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La Fête du livre de Bron en 2015, avec un horizon commun

«Qu’est-ce qu’on a en commun ?» se demande cette année la Fête du Livre de Bron à travers son lot habituel de rencontres et de débats. A l’origine de ce thème, il y a l’œuvre non pas d’un romancier mais d’un philosophe et d’un sociologue, Pierre Dardot et Christian Laval, qui « imaginent » un autre monde possible via un principe participatif et révolutionnaire : le « Commun ». Entretien.

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La Fête du livre de Bron en 2015, avec un horizon commun

Pierre Dardot et Christian Laval / Crédits Le Petit-Bulletin
Pierre Dardot et Christian Laval

Petit Bulletin : Comment définir le principe du commun, que vous développez dans Commun : essai sur la révolution au XXIe siècle ?

Christian Laval : Comme un refus et un espoir. Le refus d’une société néolibérale fondée sur la concurrence généralisée, l’avidité, l’appropriation généralisée des ressources, l’enfermement communautariste, le nationalisme. Et l’aspiration à une autre forme de société, à la sauvegarde des ressources, à une «démocratie réelle». Le commun, tel que les luttes et les expérimentations sociales depuis plusieurs années nous le font découvrir, n’est pas ce qui est déjà là dans la société ou la nature, mais un espace réellement partagé qui est à instituer, à développer, à entretenir et qui se définit par l’organisation démocratique radicale des rapports entre ceux qui participent à une activité. C’est en ce sens un principe politique qui vaut pour la société entière, à tous les niveaux, et qui souligne que la co-participation à une activité implique la co-participation à la définition des règles qui l’organisent.

« Le 7 janvier, jour fatidique, Emmanuel Macron dévoilait dans Les Échos l’esprit même de la société idéale : «Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires.» Voilà un projet politique que l’on peut qualifier d’anti-commun. »

En quoi le commun est-il différent non seulement de l’appropriation privée, mais aussi de ce qui relève d’ordinaire, et c’est plus surprenant, du domaine public et/ou étatique ?

C.L. : Le commun échappe à la dualité depuis trop d’années dans laquelle on veut nous enfermer : le capitalisme d’un côté, fondé sur la propriété privée exclusive, et la propriété d’État de l’autre, avec toute la prolifération bureaucratique qu’elle implique. Le commun n’est pas la nostalgie des disciplines de parti ou de la verticalité des commandements. Il est, tel qu’il se définit aujourd’hui, fondé sur une aspiration ancienne qui, il faut le rappeler, a précédé le communisme d’État : l’organisation démocratique de la production et de la vie sociale. Dépasser le capitalisme, aujourd’hui, ce n’est pas construire l’État total, c’est faire de la démocratie réelle le principe de la vie économique et sociale.

Est-ce la mutation de l’Etat, sa contamination par le néo-libéralisme et donc la faillite du politique face à l’économie et au marché qui ont fait, selon vous, muter et/ou apparaître de nouvelles formes de lutte ?

C.L. : Les néolibéraux pensaient que le marché offrait un modèle universel applicable même aux services publics. Cet anti-étatisme était un leurre. L’État, en particulier aux États-Unis, n’a pas cessé d’agir de façon hyper-répressive et s’est entièrement dévoué à la construction d’une société de plus en plus organisée sur la norme de la concurrence, le modèle de l’entreprise, avec pour objectif universel l’enrichissement des plus favorisés. Faillite du politique, dites-vous ? C’est en fait une politique très particulière qui vise à étendre la rationalité capitaliste à toute la société et à en imprégner la subjectivité de chacun. Le 7 janvier, jour fatidique, Emmanuel Macron dévoilait dans Les Échos l’esprit même de la société idéale : «Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires.» Voilà un projet politique que l’on peut qualifier d’anti-commun.


Pierre Dardot et vous avez beaucoup travaillé sur Marx et ce livre est la continuation de ce travail. En quoi ce commun permet d’être critique à l’égard de l’expérience communiste tout en en conservant l’esprit originel, avec à l’esprit la question : «comment comprendre un projet post-capitaliste qui ne soit pas utopique ?» ?

Pierre Dardot : Il faut ouvrir les yeux et voir dans le présent l’avenir possible. Le commun n’est pas ce qui est rêvé, c’est ce qui se pratique déjà. En ce sens, l’opposition utopie/réalisme n’a pas grand sens. Le philosophe Ernst Bloch, dans son Principe espérance, est le premier à avoir parlé «d’utopies concrètes». Des sociologues américains parlent aujourd’hui «d’utopies réelles» pour dire que l’avenir s’invente aujourd’hui dans les pratiques alternatives nouvelles, qui dessinent déjà, virtuellement, une autre société possible.


Concrètement, comment est-ce que ce principe, dont vous faites le constat à travers des luttes existantes, peut aider à atteindre ce que vous appelez l’au-delà du capitalisme ?

P.D. : Je vous répondrai en citant Michel Foucault quand il disait que les concepts viennent des luttes et doivent y retourner. Le commun est un concept qui est discuté aujourd’hui parmi tous ceux qui luttent contre le capitalisme néolibéral. Son élaboration théorique peut et doit servir à l’avancement de la réflexion collective. Les questions que nous posons portent, par exemple, sur la manière dont l’entreprise privée, les services publics ou l’économie sociale et solidaire devraient être transformés dans un sens démocratique. Nous insistons tout particulièrement sur la manière dont il faudrait subordonner le principe de la propriété privée au droit d’usage, qui est selon nous la voie la plus prometteuse pour dépasser le capitalisme.

« La révolution, ce n’est ni l’insurrection violente, ni la terreur, qui n’en sont que des formes et des modalités historiques particulières. C’est la mobilisation d’un peuple qui entend changer des institutions oppressives, désuètes, mortifères. »

On pense bien sûr à l’idée d’auto-gouvernement, semblable par exemple à l’expérience de la Commune justement, mais comment gouverner tout cela à grande échelle ? Peut-il y avoir un commun mondial ?

P.D. : En réalité, c’est au niveau mondial que cela est le plus urgent car si nous ne faisons pas de la planète, et plus précisément du climat, un enjeu commun nous allons à la catastrophe. Nous vivons et subissons aujourd’hui une vraie tragédie du « non commun » et nous allons le payer très cher. La question est très concrète et très urgente : comment les peuples peuvent-ils trouver un moyen démocratique de peser sur les décisions prises en matière écologique ?

Le commun peut s’imaginer facilement dans le cadre d’une « commune », c’est-à-dire dans l’unité politique territoriale, dans le cadre d’une petite unité de production, partout où des relations de face-à-face et des liens d’interconnaissance facilitent la délibération et la décision communes. Mais il faut imaginer comment il peut s’incarner dans un cadre plus large. Les Communards de 1871 avaient justement imaginé, dans la foulée de Proudhon, une organisation de la France et de l’Europe sur une base fédéraliste. C’est de cette «force imaginante du droit», dont parle la juriste Mireille Delmas-Marty, que nous avons besoin pour penser une réorganisation politique à l’échelle régionale ou mondiale pour une participation la plus grande possible des gens concernés.

Dans le livre, vous dites que ce changement ne peut passer que par une révolution. Puis vous insistez sur l’aspect «galvaudé», «récupéré» de ce terme, comme désamorcé. Et puis il y a aussi cette idée ancrée que toute révolution se confond avec l’insurrection et/ou est totalitaire. Alors quelle révolution ?

P.D. : L’idée de révolution a été enterrée sous les calomnies pour la sauvegarde de l’ordre des choses. La révolution, ce n’est ni l’insurrection violente, ni la terreur, qui n’en sont que des formes et des modalités historiques particulières. C’est la mobilisation d’un peuple qui entend changer des institutions oppressives, désuètes, mortifères. C’est une prise de parole collective qui a une portée instituante. Or l’on peut entendre son grondement aux quatre coins du monde. Ce que nous appelons «révolution du XXIe siècle», c’est en réalité la reprise du projet démocratique émancipateur à un moment où la régression néolibérale va jusqu’à détruire les formes les plus limitées de la «démocratie représentative libérale.»

Votre livre a inspiré le thème de la Fête du livre de Bron, où il est surtout question de littérature. Que répondriez vous à la question «qu’avons-nous en commun ?» ?

Bien sûr notre livre n’est pas une fiction littéraire, mais il se veut une défense et une illustration de l’imagination politique, juridique et sociale qui a un lien étroit avec l’imagination de l’art. Ce que nous avons en commun, c’est d’abord cette possibilité de créer notre monde, qu’il soit fictif ou institutionnel. Deleuze a eu cette belle parole : «L’homme n’a pas d’instincts, il fait des institutions.» Ce que nous avons en commun, c’est ce que nous décidons collectivement de faire ensemble. Ce n’est pas « l’avoir commun » ou « l’être commun », c’est « l’agir commun ».

Retrouvez toute la programmation du festival : Fête du livre de Bron –A l’Hippodrome de Parilly du 6 au 8 mars

Commun : Essai sur la révolution au XXIe siècle (La Découverte)

 

Propos recueillis par Stéphane Duchêne sur petit-bulletin.fr


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