A Lyon 2, ces doctorants ou docteurs sont mêmes parfois payés au noir. Depuis la rentrée, dans cette université lyonnaise, ces précaires tentent de se mobiliser pour améliorer leur condition de travail. A partir de ce lundi 26 janvier, les vacataires du département de sciences politiques sont appelés à faire grève.
Nous republions notre article du 5 novembre 2014.
Laetitia (prénom d’emprunt) rêve d’être prof de fac. Elle savait que le parcours serait rude pour être enseignante-chercheuse. Mais elle ne s’attendait pas à ça.
Laetitia a soutenu sa thèse il y a deux ans. Une recherche pour laquelle elle a obtenu un financement, sous la forme d’un contrat doctoral. Comme l’immense majorité des jeunes docteurs, elle n’a pas trouvé de poste de maître de conférence ou de chercheur, deux ans après avoir obtenu son bac + 8. Alors elle a accepté, « pour le CV », de donner des cours comme vacataire à l’université Lyon 2 en sciences sociales. Mais elle est au chômage. Or le décret qui régit l’emploi de ces vacataires interdit théoriquement aux universités d’embaucher du personnel vacataire au chômage. Ça doit être un emploi d’appoint.
Laetitia a dû contourner la règle et prendre un prête-nom. C’est un prof titulaire qui a endossé les heures et qui lui a reversé « de la main à la main ».
Laetitia a donc travaillé au noir. Sans couverture sociale. Elle priait pour que ne survienne pas un problème. Et à chaque cours, c’était la débrouille :
« Je n’avais pas de carte de l’université. Ce qui veut dire pas d’accès à la bibliothèque. Tous les matins, j’espérais que l’amphi où je donnais mon cours soit déjà ouvert. Et pour les examens, j’espérais qu’il n’y ait pas d’incident. Je n’aurai pas pu faire de procès verbal. Je n’existais pas. »
Prête-noms et auto-entrepreneurs
Pourquoi Laetitia comme d’autres docteurs, à bac + 8, en viennent-ils à travailler au noir ? Une pratique très répandue, selon un maître de conférence en sciences sociales qui a souhaité gardé l’anonymat.
« Ce n’est pas propre à Lyon 2. Ça existe au niveau national. »
Le vice-président en charge des ressources humaines, Jean-François Goux, veut relativiser le phénomène :
« Nous n’avons pas d’information. Mais ils doivent se compter sur les doigts de deux mains ».
Certaines universités utilisent d’autres techniques pour contourner la loi : le statut d’auto-entrepreneur. Selon plusieurs témoignages que nous avons recueillis, à Saint-Etienne, en histoire, on demanderait aux docteurs chômeurs de se monter en auto-entrepreneur pour, simplement, pouvoir justifier d’une activité principale.
Dans un commentaire posté au bas de cet article, le directeur de la faculté de sciences humaines et sociales de l’Université de Saint-Etienne assure le contraire :
« La faculté n’emploie pas de docteur en histoire avec le statut d’auto-entrepreneur (les vacataires ayant un diplôme d’histoire étant des enseignants du secondaire ou, pour deux d’entre eux, des doctorants). »
Docteurs et doctorants vacataires : l’angle-mort de l’université
L’immense majorité des enseignants vacataires sont des professionnels qui enseignent ponctuellement à l’université. Leurs interventions viennent compléter les cours des profs de fac, titulaires quant à eux. Comme, par exemple, des journalistes pour le master de journalisme. L’ensemble des vacataires (doctorants+docteurs+retraités+professionnels intervenants) représente 2 516 personnes (chiffres bilan social 2013 cité par la présidence), dans une université comme Lyon 2.
Mais de nombreuses composantes, principalement en sciences humaines, fonctionnent grâce à des vacataires qui occupent des postes normalement dévolus à des enseignants titulaires.
- Comme Laetitia, ils peuvent être des docteurs qui ne trouvent pas d’emploi.
- On trouve aussi en nombre des doctorants dont la thèse n’est pas ou plus financée.
Il est très difficile d’avoir accès à des données précises sur ces précaires. Au plan national, il n’y aucun chiffre officiel car, explique le rapport du ministère de l’enseignement supérieur de 2013, un quart des universités n’a pas répondu aux demandes de renseignement.
On sait uniquement qu’il y aurait « environ 135 000 » personnes dans cette catégorie. Elle comprend également les titulaires d’un contrat à durée déterminée, payés au mois et pendant les vacances.
Nous avons cherché à obtenir directement des chiffres des universités de Lyon 1 et Lyon 3. Les directions de ces universités n’ont pas donné suite.
A Lyon 2, des enseignants précaires essayent de se mobiliser pour améliorer leur condition de travail. Pétition, rassemblements sur le campus des quais et appel à la grève en sciences-politiques, ils sont quelques dizaines à tenter d’entrer en discussion avec la direction de l’université. Dans ce contexte, la présidence fait preuve d’une certaine transparence et nous a fourni quelques chiffres.
Nous apprenons ainsi qu’à côté des 800 enseignants titulaires ou contractuels, 200 sont des étudiants vacataires. Si on raisonne sur l’ensemble des enseignants (titulaires+contractuels+vacataires = 2516), cela représente 6% du corps enseignant.
Il faut ajouter à ces deux catégories de précaires, les docteurs au chômage qui, bien qu’ils enseignent à la fac, restent totalement invisibles.
Gérer la pénurie
A l’échelle d’une université comme Lyon 2, il s’agit certainement d’au moins 200 personnes, doctorants ou docteurs, qui assurent les cours de titulaire ou de contractuel.
La direction de l’université de connaît pas la répartition par composantes. Mais certains profs ont fait leur calcul. Nous y avons eu accès.
Selon ces estimations, en sciences-politiques, 80% des TD et 20% des CM seraient assurés par des vacataires. La situation est semblable en anthropologie, où la plupart des cours de licence sont dispensés par des doctorants ou docteurs vacataires et non par un maître de conférence ou professeur des universités.
La raison ? Ces filières sont très prisées par les étudiants qui arrivent en masse en licence. Mais les moyens humains ne suivent pas. Le « taux d’encadrement » (le rapport entre nombre de profs nécessaires et le nombre réel) est extrêmement bas. Et les étudiants s’entassent en première année dans les amphis et à 40 par TD.
Les profs puisent alors dans le vivier des étudiants qu’ils encadrent en thèse voir en master (pour les doctorants) ou qu’ils ont encadré (pour les docteurs).
Le vice-président aux ressources humaines reconnaît qu’ils « font tourner » ces composantes comme sciences-politiques, anthropologie ou la sociologie :
« Ils ont une grande employabilité. C’est intéressant pour la composante ».
Il reconnaît également qu’un vacataire coûte moins cher qu’un contractuel et surtout qu’un titulaire. L’université ne verse pas de cotisations chômage.
En ces périodes de vaches maigres, c’est toujours ça.
« Une situation ubuesque »
Un enseignant en sciences sociales, toujours sous-couvert d’anonymat, résume la situation :
« Ce sont des situations complètement ubuesques. dans les composantes, on a besoin de ces doctorants ou docteurs pour prendre en charge des TD et des CM. Car nous ne sommes tout simplement pas assez de titulaires pour faire face à l’ensemble des heures de cours prévues dans la maquette. Et d’un autre côté, ces doctorants ou docteurs ont besoin de ses cours pour espérer être un jour recrutés comme maître de conférence. L’expérience d’enseignement comptant autant que la qualité de la thèse. »
Des filières, comme en histoire, qui employait peu de vacataires commencent à s’y mettre.
Selon les vacataires et les enseignants que nous avons interviewés, les universités françaises auraient tendance à employer de plus en plus de ces « bouches trous ».
Il faut dire que l’emploi scientifique n’est pas à la fête. Le 17 octobre, le collectif « Sciences en marche » manifestait à Paris. Dans une lettre à François Hollande, des directeurs de laboratoires constataient la diminution de 26% du nombre de postes d’enseignant-chercheur ouverts au concours entre 2009 et 2013.
La « sanctuarisation » du budget de l’enseignement supérieur n’est pas suffisante pour faire face à la progression naturelle des salaires due au vieillissement des profs et des administratifs alors que le nombre d’étudiants augmente.
« C’est bon pour la carrière »
Fanette (prénom d’emprunt), la trentaine, termine sa thèse en anthropologie. Elle assure deux cours de TD et un cours magistral (CM) en plus d’un petit boulot dans la restauration pour payer les factures. Elle a été prévenue une semaine avant d’attaquer les cours. Vu qu’elle n’a pas le droit de donner des CM, l’administration « contourne le problème » et la déclare en « heure TD ». De toute manière, sur la maquette du cours, c’est le nom du prof titulaire en détachement dans une autre université.
Le gros soucis, immédiat, ce sont les 400 euros de frais d’inscription qu’elle doit payer. Car, rappelons-le, elle est d’abord considérée comme étudiante. A la fac, quand on est doctorant vacataire, il faut payer pour être payé. Fanette, elle, ne peut tout simplement pas les verser.
« Je ne peux pas. Il faut que j’attende la première paye de l’université pour le faire. Mais si je ne m’inscris pas, je ne serai pas payée ».
Côté salaire, même s’il peut paraître attractif (40,91 euros brut de l’heure), il intègre les heures de préparation, de surveillance d’examens et de correction. Fanette compte entre cinq et dix heures de préparation pour une heure de cours.
Quand on est vacataires, on ne l’est pas « pour le salaire ». mais pour « la carrière ». Chloé, docteur en sciences sociales :
« Pour être recruté comme maître de conf’, on est jugé sur nos recherches et sur l’enseignement. Les vacations comptent. Et comme pour les autres jobs, il ne vaut mieux pas avoir de trous dans son CV. Ensuite, on se bat tous les jours faire un enseignement de qualité malgré les difficultés matériels qui se surajoutent ».
Et mieux vaut ne pas trop l’ouvrir non plus. Ce sont les « collègues » qui vont peuvent vous recruter pour un futur poste de maître de conférence.
L’université : la maison qui rend plus fou que Pôle emploi
Si Fanette ne touche rien de Pôle emploi et vivote entre vacations et petits boulots, les collègues vacataires de Fanette se débattent, eux, avec Pôle emploi. David, 28 ans, finit sa thèse en étant au chômage. Il donne également des cours en tant que vacataire en anthropologie.
L’année dernière, comme il est un bon élève, il a suivi les consignes de Pôle emploi en déclarant chaque mois ses heures de vacation pour qu’on lui déduise de ses indemnités chômage sa paye de vacataire. Mais il n’a pas pu envoyer la fiche de paie. Car l’université paye au plus tôt à la fin du semestre et la fiche de paie arrive encore le mois suivant. Résultat, il a été radié pendant un temps de Pôle emploi. Et il a dû batailler au 3949 et pendant de plusieurs rendez-vous pour régulariser sa situation.
Tous les doctorants vacataires que nous avons rencontrés mettent en avant ces trois problèmes majeurs :
- Les frais d’inscription à l’université alors qu’on va travailler pour cette même université.
- Une inscription tardive (du fait de difficultés financières ou à cause de problèmes administratif) qui repousse la signature du contrat et donc la paye.
- Une paye à chaque fin de semestre (au mieux) alors que ces vacataires souhaitent un revenu mensuel.
Devenir des salariés comme tout le monde
Une partie de la solution tient dans le recrutement de maître de conférence. Au moins les docteurs qui travaillent au noir ou en auto-entrepreneur en attendant mieux auraient une plus grande chance de trouver un emploi. Mais il y a peu de changement à attendre du côté du ministère de l’enseignement supérieur qui a rejeté toutes les demandes des chercheurs descendus brièvement dans la rue.
Les vacataires le savent alors ils visent surtout à la direction de l’université Lyon 2 afin d’améliorer leur quotidien : avoir un vrai contrat, en temps et en heure, et être payé mensuellement.
Le vice-président en charge des ressources humaines, convient qu’il y a un sérieux problème :
« Ces doctorants sont vacataires car ils n’ont pas trouvé de financement ou sont allés au bout de leur contrat doctoral. Ils vivent de petits boulots. C’est très difficile pour eux. La thèse s’en ressent. Généralement, ils ne la terminent pas ».
Il ne voit pas de solution.
Jean-François Goux, par ailleurs élu socialiste de la commune de Vernaison, nous dit qu’il faut déjà se satisfaire, que le budget des universités ait été « sanctuarisé ».
Pour le reste, il considère comme impossible à mettre en oeuvre la mensualisation et suppression des frais d’inscriptionUne seule amélioration est envisagée par le vice-président : simplifier l’inscription des doctorants pour l’accélérer. Ils pourraient ainsi être payés plus rapidement et avoir un contrat quand ils attaquent les cours.
Ce serait déjà ça.
> Article mis à jour 30 novembre à 11h avec le commentaire du directeur de la faculté de sciences humaines et sociales de l’Université de Saint-Etienne.
> Article mis à jour le 26 janvier à 18h avec l’appel à la grève des vacataires de sciences politiques de Lyon 2.
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