Afficher Une maison close devenue un club de judo sur une carte plus grande
Quand on pénètre aujourd’hui dans le « Club du Rhône » au 9, rue de l’Épée (Lyon 3e), à deux pas de la « Place du Pont », on se dit bien que les lieux n’ont pas été conçus pour le judo.
C’est d’abord la lourde porte percée d’une petite ouverture grillagée qui intrigue.
Ensuite, un long couloir étroit oblige à se pousser contre le mur pour laisser passer les judokas et autres amateurs d’arts martiaux.
Au bout de ce couloir, on débouche sur la partie la plus intrigante : devant la banque d’accueil, le sol est ajouré. Cet énorme trou dans le plancher est entouré d’une rambarde travaillé dans une sorte de faux marbre. On aperçoit en dessous les tatamis.
Une maison close transformée en club de judo
Quand on sait l’ancienne fonction de cette vieille bâtisse de la Guillotière, une maison close, on peut facilement imaginer les usages de cette architecture particulière.
Les clients pouvaient certainement, un verre à la main, se poster au bord de la rambarde pour regarder les prostituées en contre-bas. Peut-être étaient-ce au contraire les filles qui se tenaient en haut, le temps pour les clients de faire leur choix avant de monter accompagnés à l’étage, dans une des chambres devenues aujourd’hui les bureaux du club.
Nous n’avons pas trouvé de documents d’époque sur le fonctionnement particulier de cette maison de tolérance. On sait toutefois avec certitude que cet établissement a été fermé en 1946 à la suite de la loi dite Marthe Richard qui a interdit ce genre de prostitution.
En 1949, dans le même lieu, s’ouvre un club de judo. Ce qui fait du « Club du Rhône », le plus ancien de Lyon. Bernard Midan en est le patron. A l’époque, il n’est pas encore un grand nom du judo français. Ce 8e dan deviendra notamment célèbre dans le milieu pour avoir créé le code moral du judoka.
Une des dernières maisons closes de Lyon
Quand le « Panier fleuri » (c’était le petit nom de la maison) a fermé en 1946, ce lieu était l’une des six dernières « maisons de société » de Lyon. « Madame Georgette » tenait les lieux ainsi que la maison « Au Palmier » au numéro 6 de la même rue.
Dans l’immédiat après-guerre, le nombre de maisons closes lyonnaises avait déjà fortement diminué. La décroissance s’est engagée au tournant du XXe siècle.
Selon des documents de police cités lors d’une conférence par Jacques Chevallier, médecin et historien de la médecine, Lyon comptait six maisons closes en 1930 mais 75 en 1840.
Cependant de nombreuses filles exerçaient sur le trottoir ou dans des « maisons de rendez-vous ».
Depuis le début du XIXe siècle et jusqu’à la veille de la loi d’inspiration abolitionniste de 1946, lois et arrêtés municipaux se sont succédés pour réglementer de manière très stricte les maisons closes, devenues de véritables lieux d’enfermement des prostituées :
- La maison devait toujours être fermée (volet et/ou rideaux).
- Les filles ne pouvaient pas sortir dans la rue. Une promenade était parfois acceptée une fois par semaine, sous la surveillance de la mère maquerelle.
Toujours pour préserver les « bonnes mœurs » et prévenir les maladies vénériennes (notamment la syphilis), les prostituées devaient s’inscrire auprès de la police des mœurs. Ce réglementarisme valait aussi pour les filles exerçant sur le trottoir ou dans les cafés.
La tenancière tenait également un registre.
Une fois par semaine, les prostituées devaient se soumettre à une visite médicale. Si elles étaient diagnostiquées malades, elles avaient obligation de se soigner. Ce contrôle était déjà plus souple en 1946. Jusqu’à la fin du XIXe, les porteuses de la syphilis étaient enfermées dans des services spéciaux d’hôpitaux, comme l’Antiquaille, à Lyon.
Régulièrement, la police faisait des descentes dans les bordels ou des rafles dans la rue pour contrôler les « encartées » ou arrêter les « clandestines » (celles qui n’avaient pas de carte).
Une « maison de société » de moyenne gamme
Si nous ne savons pas grand-chose sur le « panier fleuri », nous pouvons supposer qu’il s’agissait d’un établissement de catégorie moyenne, « deuxième ordre », comme on disait. Des lieux qui étaient directement concurrencés par les « Maisons de rendez-vous ». Une forme de bordel moins contrôlé. Les prostituées ne vivaient pas sur place et n’étaient pas encartées.
Juste avant la loi Marthe Richard, Lyon comptait 26 « maisons de rendez-vous ».
Dans un quartier comme la Guillotière, non loin de la caserne de la Part-Dieu, rue Molière, on comptait également de nombreux bouges pour les militaires qui côtoyaient d’autres établissements de « deuxième ordre » comme « Les glaces », rue de Turenne.
Comme le raconte Nicolas Bideau dans son documentaire « Les couvents de Vénus », la Guillotière n’était pas le seul quartier de prostitution. C’est surtout en Presqu’Ile (rue Mercière, rue Tupin,…) que se sont concentrées les maisons closes et particulièrement celles fréquentées par la bourgeoisie, celle de « troisième ordre ».
Maisons d’abattage
Selon l’historienne Brigitte Rochelandet, les maisons closes n’embauchaient pas plus d’une dizaine de filles, qui faisaient une dizaine de passes par jour.
Si l’on en croit la réglementation en vigueur à cette époque, le travail devait commencer en fin d’après-midi.
Dans son livre « Les maisons closes autrefois », Brigitte Rochelandet explique que les filles, outre le fait qu’elles ne pouvaient sortir, étaient placées sous la férule de la tenancière qui les obligeait notamment à coucher avec tous les clients mêmes les « vérolés ». La tenancière les tenait surtout financièrement.
« Enfermées jour et nuit, les pensionnaires ne peuvent effectuer des achats, ce que la maîtresse s’empresse d’exploiter. Elle s’enrichit en achetant à l’extérieur savon, cigarettes, bas,… revendus le double aux filles. (…) Outre une somme globale quotidienne pour l’entretien et la nourriture, elles payent serviettes, eau chaude et draps ».
Ces prostituées restaient sous la domination de la tenancière en raison également des difficultés financières qu’elles avaient rencontrées auparavant.
Brigitte Rochelandet remarque que les « recruteurs-placeurs » (un métier légal) privilégiaient les filles endettées. En plus de l’achat de la fille, la mère maquerelle rachetait aussi la ou les créances. La prostituées devenaient endettées auprès de la maîtresse des lieux.
Mais ce sont surtout les conditions de travail de l’époque, poursuit l’historienne, qui explique le passage à la prostitution :
« En 1904, une piqueuse de gants touche 2 francs par jour pour 10 heures de travail, alors qu’une fille gagne entre 10 et 20 francs en une soirée ».
Cependant, même si elles gagnaient plus qu’à l’usine ou l’atelier, elles avaient encore du mal à s’en sortir.
« Aujourd’hui, c’est tout sauf un bordel »
Depuis 2003, la famille Berthet est propriétaire du club. Rémi, le père (qui a notamment participé aux Jeux olympiques de Munich et Montréal) est associé à ses deux fils.
Lors d’une visite des lieux, Maxime Berthet (l’un des fils) commentait l’histoire particulière du club :
« On est passé d’un extrême à l’autre. D’un lieu de débauche habitée par des femmes à un lieu sportif, qui est tout sauf un bordel, et majoritairement masculin ».
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