Une fréquence hertzienne libre est rare. Aussi l’annonce de RTU a-t-elle fait grand bruit dans le paysage médiatique français. Gérald Bouchon, directeur de Lyon Première, un média lyonnais généraliste, le rappelle :
« Une fréquence qui se libère à Lyon, ça arrive tous les 20 ans »
A chaque fois que le moment tant attendu arrive, la concurrence est rude entre les radios locales qui veulent diversifier leurs programmes pour gagner en audience et les radios nationales qui cherchent à s’étendre. A chaque fois, c’est le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui fait l’arbitre et prend une dizaine de mois pour départager les candidatures, avant de réattribuer la fréquence.
Parfois, il rend même des jugements d’exception, comme dans le cas de Radio Sauvagine, une radio associative bordelaise qui, après avoir rendu l’antenne, finit par la récupérer en 2007, en devenant une radio commerciale associée à Radio Nova.
Bruno Delport, directeur général de Radio Nova, aimerait bien voir le scénario recommencer à Lyon. Il l’a confirmé : Nova a déjà 26 fréquences dans des villes de province et cherche à s’étendre sur tout le territoire national (cela devrait continuer après l’annonce du rachat de la radio par la holding de Mathieu Pigasse) :
« On est candidat systématiquement dès qu’une fréquence se libère. Et on n’a pas de gêne à l’affirmer, ça fait partie de notre plan de développement. »
Une nouvelle radio commerciale à Lyon : l’idée qui dérange
Pour Gérald Bouchon qui connaît bien le paysage médiatique lyonnais, si RTU suit le même chemin que Radio Sauvagine, cela déséquilibrera le marché publicitaire local, déjà saturé par 13 radios commerciales. Quant à la méthode, Philippe Gault, président du Syndicat Interprofessionnel des Radios et télévisions Indépendantes (SIRTI) la dénonce fermement :
« Les radios associatives sont protégées par le statut la catégorie A, elles sont autorisées pour remplir des missions spécifiques, elles ne doivent pas devenir la cible de radios commerciales ou nationales. Si le CSA valide la prise de contrôle de radios associatives par un réseau commercial national de catégorie D comme l’est Nova, il n’y a pas de raison que d’autres radios indépendantes qui veulent se développer et sont tout aussi intéressantes pour le public n’en fassent pas de même. »
A côté du projet porté par RTU et Nova, plusieurs radios pourraient aussi déposer des dossiers de candidature pour tenter d’obtenir la fréquence 89.8. Parmi elles on retrouve Sud Radio (détenue par le groupe Fiducial, qui possède aussi le magazine Lyon Capitale), Oui FM. Ou encore France Bleu, pour le service public, qui l’emporterait à coup sûr si le ministère de la Culture jugeait l’ouverture d’une antenne à Lyon nécessaire.
Le statut de la (peut-être) future radio RTU-Nova n’est pas encore totalement défini. Pour l’instant, une convention a déjà été signée par les deux structures, qui prévoit que RTU conserve une dizaine d’heures d’antenne par jour, en plus des nouveaux temps occupés par Nova : pour la matinale et la nuit principalement. Quant à la programmation, RTU garde une certaine indépendance.
Julien Donaz, l’actuel programmateur le confirme :
« C’est le principe de la syndication, c’est pouvoir continuer à programmer des groupes lyonnais, malgré le temps occupé par Nova. »
Changement inévitable si RTU devient une radio commerciale, le temps de publicité augmentera sur les ondes. Alfredo Da Silva, le directeur de la radio, tient à rassurer :
» Ce ne sera pas plus de 6 pubs à la suite soit environ trois minutes par heure, et on tentera de sélectionner des publicités qui peuvent intéresser nos auditeurs quand c’est possible, pour des institutions culturelles par exemple. Mais on perdra forcément 10 à 15% d’auditeurs ».
RTU, entre grosse fatigue et atomes crochus avec Nova
Cette décision radicale de rendre l’antenne n’a pas été prise du jour au lendemain. En 2010 déjà, RTU traverse une crise grave : certains membres de la radio décident de partir. Avec 80 000 euros de dettes, des dossiers de subventions FSER (fonds de soutiens à l’expression radiophonique locale) qui ne sont pas déposés et une programmation pas vraiment définie, une nouvelle équipe tente alors de prendre le relais. En vain. Trois ans plus tard, épuisée, elle passe la main.
Alfredo Da Silva et Julien Donaz font partie de l’équipe qui récupère l’antenne. Tous deux travaillent alors pour la radio associative Capsao. Le premier est directeur, le second programmateur. Ensemble, ils relancent RTU avec une programmation toute neuve, axée musique et culture. Très vite la nouvelle RTU se fait remarquer, elle gagne en visibilité et attire de nouveaux annonceurs. Alfredo Da Silva raconte :
« On s’est rendu compte que l’on comblait un manque, que l’on rentrait dans une niche sur Lyon. Aucune autre radio ne nous ressemblait. Du coup les gens ont commencé à nous comparer à Fip ou Nova. »
Malgré son succès, la radio reste globalement en grande difficulté. Sur les quatre salariés de RTU, il y a deux contrats aidés. Quant aux locaux, ils sont partagés avec les membres de Capsao. La promiscuité est conviviale, mais pas à long terme. Et Alfredo Da Silva en a bien conscience.
Au détour d’une réunion à Paris, il y a de ça un an, il croise Bruno Delport, le directeur général de radio Nova. Très vite ils sympathisent. Très vite ils se rappellent, trouvant l’un chez l’autre un intérêt : Radio Nova pourrait se faire une place sur le territoire lyonnais avec RTU, tandis que RTU pourrait bénéficier de l’image de Nova pour se développer.
Bruno Delport revient sur cette rencontre :
« Quand quelqu’un vient nous voir de Lyon pour nous demander si on peut faire quelque chose ensemble, sachant que Lyon est une ville importante, on en discute. Ce n’est pas Radio Nova qui est allé à la pêche, c’est RTU qui s’est intéressé à nous. »
C’est ainsi que naît une collaboration entre les deux radios. RTU lance des partenariats avec des structures culturelles locales comme le Transbordeur pour organiser les Nuits Zébrées, des concerts retransmis par Radio Nova.
La radio associative lyonnaise accepte aussi de changer son logo, ses jingles et son slogan pour adopter celui de Nova : « le grand mix ».
Pour Alfredo Da Silva, c’est le début d’un partenariat avec la radio qu’il appelle « sa grande sœur ». D’un côté RTU gagne en crédibilité auprès des annonceurs, bénéficie de la régie publicitaire de Nova et, de l’autre, Nova peut mesurer l’audience qu’elle pourrait se faire à Lyon, sous le nom de RTU.
La fin d’une radio communautaire historique
Philippe Gault, président du SIRTI, rappelle que RTU est en faute, dès le début du partenariat avec Nova :
« Quand la programmation de RTU s’est transformée, cela s’est fait au détriment des missions de la radio associative, qui ne répond plus à la vocation inter-communautaire locale qui était la sienne. Il ne peut tout simplement pas y avoir de partenariat structurel entre une radio associative locale et un réseau commercial national. »
Son statut, catégorie A, signifie que RTU a une mission sociale, elle doit obligatoirement donner du temps d’antenne aux différentes communautés de Lyon. Elle se doit d’être multiculturelle, c’est dans son ADN. Gérald Bouchon, directeur de la radio Première, déplore ces changements et rappelle l’histoire de RTU :
« Radio Trait d’Union : le nom portait l’idée de départ de la radio. Il s’agissait de donner une voix aux communautés lyonnaises qui n’ont pas accès aux médias, pas de faire juste de la musique. Aujourd’hui ces temps de parole ont complètement disparu de la radio. »
Pour l’actuelle équipe de RTU qui n’a pas connu l’antenne sous ces aspects-là, la question n’est pas de supprimer un programme, mais plutôt d’en réinventer un, avec pour appui et modèle Radio Nova. Elle l’explique sur sa page Facebook, pour ôter toute zone d’ombre qui pourrait subsister sur son envie : seule une radio commerciale comme Nova pouvait correspondre à son profil éclectique. Ce n’est donc pas l’abandon d’une ligne éditoriale, mais son renforcement. Pour RTU, il ne s’agit donc pas d’une OPA de Nova.
Là dessus, Bruno Delport, directeur général de Radio Nova, ne mâche pas ses mots. La nostalgie n’a pas sa place dans la stratégie de développement de RTU avec Nova. Selon lui, RTU était en échec avec ses précédents programmes et n’a pas d’autre choix que de faire évoluer sa ligne éditoriale :
« Je ne suis pas RTU, je n’ai jamais fait de RTU de ma vie. Je ne vois pas ce que Nova a à faire dans cette histoire là qui s’est passée il y a X années. Une radio s’engage à faire un programme, il y en a qui fonctionnent, il y a en a qui ne fonctionnent pas. Quand un programme se casse la gueule, ça veut dire quoi ? Que ça ne fonctionne pas. Je ne vois pas en quoi nous serions responsables de ces changements. »
Si le projet de RTU et Nova est retenu par le CSA (que nous avons contacté mais qui n’a pas souhaité s’exprimer sur le dossier), aucun salarié de la radio parisienne ne viendra à Lyon pour animer l’antenne. Les programmes de Nova seront donc diffusés sur le 89.8 à distance. Quant à l’équipe de Lyon, elle devrait embaucher ses deux contrats aidés pour se pérenniser.
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