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Viande en vente directe : « je sais qu’on va pouvoir en vivre »

Cet été les éleveurs ont manifesté un peu partout en France et ils poursuivent à la rentrée à Paris et à Lyon où la Direction régionale de l’agriculture a été occupée ce mercredi.

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Pierre Hinard. DR

Producteurs de lait ou de viande disent ne plus pouvoir continuer à vendre à des prix trop bas, rapportés à leurs coûts de production. La vente directe, de l’éleveur au consommateur, plus connue pour les fruits ou légumes, peut-elle être une solution pour la viande ?

L’éleveur et lanceur d’alerte Pierre Hinard, que nous avions invité lors de notre journée consacrée à la viande, nous explique comment s’organise sa propre production, entièrement commercialisée en vente directe et sur internet avec envoi à domicile. Un système de commercialisation intimement lié à son mode d’élevage.

Pierre Hinard. DR
Pierre Hinard. DR

Pierre Hinard s’est fait connaître en 2014 en publiant son livre « Omerta sur la viande ». Il y dénonce les dérives de l’industrie de la viande avec la complaisance de la grande distribution et la corruption des services sanitaires de l’État, à l’époque où il y a lui-même travaillé (en tant que directeur qualité pour Castel Viandes, plus précisément, société dont il a été licencié).

Ingénieur agronome de formation, il s’est lancé dans l’élevage en vente directe. Sans aucun intermédiaire, il vend au consommateur via un site internet, leboeufdherbe.fr, et propose la livraison des colis à domicile.

Un mode de production qui permet d’être moins dépendant des cours des prix de matières premières et des intermédiaires (soit les abattoirs ou la grande distribution). Moins dépendant également des coûts de l’énergie. Un poste dont les dépenses ont explosé depuis 1990 dans les exploitations conventionnelles et qui explique aussi pourquoi quand le prix de la viande augmente cela ne rémunère pas davantage les éleveurs.

La vente en circuit court de viande reste toutefois peu répandue. Elle ne concerne, selon les chiffres du ministère de l’agriculture de 2010, que 10 % de producteurs de viande en France. Mais Pierre Hinard l’assure :

« Aujourd’hui, je sais qu’on va pouvoir en vivre. C’est une reconversion réussie ».

 

« Je sais pour qui je travaille »

Sur son exploitation de 40 hectares, Pierre Hinard élève un cheptel de 30 vaches adultes et « des génisses qui restent sur la ferme, une partie pour le renouvellement, l’autre pour la viande ». De race Salers, ses vaches ne sont nourries qu’à l’herbe et au foin issu de ses champs l’hiver. Des champs sur lesquels il n’utilise aucun engrais chimique mais dont il gère naturellement fertilité et diversité.

« J’ai ramené des légumineuses qui fixent l’azote de l’air dans la terre. »

Et s’il faut désherber ?

« Cette année, avec la sécheresse, on a de la grande oseille qui a poussé. On a désherbé à la main 30 hectares avec ma femme et ma fille, ça nous a pris une semaine ».

L’éleveur apporte simplement à ses vaches des compléments minéraux : du sel marin et des algues de mer « riches en calcium organique ». Pas d’engraissement rapide avec des céréales pour ses vaches mais de l’herbe chez qui cela prend « entre cinq et six mois contre trois généralement dans l’élevage conventionnel ». Un choix fait « dans le respect de l’animal ».

« En élevage intensif ils font consommer des céréales comme du maïs ensilage et des tourteaux de soja aux vaches pour augmenter leur productivité. Mais c’est les transformer en porcs. La vache est un herbivore, elle doit être nourrie d’herbe. »

Son mode d’élevage lui permet ainsi d’autoproduire la totalité de la nourriture de ses bêtes et de ne pas être dépendant des fluctuations du cours des céréales notamment. En bout de chaîne, la vente directe apparaît comme le prolongement de ses choix d’élevage et de gestion des sols.

« On sait pour qui on travaille. On peut expliquer tout ça aux consommateurs. Changer nos modes de production et de consommation, c’est un vrai défi pour la société. Avec cette démarche, producteur et consommateur construisent ensemble, l’un pour l’autre».

S’ils se font par mail ou ou sur les réseaux sociaux, l’éleveur dit apprécier ses contacts avec ses clients.

Comment ça fonctionne ?

Pierre Hinard s’est regroupé avec quatre autres éleveurs, inscrits dans une même démarche de production respectueuse de l’environnement et d’une viande de qualité. La vente s’effectue via leur site web sur lequel on peut commander des colis, de plusieurs types, à partir de 5kg de viande.

« Il nous faut 40 colis pour abattre un animal », explique-t-il.

Pierre Hinard emmène lui-même ses bêtes à l’abattoir. Un petit abattoir, à proximité de Rennes, qui contrairement aux circuits de l’élevage conventionnel et de la grande distribution n’achète pas les bêtes et donc ne fixe pas les prix.

« Il est mon prestataire. Il ne devient pas propriétaire de mes bêtes, je repars avec, c’est essentiel pour la traçabilité », explique-t-il.

Idem pour l’atelier de découpe, distinct de l’abattoir. Un atelier qui « ne travaille qu’avec des éleveurs qui font de la vente directe ».

« J’arrive avec ma carcasse et je repars avec ma viande débitée, pesée, emballée, étiquetée. »

La viande, maturée au préalable quinze jours, est envoyée par colis dont il assure l’envoi. Pour maintenir la viande à température, entre 2° et 4°, elle est placée dans un colis isotherme avec des packs réfrigérants et livrée en moins de 24 heures.

« Récemment on a eu un colis bloqué. Le client l’a reçu 3 jours après l’envoi, en pleine canicule mais il nous a écrit pour nous dire sa surprise de voir qu’il était toujours à température. Cela fonctionne très bien. »

Ce que la vente directe change pour l’éleveur : un meilleur prix mais une gestion difficile

« Pour que le système fonctionne, il doit être économe. »

Pierre Hinard, réduit ses charges au maximum. Il n’achète donc rien ou presque pour nourrir ses bêtes et n’utilise pas de produits phytosanitaires. Pour soigner ses bêtes, il développe leur capacité immunitaire plutôt que de recourir à des antiparasitaires et antibiotiques.

« Fin août début septembre, se développent les larves de strongles (parasite qui crée des troubles digestifs chez les bovins, ndlr) que les bêtes ingèrent. Pour réduire les risques, j’ouvre un nouveau champ après une fauche et j’introduis un peu de foin et ça diminue l’attaque. Si une bête accuse le coup je lui donne de l’argile verte et du charbon de bois dans de l’eau. »

Le vétérinaire « ne vient que pour les vêlages et la prophylaxie obligatoire ». Si dans l’élevage intensif ils sont programmés pour intervenir à une seule période de l’année pour faciliter la gestion de troupeaux importants, ici « on laisse faire la nature ».

Ses dépenses en énergie sont relativement faibles également.

« J’ai un tracteur mais je ne laboure pas donc je l’utilise assez peu. Juste pour les foins, l’épandage de fumiers et alimenter le troupeau l’hiver. « 

Ses charges reposent alors notamment sur l’abattage et la découpe de ses bêtes. « 200 euros environ par bête pour l’abattoir et environ 800 euros par bête pour l’atelier de découpe », explique-t-il. Soit environ 1000 euros par bête.

Mais le système de la vente directe lui permet de s’y retrouver assure-t-il :

« Par rapport aux circuits conventionnels, je gagne 50 cents de plus par kilo. Au final, je gagne 200 euros de plus par bête ».

Pour l’heure, il n’empêche que la gestion de son cheptel reste délicate quand « il manque des commandes ». Sollicité par des bouchers, il refuse pour le moment de leur vendre sa viande pour ne pas « déséquilibrer [sa] gestion ». Alors l’éleveur y perd parfois en vendant de la viande certifiée bio au prix de son offre bœuf d’herbe simple pour respecter des délais de livraison raisonnables.

« Mais le jeu en vaut la chandelle », dit-il.

Ce que ce ça change pour les consommateurs : une viande moins chère mais des délais plus longs

Le prix de la viande étant fluctuant dans la grande distribution, établir une comparaison ne serait que temporaire. De la viande achetée sur la plateforme revient « de 17 à 20 euros le kilo livrée chez le client».

« C’est environ 30% moins cher qu’en rayon boucherie. »

Malgré le coût supplémentaire de l’envoi à domicile, particularité de la plateforme de vente directe en ligne, l’achat de viande par colis permet des économies d’échelle.

Mais cela implique pour le consommateur de changer ses habitudes en profondeur. D’une part car les délais de livraison sont encore longs et varient en fonction du nombre de commandes. Il faut compter pour l’heure de 2 à 3 semaines pour recevoir la viande commandée chez l’éleveur.

« Pour recevoir mes produits, on peut pas s’en préoccuper à 11h pour midi mais quinze jours avant. »

Alors, l’éleveur n’hésite pas à le dire :

« Il faut réduire notre consommation de viande. Consommer en grande quantité des viandes industrielles produites en hors-sol est néfaste pour la planète et la santé ».

Selon lui, la viande achetée en grande surface n’a « aucun intérêt nutritionnel et vous fait prendre des risques à terme liés aux pesticides ou aux antibiotiques ». Après des analyses réalisées sur sa viande, il assure qu’elle est « trois fois plus riche en oméga 3, des acides gras essentiels, et en micronutriments » que celle issue de l’élevage conventionnel.

Il nous place alors devant ce qu’il estime être un « choix de société » à travers ce calcul du rapport bénéfices/risques. Il faudrait donc consommer moins de viande mais de bien meilleure qualité pour encourager une production dans des conditions respectueuses de l’environnement et de l’animal.

« La viande bio ou issue de l’agro-écologie est plus chère. Pourquoi ? Parce qu’elle est vendue à un prix très proche de son coût de production et bien moins subventionnée que celle issue des circuits conventionnels. Les viandes produites industriellement présentent des coûts induits pour la collectivité qui sont énormes quand il faut dépolluer les eaux des nappes phréatiques ou soigner des maladies qu’entraîne la malbouffe. »

« Essaimer avec d’autres éleveurs »

L’éleveur se dit sollicité par une « centaine d’éleveurs » partout en France prêts à participer à la plateforme de vente directe. « puissent nous rejoindre ».

« J’espère qu’ils pourront nous rejoindre. Je veux essaimer ce qu’on fait. Avoir une base en Rhône-Alpes et dans le Sud-Ouest notamment ».

Cette extension permettrait de réduire les délais d’attente pour les consommateurs mais aussi de rapprocher davantage les éleveurs des consommateurs et réduire l’impact du transport final.

« Mais avec notre mode de production tout herbe, nos prairies étant de véritables puits à carbone, on le compense déjà largement. »

 


#Agriculture bio

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