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Danse : Maguy Marin reprend le rythme à la Biennale

ENTRETIEN / Qu’est-ce qui fait encore courir Maguy Marin ? A

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Maguy Marin, chorégraphe. Crédit : Michel Cavalca.

la Biennale de la danse, la chorégraphe la plus capée et révoltée de la danse française fourbit sa 49e création en 40 ans d’activité. Avec BiT, pièce pour six arpenteurs qu’elle donne au TNP cette semaine, elle ouvre un nouveau chapitre, un nouveau cycle de sa recherche jamais tarie ou satisfaite sur la condition humaine, et sa représentation sur scène.

Maguy Marin, chorégraphe. Crédit : Michel Cavalca.
Maguy Marin, chorégraphe. Crédit : Michel Cavalca.

Elle y amorce un virage vers plus d’allégresse peut-être, et tente de saisir à la volée, sur fond de musique techno, les différents rythmes qui forment la vie.

Elle que l’on dit rétive à l’exercice de l’interview expose au contraire avec douceur les doutes, la valse-hésitation qui l’assaillent en pleine répétition. Et explique son retour en terre lyonnaise, trois ans après son départ surprise du centre chorégraphique de Rillieux-la-Pape, et l’échec de son implantation à Toulouse.

 

« Je cherche quelque chose d’assez simple. Et c’est très difficile. »

RUE89LYON : Au moment d’Umwelt, l’un de vos spectacles les plus controversés, vous disiez qu’il s’agit toujours pour vous de rattacher le rythme à la vie, de trouver une forme simple pour le faire, et qu’il est difficile de rejoindre cette simplicité, de trouver la présence juste qui puisse correspondre. Trouver cette présence juste, est-ce à nouveau ce vous anime le travail sur BiT, votre création pour la Biennale ?

MAGUY MARIN : Oui. On tourne toujours autour du même pot, à vrai dire. C’est très empirique. En ce moment, on est encore dans la recherche. Je ne peux pas encore dire ce que va être la pièce. Mais on travaille sur des rythmicités. A la fois les rythmes individuels de chacun, et la façon dont, à des moments, les personnes, les groupes se mettent au pas, ou se différencient.

Vous avez l’habitude, pour nourrir la recherche sur un spectacle, de réunir beaucoup d’éléments, des livres, des films… Quels sont-ils cette fois ?

L’ouvrage de Pierre Sauvanet, Le Rythme et la Raison, est l’un des moteurs. Le livre aussi du philosophe de l’art Henri Maldiney, Regard Parole Espace. Des films, on en regarde beaucoup, mais au niveau des images, c’est encore très flou.

Nous n’envisageons pas le rythme au sens de la cadence. Le rythme, pour nous, est quelque chose qui change constamment, qui n’est pas arrêté, qu’on essaye de trouver à la fois dans des sources très écrites, et d’autres moins tangibles, moins captables.

La création se situe-t-elle dans la lignée des précédentes, Nocturnes en particulier ?

Oh, non, je ne pense pas. Je travaille par cycle, en fait, sur trois pièces, parfois plus longtemps, cela peut durer sept ans. J’ai vraiment l’impression que Nocturnes clôt un parcours, commencé avant Salves, où la question de la lumière était devenue très importante.

Sur la lumière justement… En juin, j’ai vu Singspiele, un spectacle que vous avez monté avec David Mambouch, comédien fidèle du TNP. Cette performance à part inspire-t-elle la création en cours ? Sur l’usage de la lumière, qui tranche avec « l’obsession pour l’obscurité » des pièces précédentes.

Difficile à dire. Dans la pièce qu’on a faite avec David, c’était évident, il fallait une lumière crue, et qu’on voit tout. On ne sera ni dans Nocturnes, ni dans Singspiele, mais dans d’autres formes. Je cherche quelque chose d’assez simple, voilà, c’est ça. Et c’est très difficile.

Dans la note d’intention, qui présente la création pour la Biennale, je perçois un changement. Les pièces passées assemblaient les danseurs en un même corps, social, une horde. Là, vous parlez de « co-existences ». N’y a-t-il pas l’idée d’éclater ce corps commun, d’en revenir aux individualités ?

Nocturnes avait déjà amorcé cela. Nous faisons attention à ce qui se passe dans la rue. Comment chacun marche à son rythme, plus ou moins agité. C’est contradictoire. Ces différents rythmes à un moment font collectivement quelque chose. Tout à coup, ils peuvent former une foule, des masses même.

Nous tentons de voir comment s’agencent toutes ses différences d’êtres, un peu dans le sens de Singspiele. Dans son parcours, David passait par des états de corps très différents. Peut-être va-t-on continuer à travailler là-dessus, sur un autre mode.

 

« Je garde espoir que chacun peut être touché, qu’un spectacle, une œuvre peut encore changer la vie de quelqu’un. Je ne me sens pas impuissante, je fais ce que je peux à mon niveau. »

 

Dans un entretien à L’Humanité fin 2012, au moment où le Festival d’Automne à Paris reprenait six de vos pièces, vous disiez que l’indignation, presque malgré vous, est le moteur de votre travail. Depuis, s’est-elle déplacée ?

Plus que l’indignation, c’est de la rage. Une colère ample devant l’injustice du monde, une colère de voir où va l’argent, de voir la capitulation des élus, des responsables, incapables de mener des politiques plus équitables pour tous. L’art et la culture sont dévoyés, servent de propagande pour une convivialité amnésique sur les problèmes de fond.

Il y a de plus en plus de pauvres dans la rue, de plus en plus de monde dans la précarité tout en travaillant, et on assiste à cela sans réagir. Même si la propagande commerciale et les industries culturelles gagnent de plus en plus, je garde espoir que chacun peut être touché, qu’un spectacle, une œuvre peut encore changer la vie de quelqu’un. Je ne me sens pas impuissante, je fais ce que je peux à mon niveau.

A votre niveau, c’est-à-dire avec votre compagnie. Depuis trois ans que vous avez quitté le centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, elle a connu pas mal de soubresauts. Elle s’est installée à Toulouse, à l’initiative de la Ville et du Théâtre Garonne. Pourquoi cet ancrage dans votre ville natale a échoué ?

A Toulouse, on s’est sentis très isolés. Nous sommes une compagnie permanente, nous avons besoin d’un lieu de travail. Et on ne l’a pas eu. Arrivés à Toulouse, nous pensions trouver un espace qui puisse nous accueillir, en même temps que d’autres artistes. Ce frottement me semble important.

On espérait un lieu qui déploierait une certaine puissance, et recevrait jusqu’à une centaine de personnes de temps en temps pour présenter des travaux. En février 2013, on nous propose une grande halle à partager avec deux autres compagnies toulousaines, celles d’Aurélien Bory et de Pierre Rigal. Nous avons fait des plans et proposé un projet. Aucune réponse. La Ville, c’est vrai, a été très absente. C’est quand même raide.

Cette implantation à Toulouse a coûté cher à la compagnie. Dans cette période de transition, quels sont les moyens pour créer ?

Pour créer, nous avons pas mal de coproduction, avec le Théâtre Garonne, le Théâtre de la Ville à Paris, l’Opéra de Lille, la Filature à Mulhouse, la MC2 de Grenoble, le Théâtre de Nîmes… On s’autofinance à 70 % avec les tournées des spectacles Umwelt, Nocturnes, Salves, May B. Jusque-là, nous sommes parvenus à travailler à plein temps ensemble. Je ne suis pas sûr que cela dure encore longtemps.

En 2015, vous revenez en région Rhône-Alpes, au Ramdam, le lieu qui vous appartient à Sainte-Foy-les-Lyon. Est-ce un choix contraint par les circonstances ?

A Toulouse, si on avait pu développer un lieu du même type que le Ramdam, on aurait été très heureux de rester. Le fait est que je n’ai plus l’énergie pour recommencer ailleurs, et savoir à qui m’adresser. Comme je suis déjà propriétaire du Ramdam, et qu’il y a déjà une activité – ce lieu reçoit vingt artistes ou compagnies en résidence par an, on va trouver là ce frottement que je cherche, et participer à sa vitalité.

Pourquoi ne pas avoir investi le Ramdam à votre départ de Rillieux-la-Pape ?

Parce que je suis une constructrice. Le Ramdam, je l’ai acheté il y a dix-huit ans, il reçoit des artistes. Je pensais pouvoir le faire à Toulouse, pouvoir proliférer. Des lieux comme cela sont importants, parce qu’ils permettent à des artistes de travailler, de se poser des questions sur ce que nous, artistes, nous fabriquons socialement.

C’est parce qu’il y a eu une ouverture à Toulouse que je suis venue, pas parce que c’est ma ville natale. Nous sommes venus jouer Salves, le directeur du Théâtre Garonne m’a proposé de venir, on a vu les gens de la Ville, cela s’est précipité. Après le CCN à Rillieux et le Ramdam, je me suis dit qu’on allait créer un autre espace. Cela n’a pas marché. On retourne à Sainte-Foy pour réactiver les envies communes. On ne va pas faire du Ramdam un espace très différent de ce qu’il est à présent, dans le sens où on l’aime comme il est, dans sa précarité.

En l’état, il s’agit de poursuivre ce qui se fait déjà, l’accueil de compagnies, accolé au travail de la vôtre ?

Tout-à-fait. Nous, nous sommes en tournée pratiquement sept mois dans l’année. Quand on fait une création, on travaille quatre mois tous les deux ans à peu près. Le reste du temps, nous allons coopérer avec d’autres artistes pour penser notre travail à tous. Je pense à la diffusion. Pour l’instant on joue une fois les spectacles en cours, et c’est tout. Il faut essayer de faire des diffusions plus longues, avec peut-être un peu moins de résidences. Des diffusions d’une semaine, pour activer le bouche-à-oreille.

Accompagner les artistes un peu mieux, mettre l’énergie de la compagnie, on est quand même dix permanents, à leur service. Il y a des résidences de musiciens, de gens de théâtre, metteurs en scène, quelquefois des plasticiens, et pas mal de danseurs. J’ai aussi envie de développer au sein de la compagnie des travaux avec d’autres chorégraphes, des artistes invités à travailler au sein de la compagnie. On va essayer d’activer les questions, qui sont de moins en moins présentes, aujourd’hui autour de ce que l’art fait à la société.

Jusqu’à présent, le Ramdam est soutenu par la Région, l’Etat et la ville de Sainte-Foy-les-Lyon. Ce soutien se poursuit-il avec le nouveau projet ?

Ce que je sais c’est que le Ramdam a son budget, ses financements publics et les gardera. Pour l’instant, le Ramdam et la compagnie sont séparés. Le Ramdam continue ses missions. La compagnie vient avec ses financements propres, les financements qu’on avait à Toulouse, qu’on essayera de retrouver, pour, à un moment, mutualiser les deux. Renforcer les uns et les autres.

En 1997, dans un entretien donné au mensuel 491, vous disiez que l’une des raisons d’acheter la menuiserie pour en faire le Ramdam, était de répondre à une inquiétude : où va la culture en France… Dix-sept ans après, l’inquiétude est-elle plus forte ?

Oui, je le pense. Quand j’ai acheté ce lieu, j’ai senti qu’on avait besoin d’un refuge pour continuer d’exercer nos activités en toute liberté. Aujourd’hui, les équipes de création sont de moins en moins soutenues. Un article récent dans Libération disait que les artistes, auprès des acteurs publics, engendrent la peur de faire peur. Ils donneraient des complexes au public.

A partir du moment où les spectateurs paient leurs places, on est uniquement dans un rapport de consommation. Les pouvoirs publics basculent la culture du côté du tourisme et de l’animation, des spectacles dans la rue. Je vois bien à Toulouse la politique qui est menée. Beaucoup de choses sont visibles dans la rue, mais très peu d’équipes ont les moyens de créer des pièces, de les présenter dans des théâtres. On est dans une sorte de dérive, de populisme culturel que je trouve effrayant.

 

 (Cet entretien est paru en version courte dans le n° de septembre du 491)

 

BiT

Du 24 au 27 septembre au TNP (Salle Jean Bouise) – dans le cadre de la 16e Biennale de la danse.
Le 27 novembre au théâtre d’Aurillac.
Du 22 au 24 avril 2015 au théâtre Vidy-Lausanne.


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