Aurore Gros-Coissy, une des « mules » de Subutex, selon les autorités de l’Ile Maurice.
Détenue depuis un an à l’île Maurice, Aurore clame son innocence. Cette jeune rhodanienne est soupçonnée de trafic de Subutex. La justice mauricienne devrait enfin statuer sur son cas le 4 septembre. Elle n’est pas la seule dans ce cas. Un collectif a été créé en France et à Maurice pour soutenir plusieurs jeunes Français considérés comme des « mules ».
Le 4 septembre, Aurore Gros-Coissy pourrait enfin voir son affaire avancer. Il y a un an, cette jeune femme de 25 ans, originaire de Saint-Romain-de-Popey, dans le Rhône, pensait simplement partir en vacances sur l’Ile Maurice. Elle croupit depuis en prison, toujours en détention provisoire. Elle est en effet soupçonnée de trafic de Subutex, un médicament interdit sur cette île de l’océan indien.
Une passeuse sans le savoir ?
Ses proches racontent. Tout débute en août 2011. Un ex-petit-ami, avec qui elle était restée en contact, propose à Aurore de venir passer des vacances dans sa famille, sur l’Ile Maurice. Elle accepte. Mais à la dernière minute, cet ami lui annonce qu’il ne peut pas partir pour des raisons professionnelles. Celui-ci insiste alors pour qu’elle parte tout de même. Il lui demande de remettre à sa mère deux paquets de gâteaux que celui-ci avait au préalable glissé dans ses affaires.
Arrivée à l’aéroport de Plaisance, les policiers mauriciens trouvent dans les bagages de la jeune femme, qui a alors 24 ans, les deux paquets de gâteaux, avec à l’intérieur 1680 comprimés de Subutex. Dans la soirée, sa mère reçoit un coup de fil du consul :
« Votre fille est en garde à vue pour trafic de stupéfiants. »
Considérée comme une « mule », Aurore est incarcérée depuis à la prison pour femmes de Beau-Bassin.
Le Subutex : autorisé en France, interdit à Maurice
Les vacances d’Aurore se sont transformées en véritable cauchemar. Mais si l’histoire fait parler, c’est que son cas n’est pas isolé. En effet, actuellement, « sept Français sont détenues de façon abusive sur l’Ile Maurice pour trafic de Subutex », dont quatre jeunes femmes de 18 à 24 ans, explique Farid Dekhli, le coordinateur du collectif « Victimes du Subutex à Maurice ».
« Souvent, leurs bagages ont été farcis de cachets par des personnes qu’elles connaissaient », ajoute-t-il.
En France, ce médicament est produit et commercialisé comme traitement de substitution pour les héroïnomanes. A Maurice, le Subutex est considéré comme une « drogue dangereuse ». Et le trafic de cette héroïne du pauvre, consommée de façon détournée, ne cesse de croître. Si bien que le gouvernement mauricien est devenu intraitable avec les affaires d’importation de Subutex. En mai, un Français a été condamné à 20 ans de prison pour avoir importé 10 000 comprimés de Subutex.
« Ces jeunes femmes sont détenues sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elles », se désole Farid Dekhli.
« Mules » françaises : une histoire à répétition
Et les histoires sont parfois tout aussi étonnantes que celle d’Aurore. Katia Terminet, pensait elle aussi partir passer des vacances tranquilles, accompagnée de son compagnon, Mathieu. Au moment de l’enregistrement des bagages, celui-ci est pris d’une envie subite de sandwich. Katia enregistre donc son bagage à son nom. Mais à l’arrivée, les policiers découvrent 9800 cachets de Subutex à l’intérieur. Même si Mathieu reconnaît alors que Katia n’a rien à faire la dedans, elle est incarcérée . Et reste en attente de jugement depuis mars 2011. « Il faut au moins deux ans pour avoir un procès », se désole Seline Gros-Coissy, la mère d’Aurore.
Le cas de Deborah, elle aussi en attente de jugement dans les prisons de l’Ile Maurice, narré par Libération semble quelque peu différent. La jeune femme, âgée de 18 ans et sans emploi, aurait été approchée, selon sa grand-mère, par « deux Tunisiens d’Asnières » qui l’auraient convaincu de transporter du Subutex en échange d’argent.
« On les envoie à l’abattoir, raconte la grand-mère. Aucune ne réalise. Maintenant, elles vivent dans les cafards».
Quelle que soit la situation de chacune, pour Séline Gros-Coissy :
«Ces jeunes femmes ont toutes été manipulées et bernées par un réseau de trafiquants organisé et implanté sur le territoire français, à l’affût de leurs prochaines victimes, de préférence jeunes et naïves, abusant de leur crédulité.»
Mobilisation pour les « Victimes du Subutex à Maurice »
Dans l’attente et comprenant que l’enjeu dépassait le cas d’Aurore, sa mère a monté au printemps, avec plusieurs personnes françaises et mauriciennes un collectif, « Victimes du Subutex à Maurice ». Une pétition a été lancée. Et des manifestations du type Frozen ou encore d’alerte des voyageurs à l’aéroport Saint-Exupéry, le 11 août ont été organisées par le comité de soutien. Avec Séline, Farid Dekhli, le coordinateur du collectif tente d’alerter les autorités françaises et mauriciennes sur ce problème récurent.
Frozen pour la libération d’Aurore, organisé début août dans les rues de Lyon.
Après 11 mois de détention sans chef d’accusation formel, l’avocat d’Aurore a finalement obtenu, une audience le 11 aout, afin de pousser le ministère public mauricien à se prononcer sur son cas. A cette audience, les enquêteurs ont affirmé avoir découvert de nouveaux éléments. Le tribunal de Port-Louis a finalement décidé de prolonger l’enquête, avant, éventuellement, de formuler des charges contre elle. Le directeur des poursuites publiques (l’équivalent du Procureur en France) doit se prononcer sur ces potentiels nouveaux éléments le 4 septembre. Aurore encourt jusqu’à 60 ans de prison.
Pour Farid Dekhli, le coordinateur du comité de soutien aux « Victimes du Subutex à Maurice », interrogé par Le Progrès , « cela semble très étonnant que les enquêteurs aient subitement des éléments nouveaux à présenter alors que rien n’a bougé jusqu’à présent. »
Une affaire diplomatique oubliée
Le 4 septembre, Aurore a peu de chance d’être libérée et blanchie des soupçons de trafic de Subutex. Les autorités mauriciennes se montrent en effet intransigeantes sur ces affaires de « Subutex ». Comme l’illustre une affaire de datant de 2008. Un steward d’Air France avait été condamné à 4 ans et demi de prison pour avoir transporté 50 000 comprimés de Subutex. Mais alors qu’il était en liberté conditionnelle, en attendant son procès en appel, ce dernier a disparu dans la nature. « Les Mauriciens n’ont pas digéré cette affaire. Ca a été un motif de représailles. Et il ne laisse quasiment plus personne sortir en conditionnelle », commente le coordinateur du collectif.
Le collectif des « Victimes du Subutex à Maurice » en appelle au gouvernement français pour qu’il y ait davantage de prévention. Il souhaiterait notamment que des contrôles soient effectués au départ en France pour éviter des arrestations à l’Ile Maurice, même si le Subutex est un médicament autorisé en France.
Mais le coordinateur du coordinateur Farid Dekhli fait ce constat amer :
« La volonté politique est complètement absente depuis 15 ans que les affaires se multiplient. »
Alerté par le collectif, le ministère des Affaires étrangères oppose une fin de non recevoir, affirmant qu’il s’agit d’une simple affaire de droit commun ne le concernant pas.
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