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A Lyon, la controversée école alternative Steiner s’agrandit

Le tricot, la forge et le travail du bois. C’est au programme des écoles Steiner-Waldorf, non-affiliées à l’Education nationale. A Saint-Genis-Laval, à 8 kilomètres au sud-ouest de Lyon, cette école mise sur les apprentissages manuels, artistiques et l’interdisciplinarité. Assez peu connue, elle mène en ce moment un projet d’agrandissement qui la force à communiquer.

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A Lyon, la controversée école alternative Steiner s’agrandit

> Reportage initialement publié le 2 juillet.

“Ne notez rien, je vais vous raconter une histoire.”

C’est ainsi que commence le cours de Valesca Müller, professeur de la « 6ème classe » (les 10-11 ans) à l’école Steiner-Waldorf de Saint-Genis-Laval. Durant l’essentiel du cours, elle raconte la vie d’une chenille qui finit par devenir papillon. Nous sommes en leçon de sciences, vraisemblablement.

Les anecdotes de chaque élève nourrissent le déroulement du cours (crédit : LM / Rue89Lyon©)
Les anecdotes de chaque élève nourrissent le déroulement du cours. crédit : LM / Rue89Lyon

Les enfants, habitués au déroulement, sont invités à réagir. Chaque anecdote personnelle débouche sur une explication scientifique de l’enseignante. Aucun manuel n’est utilisé, mais Valesca a prévu des notes, au cas où elle sèche sur un élément.

La 6ème classe correspond à une 6ème dans le cursus traditionnel. Mais les noms des classes ne sont pas à rebours. Ainsi, c’est la 7ème classe, et non la 5ème, qui suit la 6ème dans le système Steiner-Waldorf.

Pas de manuel, mais un schéma a été préparé en amont pour visualiser le cours (crédit : LM / Rue89Lyon©)
Pas de manuel, mais un schéma a été préparé en amont pour visualiser le cours. crédit : LM / Rue89Lyon

 

A l’issue du cycle sur les insectes, les élèves ne seront pas notés. Ici, seules des appréciations sanctionnent leur travail, jusqu’à 13-14 ans. Il n’y a également pas de redoublement.

Un élève suit donc l’ensemble de sa scolarité au sein du même groupe-classe et, surtout, avec le même enseignant de ses 8 ans à ses 14 ans.
C’est avec ce même prof, que tous les jours les repas bio et végétariens sont pris « en petit comité ».

Les horaires ne sont pas ceux dictés par l’éducation nationale. Les « 1ère classe » (6 ans) ont en général 18 heures de cours hebdomadaire (contre 24 dans le système traditionnel). Un volume croissant, conformément aux recommandations du biologiste Jean Piaget.

Ils apprennent par ailleurs deux langues étrangères, l’anglais et l’allemand dès la primaire. Le programme de l’éducation nationale n’est pas suivi, et les apprentissages se font par cycle : plusieurs jours consécutifs peuvent être consacrés à la même leçon.

L'après-midi quand il n'y a pas cours, les enfants peuvent quand même être accueillis, en jeu libre  (crédit : LM / Rue89Lyon©)
L’après-midi quand il n’y a pas cours, les enfants peuvent quand même être accueillis. crédit : LM / Rue89Lyon

Une idée du travail manuel

Dans ce qui pourrait s’apparenter à un cours de Sciences naturelles, les élèves ne prennent pas de notes écrites. En temps normal, ils le feraient à l’issue du cours, mais aujourd’hui, les 6ème doivent partir plus tôt pour assister au « spectacle ».
Le « spectacle », c’est la pièce de théâtre présentée par les ados de 10ème classe (15-16 ans). Élèves les plus âgés de l’école, ils la quitteront dans quelques jours pour retourner dans le système traditionnel (lire plus loin). Cette année ils ont répété « Le Songe d’une nuit d’été » de William Shakespeare. C’est un temps fort qui clôt un cycle chez Steiner ; le projet théâtral est en effet multi-support :

  • Le texte est appris avec l’enseignant principal
  • Les décors et costumes sont fabriqués lors des ateliers créatifs
  • Les chansons sont travaillées en cours de musique et de langue
  • La gestuelle est affinée dès le plus jeune âge en cours d’eurythmie, une autre spécificité de Steiner. Cette discipline qui se pratique en musique ou avec un texte, consiste à associer des sons à des gestes pour créer une sorte de chorégraphie.
Des décors aux costumes, tout a été fait par les enfants (crédit : LM / Rue89Lyon©)
Des décors aux costumes, tout a été fait par les enfants. crédit : LM / Rue89Lyon

Et la fabrication des décors est appris en atelier bois. Certains élèves font des tableaux en relief, d’autres sculptent un objet. Justin, l’un des élèves de la classe de 6ème, creuse une bûche avec un maillet et un ciseaux à bois :

« On se sent bien quand on arrive à créer quelque chose. Surtout que c’est un long travail. On se sent fier de savoir faire ça, y compris en tricot. »

Le travail du bois, une tache minutieuse (crédit : LM / Rue89Lyon©)
Le travail du bois, une tache minutieuse . crédit : LM / Rue89Lyon

Le programme de Steiner inclut trois disciplines manuelles : le tricot, le bois et la forge. Comme l’école de Saint-Genis-Laval n’a pas l’équipement pour assurer les cours de forge, les élèves peuvent le faire chez un artisan extérieur à l’école, mais ce n’est pas obligatoire.

La prof Valesca Müller enseigne la majorité des disciplines à cette 6ème classe. Elle cède la place à des spécialistes pour les matières manuelles. Et c’est souvent.

Chez Steiner, la pratique précède toujours la théorie. Quel que soit le sujet. Par exemple, pour comprendre le crâne humain, les élèves commencent par le « modeler » en travaux manuels.

Guy Beauché, ancien élève chez Steiner-Waldorf, a réalisé un reportage sur le fonctionnement de ces écoles. Il détaille ce processus d’apprentissage à 29″45′.

« Ils n’ont pas détecté que ma fille était en souffrance »

Sans contrat avec l’État, l’école facture une année entre 2 500 et 5 000 euros, indexés sur les moyens des familles (quotient familial). Le budget annuel de fonctionnement de l’école est de 800 000 euros.

Lors de la visite organisée pour quelques journalistes, deux mamans se font ambassadrices de l’école. Claire et Brigitte défendent cet « investissement invisible » :

« On ne se sent pas élitistes, d’ailleurs tout le monde ici n’est pas d’origine favorisée. C’est un choix par conviction, qui a un certain coût. Nous l’assumons car nous sommes convaincues que ça en vaut la peine. »

En plus de payer, il est demandé également aux parents de s’impliquer dans la vie de l’école. Un des paramètres-clés de l’éducation à la Steiner. Concrètement, cela signifie que les parents doivent faire le ménage, comme le raconte, Véronique (prénom d’emprunt), une maman qui a dû retirer ses enfants de l’école de Saint-Genis-Laval :

« Ça se fait à tour de rôle dans les classes, le week-end. Idem pour les menus travaux de réparation.On nous expliquait qu’il n’y a pas de personnel, faute de moyens. »

Cette maman n’a pas pu réinscrire ses deux enfants à l’école, par manque de moyens, alors qu’ils y avaient été scolarisés durant plusieurs années.

« Le gouffre a été vertigineux. Ma fille ne savait ni lire ni écrire, elle avait beaucoup de retard au regard du système traditionnel. C’est un cycle qu’il vaut mieux suivre en entier, ça se serait sûrement bien passé si elle avait pu rester jusqu’au bout. Tout ce que je leur reproche, c’est de ne pas avoir détecté qu’elle était en souffrance, car elle avait conscience de ses difficultés. »

L’adaptation ou la réadaptation au système scolaire classique peut s’avérer douloureuse si les enfants quittent Steiner en cours de route. On n’y apprend pas à lire avant huit ans.

En quelques heures passées dans l’enceinte de l’école, aucun mot sur la discipline ne sera prononcé. Romain Varnier, professeur de classe, explique pourquoi elle semble prendre moins de place qu’ailleurs :

« S’inscrire ici c’est déjà une démarche impliquée pour les parents. On forme un tryptique parent-élève-enseignant qui nous dispense en partie de faire de l’autorité. Et nous permet de travailler plus efficacement. »

Un petit coin de verdure à quelques mètres de la route (crédit : LM / Rue89Lyon©)
Chez les plus jeunes, le décalage avec l’école traditionnelle peut être très important. crédit : LM / Rue89Lyon

Une pédagogie controversée

Le principal point de controverse réside dans les principes qui fondent ces écoles. Rudolf Steiner, son créateur du début XXe siècle est à l’origine d’un courant de pensée ésotérique, l’anthroposophie.

Grégoire Perra, ancien élève et enseignant dans plusieurs écoles Steiner (principalement à Verrières-le-buisson, dans l’Essonne), il tient un blog dans lequel il décrit un « processus d’endoctrinement ».

Son témoignage a été repris par l’association de lutte contre les sectes, l’UNADFI. Il a été attaqué en diffamation par la Fédération des écoles Steiner-Waldorf de France qui a été déboutée dans un jugement de mai 2013.

Véronique, qui a retiré ses enfants de l’école de Saint-Genis-Laval pour les mettre dans une école traditionnelle, a entendu parler de ces rumeurs « de secte ». Mais elle trouve que « c’est infondé » :

« Les gens de l’extérieur s’imagine des choses parce que c’est fermé. Mais je n’ai rien constaté de sectaire dans l’enseignement qui était pratiqué ».

Elle précise qu’il y a ni prière, ni mantra répété lors des cours :

« Il n’y a pas plus de pratiques religieuses que dans l’école publique. Les élèves suivent le même calendrier de fêtes que l’école publique, avec en plus une petite fête pour les changements de saison, marquée par une ballade dans la nature. »

Flore Debeaune a rejoint l’administration de l’école il y a trois ans. Elle s’occupe notamment des bulletins scolaires, du site Internet et répond au téléphone. Elle n’a pas l’impression de « travailler dans une secte » :

« Par exemple, mes enfants n’étudient pas ici. Ça paraissait bizarre à certains au début, qui pensaient que j’étais en désaccord total avec la pédagogie. Une fois que je leur ai expliqué que je ne veux pas mélanger le personnel et le professionnel, ils ont compris.”

Elle affirme qu’aucun prosélytisme n’est admis :

“L’anthroposophie, ce sont des théories de Rudolf Steiner qui vont avec l’éducation. Ce n’est pas pour autant que tout le monde y adhère aveuglément. Je serais bien incapable d’expliquer précisément ce que c’est. »

Stéphanie Gautier a inscrit ses enfants à l’école quand elle y a été embauchée comme coordinatrice. Elle dissocie clairement la culture et les pratiques religieuses :

« C’est une école laïque. On étudie des mythes car ce sont des histoires intéressantes. Qu’elles soient bibliques ou issues des différentes mythologies : nordique, grecque, égyptienne ou celte. »

Un autel de saison, garni par les enfants de matériaux ramassés dans la nature (crédit : LM / Rue89Lyon©)
Un autel de saison, garni par les enfants de matériaux ramassés dans la nature. Crédit : LM / Rue89Lyon

Un projet d’agrandissement à 1 million d’euros

A Saint-Genis-Laval, les bâtiments de l’école Steiner sont vétustes, essentiellement meublés de bois. L’espace réservé aux professeurs est exigu.

Des bureaux en bois, presque hors du temps (crédit : LM / Rue89Lyon©)
Des bureaux en bois vieille génération, réparés régulièrement, qui accueille les 7-8 ans. crédit : LM / Rue89Lyon

Présent dans l’ouest lyonnais depuis 1977 (initialement à Vaugneray), l’école Steiner-Waldorf est locataire de l’avenue Georges Clémenceau, à quelques encablures d’Oullins. Discrète depuis la rue, elle le sera sans doutes moins à l’horizon 2017.

Un projet d’agrandissement a été lancé en 2012 via la création d’un fonds de dotation. Le tout devrait coûter aux alentours d’un million d’euros. Un “financement participatif solidaire” a été lancé à cet effet.

Le projet contient l’achat d’un bâtiment adjacent à l’école actuelle et la construction de plusieurs extensions.

Le nouveau bâtiment s'affiche fièrement sur les murs de l'école (crédit : LM / Rue89Lyon©)
Le nouveau bâtiment s’affiche fièrement sur les murs de l’école. crédit : LM / Rue89Lyon

En 2014-2015, l’école accueillait 190 enfants répartis en 10 classes et 4 jardins d’enfants pour les 3-6 ans. Agrandir permettrait d’ouvrir une 11ème et une 12ème classes afin de proposer une scolarité complète aux enfants.

A Saint-Genis-Laval, les enfants quittent en effet l’école après la 10ème classe pour rejoindre un lycée traditionnel, en seconde ou en première selon leur apprentissage. S’ils allaient jusqu’à la 12ème classe, ils passeraient les épreuves anticipées du bac (le français notamment) en candidat libre. Ils doivent ensuite rejoindre une terminale classique.

En 2015, les écoles Steiner représentent en France 2 500 élèves répartis entre 22 établissements.

 


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