« Pour naviguer sur cette grande mer qu’est Internet, vous avez besoin d’un voilier ; ce voilier, c’est ce qu’on appelle le « navigateur ».
Sandrine Nerva reprend les bases devant sa classe d’initiation à l’informatique.
« Comme Mozilla Firefox, c’est ça ? » lance une dame de l’assistance, composée d’une dizaine de personnes.
« C’est ça ! »
Si le panda roux de Firefox se trouve à l’honneur dès le début de la saison à la Maison des Rancy (MJC du 3e arrondissement à Lyon), cela ne doit rien au hasard. Sandrine Nerva, la dynamique coordinatrice des activités numériques de la MJC, est pragmatique :
« L’éducation populaire cherche le développement personnel de tous les citoyens, riches ou pauvres. Pourquoi enseigner l’utilisation de logiciels propriétaires, que les gens n’auront pas forcément les moyens d’acheter ensuite ? L’alternative, c’est le libre. »
« J’ai moins la trouille »
Pour la troisième année consécutive, Rose, 73 ans et Irène, 60 ans, reviennent à la Maison des Rancy, où quatre cours d’initiation à l’informatique sont donnés.
Elles ont bien sûr appris à se servir d’Open Office, une suite bureautique, mais aussi notamment de Gimp, outil d’édition d’images alternatif à Photoshop, de WordPress, qui permet de fabriquer des sites, de Clémentine, logiciel de lecture et gestion de bibliothèque musicale…
« J’étais perdue avec la nouvelle langue informatique. Maintenant, j’ai moins la trouille, je suis de plus en plus à l’aise », raconte Rose.
Toutes les deux sont sensibles aux arguments de leur professeure. La gratuité, naturellement, les séduit. Mais pas seulement.
« Le code est ouvert dans les logiciels libres. Tout le monde peut collaborer, apporter sa pierre à l’édifice », souligne Irène.
Rose est ravie de sa formation :
« Beaucoup de gens motivés, prêts à faire avancer les choses et à nous aider ».
Se faire aider par des barbus en tongs
Les geeks passionnés de Linux ne font pas peur aux dames des Rancy, qui fréquentent assidûment les conférences des « Jeudis du libre » et s’aventurent même à la Journée du logiciel libre.
Aussi parce que ces gros barbus en tongs sont disposés à leur prêter main forte, quand l’ordi s’acharne à coincer.
Les conférences et la journée en question sont animées en partenariat avec l’ALDIL, Association Lyonnaise pour le Développement de l’Informatique Libre. Vincent Mabillot, son président, dissèque la situation :
« L’informatique propriétaire, comme le système d’exploitation Windows, est une informatique de l’obsolescence programmée. Les mises à jour en mille feuilles et les logiciels de plus en plus gourmands en ressource, imposent le renouvellement rapide des machines. Une escalade technologique qui maintient la logique du gaspillage. »
A rebours de l’entretien artificiel de la croissance basée sur le jetable et la consommation, les logiciels libres s’inscrivent dans des formats légers, pérennes, stables, où l’amélioration prime sur le remplacement.
Aujourd’hui, les logiciels libres peuvent faire concurrence aux géants informatiques et à leurs monopoles. Leur qualité le leur permet. Un logiciel développé par des centaines de passionnés bénévoles et soucieux du regard de leurs pairs a en effet des chances de fonctionner plus correctement que son homologue programmé sous contrainte horaire, et dans une logique commerciale.
Un choix éthique… et 5000 euros d’économie
Mais le libre fait peur. Si le navigateur Firefox, la suite OpenOffice ou le client de messagerie Thunderbird entrent petit à petit dans les mœurs, les systèmes d’exploitation tels Ubuntu ou Mint, qui remplacent Windows, font figure d’épouvantails.
L’association Passe-jardins anime le réseau régional des jardins partagés. Elle a migré cet été de Windows XP vers Xubuntu, un système d’exploitation réputé pour sa facilité d’utilisation.
Béatrice Charre, la directrice, retrace les préliminaires à la migration :
« Il faut une grosse préparation en amont. Bien prendre le temps de former, et d’informer. Tout tourne autour de la question du changement ; on sent toujours des crispations quand on propose quelque-chose de nouveau. Les gens s’attachent à leurs habitudes. »
Pour cette association aux ambitions sociales et environnementales, il s’agissait d’abord d’un choix éthique, d’une sensibilité à la question des biens communs :
« Mais finalement, le choix a aussi été économique. Notre prestataire, Open DSI spécialisé dans le libre, a évalué à 5000 euros l’économie réalisée sur cinq ans. Le coût des formations et de l’aide à la migration est largement compensé par l’économie réalisée du côté des licences bureautiques. Pour une petite association comme la nôtre, c’est loin d’être négligeable. »
Quelques problèmes de compatibilité avec d’anciens formats de document mais rien d’insurmontable. Pour les logiciels de paie et de graphisme ne tournant que sous Windows, un bureau virtualisé prend le relais. Une installation que les membres de l’association n’auraient pu réaliser seuls ; le prestataire de service est indispensable.
Pas de problème de virus, pas de machines qui rament…
Quand le prestataire informatique manque, le passionné prend les claviers en main. Emmanuel a accompagné bénévolement la fédération française d’escrime de Lyon dans sa migration de Windows XP vers Ubuntu en 2012. Les ressentis y sont les mêmes qu’au Passe-jardins.
Emmanuel raconte :
« Quand on ne connaît pas l’informatique, on ne jure que par ce qui est utilisé par tout le monde. Ça a un côté tranquillisant. Un accompagnement rassurant est nécessaire pour sauter le pas. »
Il poursuit :
« Au début, les machines avaient un double boot : les secrétaires pouvaient choisir de les démarrer sous Windows ou sous Ubuntu. Du coup, le risque est annulé ; si ça se passe mal sous Ubuntu, on rebascule sous Windows. »
Mais Ubuntu est finalement adopté. Les secrétaires utilisent LibreOffice, Gimp et Scribus, logiciel de publication assistée par ordinateur. Emmanuel a installé une Virtual Box pour le logiciel de gestion des compétitions, qui ne tourne que sur Windows.
Plus de problème de virus, plus de machines qui ralentissent, qui rament… Le bonheur.
Florence, une des secrétaires de la fédération, précise :
« On n’est pas des pros de l’informatique du tout ! L’installation, c’est trop compliqué. Ça s’est bien passé, mais aussi parce qu’on avait Emmanuel, prêt à nous aider au moindre problème. »
Des étudiants qui n’utilisent plus que du libre
Pour parfaire sa connaissance des logiciels libres, Florence a intégré cette année CoLibre. Cette licence de l’université Lyon 2, unique en France, forme des communicants n’utilisant que des logiciels libres.
En ce début d’année scolaire, les étudiants profitent d’une install-party pour mettre en place Mint, un système d’exploitation Linux, sur leurs portables personnels. Ils les installent en double boot pour garder Windows.
Tous et toutes semblent déjà très sensibilisés à la question du libre. Jean, un étudiant, explique :
« En m’inscrivant à cette licence, je voulais voir si l’alternative libre était viable professionnellement. On est un peu tous venus là pour découvrir, concrètement, le libre. Et on découvre aussi pas mal de choses, par exemple qu’Android, le système d’exploitation mobile pour smartphones et tablettes, est un système qui est parti du noyau Linux. C’est drôle de voir que personnes n’a peur d’utiliser son nouveau smartphone, mais que beaucoup s’affolent à l’évocation d’Ubuntu, de Xubuntu ou de Mint… »
Depuis 2005, le libre se démocratise. Il séduit les esseulés, qui viennent causer avec des geeks, des économes qui ne veulent pas payer leurs logiciels, les techniciens qui haïssent les virus et les machines qui rament.
Et tous ceux et celles qui trouvent aberrante la logique d’obsolescence programmée des logiciels propriétaires. Alors, rendez-vous à la prochaine install party ?
Ce samedi, pour une première approche : les 14èmes Expériences numériques à la Salle des Rancy.
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