Diglee lors d’une dédicace à la librairie Expérience à Lyon. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Diglee, ça vous dit quelque chose ? Les filles de moins de trente ans répondront sans aucun doute oui, tandis que les autres ne sauront même pas vous dire s’il s’agit de musique ou de littérature. Elle est de ces auteurs clivants.
Derrière ce pseudo se cache une illustratrice d’à peine 25 ans. Ce mois-ci, elle sort son troisième album BD sobrement intitulé « Forever Bitch » (éditions Delcourt), où elle raconte les méandres amoureux de trois de ces amies trentenaires. Mordante, pleine de malice, c’est le genre de bande dessinée à réconforter n’importe quelle jeune fille en mal de repères amoureux… et de musculature des zygomatiques.
Sur la vague de la « BD girly »
Son parcours est un véritable conte de fée pour toute personne qui souhaiterait embrasser la carrière d’illustratrice. En 2007, alors qu’elle est encore étudiante dans la célèbre école Emile Cohl, à Lyon, elle lance un blog où elle raconte sa vie « avec autodérision ». A l’époque, le phénomène des blogs BD féminins est relativement nouveau. La mayonnaise prend. Et autour d’elle se constitue une communauté de lecteurs fidèles. Si bien que les éditeurs se pressent à sa porte pour éditer un recueil de ses posts de blog.
Elle n’est alors pas la seule à surfer sur cette vague. C’est aussi celle où émergent ses camarades de jeu, Pénélope Bagieu et Margaux Motin, avec qui on a de cesse de la comparer. Ce qui, aujourd’hui, l’irrite quelque peu :
« C’est drôle, je continue à me demander pourquoi on persiste à me poser cette question. On est amies mais on est très différentes. La seule chose qui nous unit est d’avoir été connues par le même support, le blog BD. On a toutes ce ton décalé sur la condition des femmes, sur les petites anecdotes de la vie, cette manière d’aimer rire de nous-mêmes… On représente une partie de la BD qui est assez nouvelle. Mais on a chacune notre ton, notre univers. »
Pour appuyer son propos, la jeune lyonnaise au look soigné flottant entre le romantisme et le kitch anglais, n’hésite pas à sortir les références :
« Ca m’agace vraiment parce que si on nous lit on voit bien que ça ne se ressemble pas. C’est comme si on comparait Astérix et une autre BD belge qui cartonne, simplement parce que c’est belge, humoristique, avec un gag par planche. C’est un peu léger. »
« Les mecs qui dessinent des filles à gros seins, on les catalogue pas machistes ! »
Toujours est-il que dans la presse et chez les commentateurs de tous bords, le rapprochement entre les trois auteures n’a pas tardé. On a même inventé un terme pour cataloguer ce courant ; celui de la « BD girly ». Mais ça aussi, ça l’énerve profondément. Elle dit même « détester l’appellation » :
« Pourquoi on devrait être cataloguées comme girly !? Est-ce que les mecs qui dessinent des dragons et des meufs à gros seins sont catalogués machistes ? Non ! C’est juste des dessinateurs de BD et on les fait pas chier. Nous, on a sans cesse le devoir de prouver que ce qu’on fait c’est pas seulement pour les filles. »
Ce courant girly a vite trouvé ses détracteurs. Certains lui ont reproché de donner une image restreinte de la place de la femme, en n’abordant que des questions de cœur, de mode et d’amitié. Le nouvel album de Diglee, par exemple, se concentre sur les relations amoureuses de trois de ses amies trentenaires :
« Mais les gens sont assez intelligents pour voir que c’est une bribe de vie et que c’est moi qui cadre sur les relations humaines et amoureuses de mes personnages. Ce sont des femmes qui ont aussi d’autres préoccupations dans la vraie vie », répond-elle.
Reportage de France 3 Rhône-Alpes diffusé le 22 octobre 2013.
« En quoi c’est antiféministe de rire parfois de notre superficialité ? »
Contrairement à l’image qu’elle peut donner, celle qui se cache derrière le personnage de Diglee, de son vrai nom Maureen Wingrove, est en fait bien plus complexe. Elle se définit comme une « romantique réaliste ». Bercée aux romans d’amour de grands auteurs depuis son plus jeune âge, elle place ce domaine « très très haut » dans sa vie, reconnait-elle.
Mais « en même temps, il faut des aspérités, quelque chose d’un petit peu cru, d’un petit peu dur », ajoute celle qui est aussi pleine de cynisme et d’autodérision. Un « contraste » qu’elle assume complètement. Comme lorsqu’elle s’est sentie attaquée, dans sa personnalité même, quand le mouvement de la « BD girly » s’est vu accuser d’antiféminisme :
« Ca m’a énormément blessée. Le principe même du féminisme, c’est d’être libre, au même titre qu’un homme, d’avoir le droit de faire ce que l’on veut et de dire ce que l’on veut. Etre féministe ce n’est pas extraire tout ce qu’on a de féminin, le mettre à la poubelle. C’est prouver que cette féminité on l’a intégrée, qu’on la chérit. Mais qu’on n’est pas que ça. Souvent, on a l’impression qu’une féministe doit être une grosse lesbienne moche en jean. En quoi c’est antiféministe de rire parfois de notre superficialité ? »
« Enfin, des femmes trouvent une place ! »
Et puis, elle n’hésite pas à le dire, « dans deux ans, le girly on n’en parle plus ». Pour elle, c’est un effet de mode, certes. Mais qui a paradoxalement permis une certaine avancée pour les femmes :
« Il ne faut pas oublier que dans le milieu de la BD, machiste comme il est, c’est la seule place qu’on nous a laissée. Avant ça, il y a dix ans, à part Bretécher, les femmes dans la BD, on les cherchait. A l’époque, je ne lisais que des auteurs hommes. Du coup, jeune fille, je me suis dit que je ne ferai jamais de BD parce qu’il n’y avait pas de place pour moi. »
Diglee explique que lorsqu’en 2007, Pénélope Bagieu a, la première, ouvert un blog BD féminin, ça a été une petite révolution. Elle a « ouvert une brèche » dans le milieu de l’édition de bandes dessinées :
« A la base, c’était une brèche restreinte à la BD sur l’intime, sur la vie de tous les jours. Aujourd’hui, on étend. Il faut pousser les portes une à une… Enfin, des femmes trouvent une place ! Une place qui est mobile, qui est en train de se faire. Ca, c’est déjà un énorme pas ! »
« Encore tout à écrire et tout à dire »
Dans son cas à elle, Diglee ne veut surtout pas qu’on la catalogue trop vite :
« Je n’ai que 25 ans. J’ai encore tout à écrire et tout à dire. Et je compte bien ne pas m’arrêter à ça. »
Actuellement, elle travaille sur un projet complètement différent. Celui du portrait d’une femme dans les années vingt, à travers le regard de ses amants, chaque fois très différent. C’est un projet qui lui tient à coeur, fruit de correspondances amoureuses découvertes il y a trois ans, sur une série de cartes postales au marché aux puces. Des cartes où les écrits avaient soigneusement été recouverts afin qu’on ne puisse pas les lire, « comme un trésor », résume-t-elle l’oeil malicieux :
« Et à terme, le projet ultime que j’aimerais réaliser, ce serait un biopic sur Anaïs Nin et Lou Andréas Salomé. Ce sont des auteures qui ont été essentielles à ma construction en tant que femme justement. C’est un objectif que je sais que je réaliserai, mais j’ai besoin de passer par des étapes avant. »
Et puis, explique-t-elle, il a fallu attendre que les éditeurs lui fassent confiance pour pouvoir se lancer dans des sujets moins « légers ». En parlant de légèreté , on a proposé à Diglee de se prêter à l’exercice de l’interview « Orgueil et préjugés ».
« Ces gens qui se veulent artistes mais qui ne font rien, ça a le don de m’agacer prodigieusement »
– Votre premier geste artistique ?
« La peinture à doigts, un dimanche après-midi de 1991, en couche culotte et chouchou de velours violet (vidéo à l’appui). »
– Quelle pratique artistique trouvez-vous intolérable ?
« Aucune. Que Jan Fabre éjacule sur du papier, que Damien Hirst scie un requin en deux ou que Wim Delvoye crée une machine à caca… le tout c’est de l’avoir fait. Je suis assez pour l’action : ces gens qui se veulent artistes mais qui ne font rien, ne produisent rien, ça a le don de m’agacer prodigieusement. »
– Quelle est pour vous la plus grosse arnaque artistique ?
« La collection de lingerie de Zahia. »
-Votre pire souvenir pendant une séance de dédicace ?
« Un homme en imperméable qui m’a demandé de lui dessiner une « belle femme nue », et qui m’a murmuré, tremblant et moite, de rajouter un phylactère qui dirait « Christophe, je pense bien à toi ». Au milieu d’une file d’attente composée de fillettes de 12 ans. WEIRDO. »
Une BD pour Christine Boutin, « bien documentée sur les gays, pour lui faire plaisir »
– Avec lequel de vos parents pensez-vous avoir un problème ?
« J’ai fait porter à chacun de mes parents tout le poids de mon malheur, comme toute bonne adolescente qui se respecte. Mais comme aujourd’hui ma vie suinte le bonheur, je n’arrive plus à trouver de raison valable de leur faire la guerre. Ça me déçoit beaucoup, et je cherche un moyen d’y parvenir à nouveau. »
– A quelle personnalité politique pourriez-vous dédier une BD ?
« À Christine Boutin. Une belle BD bien documentée sur les gays, pour lui faire plaisir. »
« Je n’ai pas du tout l’impression de posséder un « art » : je suis illustratrice »
– Le dernier produit culturel consommé/acheté/emprunté ?
« En Russie avec Rilke » de Lou Andréas Salomé, « Le roman de Venise » George Sand/Musset, « Confessions d’un enfant du siècle » de Musset, des boots Zara vernies, « Venus » de Lady Gaga et « Mauvais genre » de Chloé Cruchaudet. Voilà le bilan de la semaine du 28 octobre.
– Avez-vous déjà sacrifié votre art pour de l’argent ?
« Je n’ai pas du tout l’impression de posséder un « art » : je suis illustratrice, j’aime dessiner, et je suis ravie et flattée d’être payée pour le faire. Je fais ce dont j’ai toujours rêvé, et en plus, j’en vis. Que demande le peuple ? »
– Et sinon, vous comptez faire un vrai métier, un jour ?
« JÂÂÂÂMAIIIIIS ! »
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