu parler de ces « Résistants oubliés ».
Car pour lui, un seul objectif : « qu’on en parle ».
« Je ne demande aucune repentance mais simplement qu’on en parle et que cela se retrouve dans les livres d’histoire ».
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