Comment accéder à la toile Internet ? Pour y entrer, il faut s’acquitter d’un droit de péage. Aujourd’hui en France, quatre douaniers principaux ouvrent la porte de chez vous pour vous permettre d’accéder au réseau international : on les appelle les fournisseurs d’accès à internet (FAI), Orange, Free, Numéricable (qui a racheté SFR en 2014) et Bouygues.
Illyse, petit fournisseur local
A rebours des géants, l’association Illyse -fondée en 2011- propose à sa cinquantaine d’adhérents en régions lyonnaise et stéphanoise des services internet. Avec une vision éthique et indépendante de la fourniture d’accès : faire confiance en son accès au réseau, avec des gens qu’on connaît, et sans personne qui tripatouille les tuyaux pour servir ses intérêts. Après avoir géré un administratif compliqué, l’association vient d’enregistrer son premier abonné ADSL.
Sébastien Dufromentel, doctorant en informatique à l’INSA et membre d’Illyse, montre le petit routeur qui le connecte au grand réseau.
« C’est simple. La prise téléphonique est branchée au modem. Et le modem est branché à mon ordinateur. En terme de coût, je paie 30 euros par mois à Illyse pour Internet. A cela, il faut ajouter le prix de l’abonnement à l’opérateur historique, car il s’agit d’un dégroupage partiel. Soit environ 15 euros par mois supplémentaire. »
Tous les membres sont bénévoles et personne ne tire d’avantages des services rendus.
Outre l’ADSL, une quinzaine d’abonnés d’Illyse bénéficie d’un service VPN, c’est-à-dire un chiffrement créant un « tunnel » et empêchant le fournisseur d’accès de regarder ce que fait son client-internaute. Et éventuellement aussi de pratiquer des filtrages. L’association commence d’autre part à prospecter dans les milieux ruraux autour de Lyon pour proposer son soutien dans les zones blanches ou grises.
Et les désavantages, dans tout ça ? D’abord un coût souvent plus élevé. Et puis le risque qu’en cas de coupure, le temps de
réaction avant réparation soit plus long qu’avec un fournisseur professionnel, puisque les techniciens sont bénévoles et travaillent par ailleurs.
Vous avez dit « neutralité du net » ?
Ce qui caractérise Illyse par rapport aux géants, c’est son respect de la « neutralité du net ». En effet, les fournisseurs sont censés garantir l’accès à internet dans sa globalité, sans surveiller les données des internautes, sans modifier les sites visités et sans ralentir certains sites et protocoles.
Oriane Piquer-Louis, étudiante en sciences de l’information et de la communication et membre active de La Quadrature du Net (LQDN), association de défense des droits et libertés des citoyens-internautes, développe le concept :
« La neutralité du net sous-tend techniquement les libertés fondamentales d’expression et d’information sur internet. Elle produit la possibilité de débat contradictoire. »
Cette neutralité est par exemple violée quand, pour des raisons de sécurité, certains fournisseurs bloquent des ports sur les box. Cette manœuvre peut par exemple empêcher leurs clients-internautes d’héberger des services mails -c’est-à-dire d’être « serveurs » à leur tour. Il y a limitation de l’accès à internet dans sa globalité.
Jean-François Mourgues, ex-président d’Illyse, revient sur les problèmes que pose la concentration des services de fourniture d’internet :
« Dans un monde de libre-concurrence, on assiste au quasi-monopole de quatre opérateurs géants et incontournables. Pour attirer l’internaute, ces opérateurs concentrent les services et proposent, en plus de l’accès à internet, de la téléphonie fixe, GSM, de l’hébergement -sites internet et mails, et peuvent aussi posséder, par exemple, des parts de sociétés d’hébergement de vidéos. Comme France Telecom Orange, ex-actionnaire de Dailymotion. »
Qu’est-ce que ça peut faire ? Tant qu’on peut regarder ses vidéos de chatons. Et justement, pourquoi elles rament comme ça d’ailleurs, les vidéos de chatons sur YouTube ? Mon fournisseur peut avoir intérêt à empêcher d’accéder à certaines vidéos diffusées par des concurrents. Serait-il possible qu’il regarde dans les tuyaux ce que je suis en train de faire ?
Des internautes européens se mobilisent et recensent les suspicions de blocages, filtrages et autres ralentissements des opérateurs. Jean-François Mourgues d’Illyse commente :
« La concentration des services accentue les possibilités d’atteintes à la neutralité du net. Les solutions ? Interdire les concentrations, et multiplier les fournisseurs d’accès à internet. Comme Illyse. En plus, il est beaucoup plus difficile de contrôler 100 fournisseurs que trois. »
Et le projet de loi sur le renseignement, dans tout ça ?
Déposé à l’assemblée en mars 2015 et examiné entre le 13 et le 16 avril à l’assemblée, le projet de loi de Bernard Cazeneuve inquiète les FAI associatifs.
L’algorithme controversé devrait être diffusé à partir de « boîtes noires » agrippées aux tuyaux Internet des fournisseurs d’accès (Orange, Free ou encore Numericable…) et des hébergeurs (tels que Google ou Facebook). Objectif : lutter contre les actes terroristes, qui pourraient donc être déjoués avant d’être commis grâce à cette haute surveillance et au repérage d’éventuels suspects.
Un article d’Andrea Fradin sur Rue89 détaille les principaux problèmes que l’application de la loi posera : quelle que soit la forme de l’algorithme choisie par le gouvernement, à la demande des services secrets, pour tourner dans l’Internet français dans le but de repérer les potentiels terroristes, « le dispositif sera coûteux, intrusif et inefficace ».
La mise en place d’un dispositif de traitement automatisé de données, soit une machine scrutant et analysant le trafic des internautes soulève de nombreuses questions quant à la surveillance de masse, l’opacité du fonctionnement, et la faiblesse des garde-fous proposés.
La Quadrature Du Net a lancé une action collective contre ce projet de loi, à laquelle tout le monde peut de participer. Quant aux FAI associatifs, ils s’interrogent sur la mise en œuvre d’une loi qui contrevient aussi clairement à leurs principes et à la neutralité du net.
A Lyon, les acteurs de l’Internet libre ont décidé de se mobiliser et prévoient une action publique ce samedi 2 mai.
« Mais faites vos fournisseurs d’accès, bordel de Dieu ! »
Car des FAI associatifs, il y en a de plus en plus. Illyse fait partie de ces fournisseurs indépendants qui se sont créés suite à la conférence mythique de Benjamin Bayart « Internet libre ou Minitel 2.0 » en 2007.
A la fin de celle-ci, il exhorte son auditoire à prendre en main sa destinée numérique, dans un célèbre :
« Mais faites vos fournisseurs d’accès, bordel de Dieu ! »
Dans le tissu du FAI, on ne présente plus Benjamin Bayart. Ex-président du plus ancien fournisseur d’accès à internet français, le French Data Network (FDN) -fondé en 1992, cet informaticien milite activement pour les libertés fondamentales dans la société de l’information. Aujourd’hui, Benjamin Bayart préside la FFDN, la fédération des FAI associatifs, dont fait partie Illyse. Cette fédération porte la voix de ses membres et sert de point de discussion entre eux.
« En 2010, la FFDN comptait sept membres. Après la publication des vidéos d’aide à la création de son propre accès internet, on s’attendait à voir émerger deux ou trois fournisseurs supplémentaires. Aujourd’hui, on est 28, et nous comptons 2 000 adhérents-abonnés. »
Il ajoute :
« Je pensais que les fournisseurs d’accès internet se créeraient en fonction de communautés d’intérêt : le fournisseur des dentistes par exemple. Au final, les nouveaux FAI se forment localement.»
Quand pullulent les petits fournisseurs d’accès indépendants (FAI)
Essaimer au lieu de grossir, voilà l’objectif. Relocaliser les énergies. Les nouveaux fournisseurs présentent plusieurs types de profil : comme le parisien FDN, ils peuvent proposer l’ADSL. D’autres essaient de couvrir les zones restées blanches. D’autres enfin, offrent des modèles hybrides.
Tetaneutral en fait partie. La plus grosse association fournissant de l’accès internet en France compte 650 adhérents à Toulouse et dans sa région. Créée en 2011, elle croît de façon linéaire et rapide. Tetaneutral forme celles et ceux qui se montrent intéressés à la technique et au matériel… puis elle les fédère au sein de son association.
Côté pratique, elle offre l’ADSL à des prix similaires à ceux d’Illyse, et internet par réseau radio, à l’aide d’une petite antenne et d’un routeur. L’association a voté pour des prix libres, conseillés à 20 euros par mois en ville et 28 euros par mois à la campagne. L’ingénieur telecom Laurent Guerby en est le président :
« Nos adhérents sont des geeks, des militants, et des campagnards chez qui le débit est faible. On forme une asso de proximité. Les abonnés doivent être membres de l’association. Bien sûr s’il y a un souci sur la ligne, on fera tout ce qu’on peut, mais nous sommes tous bénévoles… On ne réagira pas dans l’heure ! Mais par contre, on se connaît tous. »
Les hackeurs-agriculteurs
Même combat pour PC Light, FAI depuis deux ans dans l’Yonne. L’association compte une centaine de membres-abonnés et sept bénévoles actifs. Jusqu’à maintenant, PC Light propose internet par ondes radios, par le biais d’antennes. Bruno Spiquel est bénévole et technicien :
« Ça va de plus en plus vite. On pense se structurer en coopérative, avec un salarié. Parce que l’activité prend du temps, et qu’on aurait plus de crédibilité auprès des élus. Il faut savoir qu’en France, certaines zones vont être complètement délaissées du plan de déploiement de la fibre optique. Alors, on va creuser, et va la poser nous-mêmes ! Ça nous changera de l’escalade pour poser les antennes… »
Ces FAI ont la fibre combative. Les expériences de PC Light, Tetaneutral et peut-être bientôt Illyse démontrent que les citoyens ont la possibilité de se réapproprier le réseau Internet. En collectif, dans les villes et les campagnes, avec des fils de cuivre ou des antennes, les yeux tournés vers la fibre optique. Benjamin Bayart considère le futur :
« Aujourd’hui, pour les FAI de la fédération, la mise en place de la fibre est compliquée et chère. Mais on continue à gratter. On peut s’autoriser la patience ; comme nous ne sommes pas des entreprises, nous ne risquons pas de mourir… »
Liberté d’expression, développement du territoire, tentative de soustraction à la surveillance généralisée… Après le panier de légumes locaux, la banque éthique et le fournisseur d’électricité renouvelable, il faut savoir que son accès à Internet aussi peut être éthique et sécurisé.
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