En juillet 2013, à la suite de la mort de Clément Méric, le ministère de l’Intérieur entérinait la dissolution de l’Oeuvre française et de sa branche « jeune », les Jeunesses nationalistes. Deux groupuscules d’extrême droite qui ont Lyon pour base arrière et Pétain pour modèle.
Il y a un an et demi, nous posions la question de l’efficacité de ce type de mesure. On peut encore un peu plus se la poser aujourd’hui. Un mois après la dissolution, en août 2013, Yvan Benedetti réactivait « Jeune Nation », un site Internet, qui est rapidement devenu une organisation et accueille les ex-militants des deux groupuscules dissous.
Et pour les accueillir physiquement, il fallait un lieu. Il a récemment été trouvé.
Une « Maison bleue » rue Saint-Georges
L’inauguration s’est faite en toute discrétion le 15 novembre dernier. L’information n’a pas été rendue publique et n’a circulé qu’entre militants. Le lieu se nomme « La Maison bleue » et se situe rue Saint-Georges, dans le Vieux Lyon. Elle n’a rien de commun avec la chanson de Maxime Le Forestier.
Sur le carton d’invitation, que nous nous sommes procuré, il est noté que les « installations » comprennent :
- « Une salle polyvalente avec buvette »,
- « Une boutique nationaliste dans laquelle vous trouverez des livres, journaux, drapeaux, écussons, insignes, autocollants, affiches et tout le matériel militant ».
L’inauguration se fait bien sûr en présence des deux leaders nationalistes, Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti.
Alors qu’ils usent des réseaux sociaux pour leur propagande, aucun post ne fait référence à l’inauguration du local. Yvan Benedetti s’est toutefois fendu d’un retweet.
Conférence d’@HerveRyssen hier à l’inauguration du local de #Lyon. Avec @Yvan_Benedetti. Merci pour la dédicace ! pic.twitter.com/8YgYjigQFU
— Stef JN (@Stef_Natio) November 16, 2014
Un écrivain antisémite et de la boxe au programme
L’« invité d’honneur » de l’inauguration, Hervé Ryssen, donne le ton du lieu. Cet écrivain a été plusieurs fois condamné pour antisémitisme. Dans le « compte-rendu » officiel de la soirée publié, sur le site « Jeune Nation », il est présenté comme « défenseur de la race blanche et pourfendeur du judaïsme politique ».
L’invitation est encore plus explicite et précise que l’écrivain « dédicacera son dernier ouvrage dénonçant les escrocs juifs et les financiers internationaux » avec couverture du livre en exergue.
Le 12 décembre, au détour d’une des pages Facebook des nationalistes, on apprend que le local ne propose pas seulement de nourrir l’esprit. Du sport est proposé, en l’occurrence de la la boxe, « tous les jeudis ». Sur la photo, les visages sont floutés sauf ceux d’Alexandre Gabriac, Yvan Bendetti. A droite sur la photo, on reconnaît en costume le conseiller régional, Olivier Wyssa, exclu du FN en mai 2011.
Le choix du Vieux Lyon, évidemment
Le choix du Vieux Lyon ne doit rien au hasard. L’extrême droite radicale considère ce quartier comme son fief. On y trouve en effet l’église Saint-Georges tenue par les catholiques traditionalistes et, surtout, depuis 2011, entre la place Saint-Jean et la gare Saint-Paul, le local des identitaires, la Traboule.
Les identitaires, comme les nationalistes, ont fait du Vieux Lyon le quartier privilégié de leurs manifestations.
- Le 14 mai 2011 : les identitaires organisent un rassemblement place Saint-Jean en remplacement de la Marche des cochons. Ce jour-là, une manifestation sauvage a lieu avec slogans islamophobes, saluts nazis et le saccage de deux restaurants kebabs.
- Le 14 janvier 2012, quelques mois après leur création, les Jeunesses nationalistes défilent pour la première fois. Et le cortège se termine place Saint-Jean. En arrivant, dans le quartier, c’est le slogan « Saint-Jean est à nous » qui est repris.
Local privé et reconstitution de ligue dissoute
Contactée, la mairie de Lyon explique « suivre le dossier ». Mais elle n’a aucune compétence à faire valoir puisqu’il s’agit d’un « local privé ». La police et le procureur de la République connaissent également l’existence de ce lieu.
L’ouverture de ce local n’est qu’un épisode de plus dans la poursuite d’activités politiques menées conjointement par Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti. En mars dernier, ils se présentaient aux élections municipales à Vénissieux (l’élection a été invalidée). Surtout, ils ont continué à animer leur groupe militant, comme avant ou presque :
- Ils ont organisé des réunions avec leur sympathisants partout en France et ont mobilisé leur troupe lors de manifestations comme « Jour de Colère » en avril dernier.
- Yvan Benedetti et ses camarades sont venus apportés leur soutien aux huit individus poursuivis et condamnés pour avoir tabassé à coups de batte de baseball un couple identifié comme « gauchiste ».
Dernièrement, Yvan Benedetti tenait une réunion à Royan (en Charente-Maritime).
Ex-chef @oeuvrefrancaise dissoute @Yvan_Benedetti tente-t-il de reconstituer une ligue dissoute? #NeRienLaisserPasser pic.twitter.com/9AQblXIOKU
— Haziza Frédéric (@frhaz) December 6, 2014
En continuant ouvertement leurs activités, les ex-dirigeants de l’Œuvre française et des Jeunesses nationalistes savaient qu’ils s’exposaient à des poursuites pénales pour « reconstitution de ligue dissoute ».
Quelques jours après l’inauguration de leur local, le 19 novembre, Yvan Benedetti était précisément mis en examen pour reconstitution de ligue dissoute. Le lendemain, C’était au tour d’Alexandre Gabriac de connaître le même sort.
Inquiétudes dans le Vieux Lyon
Dans le quartier, une association ne voit pas l’installation des nationalistes d’un bon oeil. A quelques dizaines de mètres de leur local, la Maison des Passages est un lieu qui promeut l’interculturalité et la « créolisation sociale ».
Dernièrement, ce lieu a accueilli le festival Itinérance tsiganes et a co-produit un documentaire sur l’écrivain-libraire François Maspero. Des activités aux antipodes des nationalistes.
Le président de l’association se montre inquiet. Car, outre le local, un bar du quartier a été repris par un propriétaire qui ne cache pas ses affinités avec l’extrême droite. Ce bar étant également « suivi » par la direction de la sécurité de la Ville de Lyon.
Bruno Guichard s’explique :
« Nous avons écrit un manifeste « Pour une politique de la relation » qui est justement une réponse au FN et à l’extrême droite radicale. On l’a fait après avoir organisé une soirée « Des voix s’élèvent contre le fascisme ordinaire » au cours de laquelle on a subi une descente de l’extrême droite. Ce genre d’agression peut se reproduire. »
Contactés par Rue89Lyon, Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac n’ont pas donné suite.
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