Majestueuses, les églises Saint-Bernard et Bon Pasteur sont toujours dans le paysage lyonnais. Nées au XIXe siècle à l’initiative de Napoléon III, elles ont connu des destinées semblables. Leur construction n’aura jamais été achevée ; il manquera aux deux un parvis, ainsi que le clocher pour Saint-Bernard et l’escalier principal pour Bon Pasteur.
Rien qui aurait pu les empêcher d’accueillir des fidèles, mais elles ont pourtant toujours été sous-utilisées. Bon Pasteur est vide depuis 1984, et Saint-Bernard désacralisée depuis 1999.
La légende de Bon Pasteur sur les messes noires
Des histoires ésotériques circulent autour de l’église du Bon Pasteur. L’une des légendes urbaines évoquerait des messes noires célébrées au sein même de l’édifice religieux. Dans les années 80 déjà, un mystérieux incendie s’était déclaré dans l’église. Michel Durand, prêtre de la paroisse Sainte-Polycarpe, confie :
« Lyon a subi à cette période une série d’incendies sataniques, pendant laquelle des confessionnaux étaient brûlés, et des messes noires célébrées ».
Les élèves des Beaux-Arts… pas très beaux pour les églises ?
Mais c’est surtout l’occupation des étudiants des Beaux Arts (ndrl : dont l’ancien bâtiment est situé en face de l’Eglise) qui a été décriée. L’école a réutilisé pendant un temps Bon Pasteur comme salle d’exposition.
Cela provoque encore la colère de Jean Bernard, membre de la Pastorale du Tourisme et des Loisirs :
« L’église a été saccagée par les étudiants, qui ont cassé des statues, vitraux, et fait des graffitis ».
Le prêtre Michel Durand surenchérit : « pour eux, c’était le lieu idéal pour boire, se droguer et écouter de la musique black métal ».
Entre messes noires et musique « satanique », reste à démêler le vrai du faux.
Napoléon III à l’assaut de la justice sociale
Rappelons que ces églises n’ont jamais fait l’unanimité. Déjà à l’époque, Napoléon III faisait édifier bon nombre d’églises dans un idéal de justice et d’éducation sociale.
Michel Durand s’amuse :
« Napoléon III pensait qu’un curé valait bien trois gendarmes, suivant l’idée que si les gens se rendent à l’église, ils ne vont pas au café et ils travaillent plus. Mais cela est une illusion. »
Ces deux églises résultent donc de la volonté d’un empereur, mais pas des attentes de la population. L’homme d’Eglise complète :
« Mon sentiment de théologien est que le quartier n’avait pas besoin de ces églises en plus de l’église Sainte-Polycarpe ».
Tristes débuts pour ces édifices religieux qui, de tous temps, n’ont accueilli que peu de fidèles, compte-tenu de la population jeune de la « colline qui travaille ».
6,5 millions de francs de la Ville de Lyon contre le risque d’effondrement
Le contexte historique a achevé de rendre obsolètes ces églises.
Le prêtre Michel Durand explique :
« La construction des églises n’était pas terminée lorsque la Troisième République a été décrétée, mais le régime a interdit la poursuite des travaux ».
L’église Saint-Bernard a été construite à Lyon de 1857 à 1866 par l’architecte Tony Desjardins, dans un style gothique. Surplombant la place Colbert, cet immense bâtiment passe pourtant presque inaperçu. C’est en prenant la montée Saint Sébastien pour rejoindre le Gros Caillou que l’on se demande vaguement ce que cache ce large mur. Saint-Bernard, rendue à l’Etat en 2004-2005, est aujourd’hui désaffectée.
Saint-Bernard est l’église qui en a le plus souffert, le manque d’un contrefort stable rendant ses fondations fragiles. Une légende donnerait une autre explication. Les très secrets – mais non moins connus – souterrains menant aux arêtes de Poisson passeraient sous l’Eglise, et renforceraient le risque d’effondrement.
André Douzet et Marie-Ange Tibot, spécialistes de l’Histoire insolite de Lyon, abondent dans ce sens:
« Saint-Bernard est un endroit clé, une sorte de plaque d’aiguillage se trouvant à la croisée de plusieurs souterrains. Les gens qui savaient ce que renfermait cet emplacement ont essayé d’obstruer le passage en y construisant une Eglise. Mais une porte dans certaines circonstances est faite pour être enfoncée…»
Pour éviter que l’Eglise ne s’écroule, des étais ont été posés par la ville. En 2001, un devis chiffrait à 6,5 millions de francs le montant des travaux. Une facture salée pour la mairie, qui a préféré oublier tout véritable projet de restauration.
Pas de réhabilitation à venir
Une chose est sûre : plus le temps passe, plus les lieux se dégradent et nécessitent une lourde rénovation. Nathalie Trouiller, responsable de la Pastorale de Tourisme, regrette :
« Ces deux églises sont aujourd’hui fermées pour des raisons importantes de sécurité. Il est vrai que des travaux d’envergure sont à réaliser, mais on ne sait pas quand cela sera fait ».
Il y a bien eu des projets pour sauver ces églises, mais ils patinent. Le prêtre Durand, qui s’est d’ailleurs fait connaitre pour son militantisme à l’égard des sans abris, ne manque pas d’idées :
« La municipalité devrait ouvrir Saint-Bernard pour en faire un musée des Canuts et valoriser ainsi le quartier et son histoire. ».
Quant à Bon Pasteur, le curé a longtemps soutenu un projet de « Maison pour Tous » pour y accueillir les gens du quartier :
« Mon projet avait recueilli des avis très favorables de la population, mais la mairie l’a refusé, jugeant qu’il sortait du cadre cultuel imposé par la loi de 1905 ».
Selon le prêtre, le cardinal Barbarin voudrait de son côté conserver l’église pour d’autres communautés religieuses.
Jean Bernard continue d’espérer :
« L’ancienne école des Beaux Arts doit être démolie pour faire une grande esplanade, peut être qu’on s’occupera de l’Eglise à ce moment là ».
Michel Durand, lui, n’y croit plus :
« Le maire n’a aucune envie de réhabiliter ce lieu et se focalise sur des quartiers comme la Confluence ».
Pendant que l’Eglise et la mairie se renvoient la balle, la mémoire et l’histoire de ces églises infortunées. conservent des secrets encore non élucidés.
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