Le mastodonte culturel passera au 1er janvier 2015 sous le pavillon de la Métropole de Lyon. Il présentera les collections de l’ancien museum d’histoire naturelle ou musée Guimet (fermé en 2007) et aura pour leitmotiv la « transdisciplinarité ». Avant d’aborder, dans un prochain article, le projet muséal, replongeons dans la chronologie du musée devenu « le plus cher de France ».
1. Le coût du Musée des Confluences glisse inexorablement
Plus cher que le MuCem de Marseille (mais moins cher en coût fonctionnement) ou le Quai Branly de Paris, le Musée des Confluences est aussi celui qui a vu son coût augmenter, sans arrêt.
Au conseil général, depuis la séance publique du 28 octobre, le seul chiffre que l’on communique est celui de 255,4 millions d’euros, sans que l’on puisse connaître l’origine de ce chiffre. Au démarrage du projet, en 2000, on annonçait un coût de 61 millions.
Selon l’association de contribuables lyonnais Canol, le coût du seul bâtiment devrait s’élever à 287 millions. Si l’on ajoute les autres dépenses (achat du terrain, travaux d’accès…), la facture s’élève selon eux à 328 millions d’euros. Cette association se fonde sur les autorisations de programme inscrites au budget supplémentaire 2014 du Rhône.
A la veille de l’inauguration, le conseil général essaye de sauver la face en menaçant de poursuivre Vinci (le second constructeur) pour des retards dans la livraison. Et réduire la facture.
Pour rappel, selon la dernière déclaration en date de Michel Mercier sur le sujet, le musée aurait dû être livré en 2009.
Au conseil général, on explique qu’il ne s’agit pas d’un projet « comme un autre » mais d’un projet « qui s’est construit au fur et à mesure ». On emploie encore l’expression de « puzzle qu’on assemble ».
Le responsable en charge du dossier nous dit :
« Lorsqu’on a un projet simple, on valide tout, on définit le montant et on construit. Là, c’est l’inverse : on a choisi un concept que l’on a confié à un architecte de renom. Le projet s’est élaboré sur cette base-là. Ce qui explique une partie de l’inflation du projet. On est parti dans le sens inverse des projets habituels. »
La réussite n’ayant pas été franchement au rendez-vous, il en vient à exprimer quelques regrets :
« On n’aurait peut-être pas dû afficher un prix au départ si on était par certain d’avoir en face un projet. »
Cette ligne de défense du « musée qui s’est construit au fur et à mesure » permet à Michel Mercier d’affirmer dans l’Express du 3 décembre :
« On n’a jamais dérapé : on a su, dès le choix du projet de Coop Himmelb(l)au, en 2001, qu’on ne serait pas dans la ligne financière retenue quelques mois plus tôt ».
Comme souvent en la matière, l’argumentaire de l’homme fort du Rhône ne parvient pas à convaincre. Dès le départ, le conseil général savait que le concept des architectes autrichiens allait être difficile à réaliser et ne rentrerait pas dans les clous financiers. Mais Michel Mercier a continué à annoncer et à faire voter des montants de travaux constamment revus à la hausse, depuis 2001 :
- 2000 : 61 millions d’euros
- 2001 : 91,4 millions d’euros
- 2003 : 112 millions
- 2006 : 153 millions d’euros
- 2008 : 161 millions d’euros
- 2011 : 239 millions d’euros
- 2014 : 255 millions d’euros
A quelques abstentions près, tous les élus du conseil général (y compris l’opposition socialiste et communiste) ont voté les révisions des contrats.
2. L’inconnu du coût de fonctionnement
Très cher à construire, le musée risque également d’être cher à faire fonctionner.
La directrice du Musée des Confluences l’affirme : le coût de fonctionnement ne dépassera pas 18 millions d’euros par an. Pour faire tourner sa structure, Hélène Lafont-Couturier demande une subvention de 15 millions d’euros à Gérard Collomb, président du Grand Lyon et futur président de la Métropole de Lyon qui va récupérer le musée au 1er janvier 2015.
Hélène Lafont-Couturier compte sur 3 millions de recettes, qui se déclinent ainsi :
- La billetterie : basée sur environ 500 000 entrées par an dont 30% d’entrées gratuites.
- La commercialisation des espaces de conférence.
- Les redevances des commerces.
La seule inconnue, précise la directrice, concerne les « fluides » :
« On ne sait pas encore comment va fonctionner le bâtiment. On est parti sur une base de 500 000 euros par an ».
L’association Canol estime que le chiffre est sous-estimé. L’un de ses représentants, Pierre Desroches, fait son calcul (sans prendre en compte les différences de bâti toutefois) :
« Le musée des Arts premiers (Quai Branly) à Paris coûte 63,9 millions d’euros par an. Or il fait le double de surface. On peut considérer en prenant le même ratio, que le coût annuel de fonctionnement sera donc probablement de 30 millions d’euros. Ce qui équivaut à 10% du prix de construction ».
3. Construire un musée sans connaître l’emplacement, à savoir le plus pourri de Lyon
En juillet 2000, le conseil général décide de construire le musée. Mais il ne sait pas encore où. D’où les gros problèmes qui vont suivre.
Si l’on s’en tient au mandat de la SERL (la société d’économie mixte que le conseil général a choisi comme maître d’ouvrage délégué) de 2000, le musée devait être construit dans la ZAC Confluence, c’est à dire quelque part entre les voûtes de Perrache et la pointe de la Presqu’île.
L’enveloppe prévisionnelle globale était alors de 400 millions de francs, soit 61 millions d’euros.
L’absence d’une localisation précise pose question. Normalement, on ne peut pas avoir de programme sans définition du terrain qui va recevoir le bâtiment.
L’association Canol a donc demandé ce programme, fruit du travail de « programmistes » réunis au sein de l’entreprise Café Programmation. Malgré une injonction de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), l’association n’a pas pu l’obtenir. Le Département l’aurait perdu.
Aujourd’hui, au conseil général, on assure que, bien sûr, on connaissait l’emplacement lorsque l’enveloppe de 61 millions d’euros a été définie. Rien ne permet de le prouver.
Problème, le terrain qui sera choisi par la suite est le plus pourri. A la pointe de la Presqu’Ile, à la confluence du Rhône et de la Saône, le terrain est constitué d’alluvions et pollué.
Outre la dépollution, il a surtout fallu aller chercher profondément les fondations, en ajoutant des pieux.
Conséquence : le 19 décembre 2003, la facture (de 61 millions) est doublée et passe à 112 millions d’euros. Il faut en effet prévoir différents aménagements :
- construire un mur de soutènement pour l’autoroute A7
- dépolluer les sols et démolir le bâtiment existant. Le boulodrome devra être reconstruit à Dardilly
- creuser plus profond que prévu : 31 mètres au lieu des 19
A quelques jour de l’inauguration, Michel Mercier a trouvé la parade. Dans Libération, il fait parler les morts :
« J’aurais préféré que ça se fasse ailleurs mais Raymond Barre a souhaité qu’on construise là. C’était le plus mauvais endroit possible. Car il n’y avait pas de sol et on savait très bien que ça n’irait pas. Il a fallu prendre des mesures adéquates. On a dû littéralement construire le terrain ».
4. Le choix du geste architectural le plus complexe
Le choix du terrain était d’autant plus important que le bâtiment est d’une extrême complexité. En février 2001, le Conseil général choisit le projet du cabinet d’architectes Coop Himmelb(l)au, « le nuage de cristal ».
On est juste après l’inauguration du musée Guggenheim de Bilbao conçu par Frank Gehry et son architecture déconstructiviste. Michel Mercier veut la même chose. Un mois avant les élections municipales, le chef du Rhône est candidat à la mairie de Lyon. Il veut impressionner. Le jury du concours penche pour le cabinet autrichien et le président du conseil général signe.
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde pour dire que la complexité de la carapace de verre et d’acier du bâtiment a plombé le coût du musée.
Problème : le cabinet Coop Himmelb(l)au a signé le 15 janvier 2002 un contrat de maîtrise d’oeuvre pour 59 millions d’euros alors que, au minimum, il va en coûter 255 millions d’euros.
En clair, cela veut signifie que l’architecte s’est engagé sur une enveloppe financière mais qu’il n’a pas su passer du concept à sa réalisation.
Aujourd’hui, le musée est constitué de trois éléments :
- Le Socle, en béton, est la partie sur laquelle reposent le Cristal et le Nuage, avec notamment les réserves et les deux auditorium.
- Le Cristal, entièrement en verre, est la partie au nord dédié à l’accueil du public.
- Le Nuage, recouvert de plaques d’inox, pèsent 6 000 tonnes et abrite les salles d’exposition sur quatre niveaux.
5. Un chantier qui s’arrête
Le 23 novembre 2005, une société est enfin trouvée pour construire le bâtiment. Un marché est signé avec l’entreprise Bec (groupe Fayat).
Mais les travaux ne commenceront qu’un an plus tard, à l’automne 2006 et ne dureront que quelques mois.
Le chantier est arrêté une première fois entre avril et septembre 2007, puis une seconde fois, en juillet 2008. Ce sera un arrêt définitif pour l’entreprise Bec qui renonce à construire le musée.
Sur le sujet, on reste très évasif au conseil général pour expliquer ce fiasco. Deux causes expliquent le retard pris et ces arrêts de chantier :
- Entre l’architecte et le constructeur, c’était la mésentente. L’architecte aurait fait de la rétention d’information. Un autre cabinet d’architecte a même été nommé pour faire l’intermédiaire et réaliser certains plans.
- Les assureurs ont refusé dans un premier d’assurer le bâtiment et ont demandé des garanties supplémentaires financières, concernant les fondations du bâtiment jugées trop légères. Ce sont les conséquences indirectes de l’effondrement d’un des halls de l’aéroport de Roissy en 2004 : les assureurs ont revu leurs cahiers des charges.
6. Changement de constructeur = les coûts s’envolent
Le 20 juillet 2008, le conseil général résilie le marché passé avec l’entreprise Bec, avec une indemnité de 3,6 millions d’euros versée. Comme pour n’importe quel projet, le départ d’un constructeur représente un coup dur. Là, cela va entraîner une augmentation exponentielle des coûts.
Alors que le marché est toujours à l’arrêt, faute de constructeur, un nouvel appel d’offre est lancé. Il faut un an pour en trouver un, au terme d’une procédure dite de « dialogue compétitif » car on ne savait pas comment construire le musée.
Le 15 janvier 2010, Vinci remporte le marché. Le coût global de l’opération, toujours en augmentation, est alors estimé à 161 millions d’euros en 2008, selon le conseil général.
En séance plénière, Michel Mercier prend même un engagement pour l’avenir autour de « 175 millions d’euros » :
“Le contrat avec Vinci est forfaitaire. Le montant des travaux ne devrait donc pas être réévalué”.
Hormis quelques abstentions, les conseillers généraux, de droite comme de gauche, votent le marché.
Mais un an plus tard, en 2011, l’enveloppe globale est portée à 239 millions d’euros. Le conseil général tente de lister les éléments pour expliquer l’inexplicable :
« La résiliation du contrat Bec, la rémunération complémentaire du maître d’oeuvre, encore un avenant concernant les assurances, des travaux supplémentaires non-prévus ».
Bref, à l’occasion du changement d’entreprise, la facture a grimpé de près de 80 millions d’euros alors que Michel Mercier promettait que cela ne devrait pas être réévalué.
7. Le financement par la vente des bijoux de famille
Le financement du Musée des Confluences pose également question. Officiellement, il est financé sur « fonds propres » grâce essentiellement à la vente des actions que le conseil général détenait de la CNR et de deux sociétés d’autoroute (ASF et APRR).
Michel Mercier a vendu les actions de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) en 2003 alors qu’un rapport d’une mission interministérielle (cité par le Canard enchaîné du 16 mars 2011) avait estimé « très élevé et probablement plus encore dans le futur » la valeur de la compagnie.
Il a donc vendu 399 741 actions CNR (11,4% du capital) pour un montant de 63 millions d’euros. Aujourd’hui, Michel Mercier aurait pu vendre ces actions pour 460 millions d’euros. Sans compter les dividendes que le conseil général aurait pu percevoir.
Si on additionne ce manque à gagner et le coût du musée, on est atteint le milliard d’euros. D’où le surnom de « l’homme qui vaut un milliard » repris dans une vidéo de Lyon Capitale.
8. Les emprunts toxiques ont-ils été utilisés pour le musée des Confluence?
Le 29 novembre 2011, les socialistes du conseil général, pour une fois dans le rôle de l’opposition, dressent la liste des emprunts toxiques. Un montant estimé à 400 millions d’euros, revu à 363 millions en 2013.
En réponse, Michel Mercier fait une tentative d’éclaircissement assez maladroite sur les liens tissés avec Dexia :
« Au moment de la réalisation du tronçon nord du périphérique (TEO), le conseil d’État a annulé la concession. Le Département a dû trouver 1,2 milliard de francs en quatre jours. Dexia était le seul banquier qui a accepté de prêter cette somme. Le département a continué de travailler avec cette banque. »
Le président du département du Rhône sous-entend ici qu’il a été contraint, dans l’urgence, de contracter des emprunts risqués, alors qu’en réalité cette somme d’1,2 milliards de francs a été demandée à Dexia avant 1995. Il ne s’agissait donc pas encore d’emprunts toxiques.
Une fois évacuée cette fausse raison, des zones d’ombre subsistent sur la finalité des sept emprunts toxiques souscrits entre entre 2006 et 2010.
Même si les recettes du département ne peuvent pas être affectées à une dépense en particulier, il est vraisemblable que ces emprunts toxiques aient servi à boucler le budget du Musée des Confluences puisque la seule vente des actions CNR et des sociétés d’autoroute n’a pas suffi.
9. Le Musée « des Confluences – Michel Mercier »
Au décès de Michel Mercier, le Musée des Confluences portera-t-il son nom ? Pour plaisanter, certains disent qu’il y sera naturalisé. Il en est le principal artisan mais aussi le principal responsable du fiasco financier. Lors de la dernière séance publique du conseil général, le 28 octobre, on a presque cru qu’il allait faire son mea culpa, en déclarant :
« C’est un dossier dont j’assume l’entière responsabilité. J’étais président quand il s’est fait. »
C’est une manière de jeter un voile sur les responsabilités de tous les acteurs, et notamment de la SERL société d’équipement, maître d’ouvrage délégué du chantier dont le conseil général est actionnaire.
Mais Michel Mercier a du mal à assumer tout à fait. Après avoir chargé Raymond Barre (sur le choix du site notamment), l’homme fort du conseil général accuse cette fois-ci un autre maire de Lyon. En s’adressant au conseiller général Jean-Jacques David (UMP), il déclare :
« Michel Noir était maire de Lyon, à l’époque, quelqu’un de votre bord, je vous rappelle. C’est lui qui a demandé au Département de prendre en charge le musée Guimet et vous nous l’avez alors confié. Et il était pourri : la verrière tombait, les pièces pourrissaient au sous-sol… »
Et il conclut :
« On a décidé de le faire ce musée, cher, sûrement. Mais on en fera un élément de l’attractivité de la Métropole. J’en ai assez de ceux qui me bassinent avec un boulodrome rouillé ou un campement ou je ne sais quoi, à l’entrée de la Métropole. »
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