Les adhérents de Bissamap récupèrent pour la première fois un panier de légumes. Credit : JEM/Rue89Lyon
L’étal de légumes et de fromages est installé sur deux places d’un parking de Caluire. Mais rien à voir avec un marché improvisé. Autour des bottes de carottes, les adhérents d’une toute nouvelle Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) se réunissent pour la première fois afin de récupérer un panier de légumes locaux… et bio.
Nancy, qui a monté l’association avec des voisins, n’en est pas à son coup d’essai. Déjà, habitante de Villeurbanne, elle avait participé à la création de deux AMAP, ces associations de consommateurs qui se font livrer chaque semaine des paniers de produits de la ferme, directement apportés par un agriculteur du coin. Ce mercredi 29 mai à Caluire, la bonne humeur est de rigueur chez les adhérents de Bissamap.
« Ce qui me plaît, c’est de consommer des produits de qualité d’une autre manière, en s’engageant sur le long terme vis-à-vis d’un producteur. Et puis les AMAP, ça permet de se rencontrer, de créer du lien social », s’enthousiasme Nancy.
C’est donc elle qui règle les derniers détails. Pour la distribution de la semaine prochaine, il faudra bien penser à indiquer le prix au kilo des légumes, faire le point sur le nombre d’adhérents et continuer à solliciter la mairie pour obtenir un lieu de distribution plus adéquat.
Marion Frichet, la productrice de légumes, a appris à expliquer aux néophytes son mode, ses impératifs de production. Et pour cause, elle fournit déjà trois autres AMAP. Un bon moyen d’écouler ses stocks, tout en étant en lien constant avec les consommateurs. Mais pour que cela soit rentable, l’équilibre est délicat :
« Une AMAP de moins de trente paniers et à plus de dix kilomètres de l’exploitation ce n’est pas intéressant ».
A la charge de Bissamap, de garantir un certain nombre d’amapiens, comme se dénomment les adhérents, qui signent un contrat de six mois à un an avec le producteur.
Consom’acteurs ou consommateurs ?
Alors qu’il y a quelques années, il fallait parfois attendre des mois sur liste d’attente avant d’adhérer à une AMAP, nombreuses sont celles qui aujourd’hui recherchent de nouveaux adhérents. Ce déclin n’est pas étranger à la contrainte qui caractérise le système.
Les amapiens doivent s’engager sur six mois voire un an à récupérer chaque semaine un panier de produits dont il ne connaissent pas la composition à l’avance. Saisonnalité oblige, les paniers d’hiver sont moins attrayants et diversifiés que ceux d’été et le chou peut avoir tendance à lasser. Il faut cependant préciser que de nombreuses AMAP s’associent désormais avec des éleveurs pour la viande et les oeufs ou avec des apiculteurs et ne se limitent plus au traditionnel panier de légumes. Et pour Laure Galland, animatrice d’Alliance PEC Rhône-Alpes, le réseau qui se donne pour mission de fédérer et de donner une meilleure visibilité aux AMAP, la contrainte est aussi l’une des forces du système :
« Les consommateurs ont des contreparties à la contrainte. Il s’y retrouvent en termes de qualité des produits, de prix et dans la relation établie avec le producteur. C’est une expérience qu’ils ne retrouveraient pas ailleurs ».
La relation avec le producteur, les explications qu’il dispense sur son métier, souvent mises en avant par les adhérents, sont au coeur de la charte des AMAP qui établit les règles de bases de ces associations.
Charte des AMAP 2003 qui devrait être amendée courant 2013.
En principe, les adhérents aident à tour de rôle l’agriculteur lors de la distribution des paniers, mais ce côté militant a tendance à s’estomper. La figure alternative du consom’acteur est concurrencée par celle du simple consommateur à la recherche de nourriture saine. Un constat qui est fait sans ombrages par Mathias Bréhelin, référent d’Alpage, la plus ancienne et plus importante AMAP de l’agglo située à la Maison des Rancy (Lyon 3e), lors d’une réunion de l’association où seuls 5 adhérents sont présents en plus du producteur :
« On est un noyau dur de 10 ou 12 personnes. Une grosse partie a du mal à prendre du temps pour filer un coup de main mais le fait d’adhérer à une AMAP, c’est déjà militant en soi. L’idée c’est surtout de sensibiliser les adhérents ».
Dimitri Catry, le maraîcher attitré des deux AMAP Alpage (la deuxième située à la Doua a été dissoute l’an dernier du fait d’un manque d’adhérents), a décidé de « jeter l’éponge », pour des raisons à la fois professionnelles et personnelles. A l’heure où il entend se retirer, il n’hésite pas à faire part de son émotion aux adhérents :
« J’ai eu peur d’annoncer aux amapiens que je comptais m’arrêter. Quand j’ai commencé l’AMAP, des enfants qui ont aujourd’hui 7 ans, étaient dans le ventre de leur mère ».
« Les citadins, on peut leur faire croire n’importe quoi »
Lors de cette réunion, la question de son remplacement est abordée. Et les amapiens ont leurs exigences. D’ailleurs il ne faut pas se gêner pour demander des garanties aux agriculteurs selon Dimitri Catry :
« Le risque avec les citadins, c’est qu’on peut leur raconter ce qu’on veut sur notre façon de produire. A la base, la confiance est aveugle mais certains producteurs sont moins fiables que d’autres. Il peut y avoir des arnaques ».
C’est notamment ce qui s’est passé dans une AMAP située à Genas. Le producteur affirmait produire en bio alors que ce n’était pas le cas.
Le bureau de l’AMAP Alpage qui recherche outre un maraîcher, un producteur-boulanger, n’est pas prêt à faire des concessions sur certains points :
« Je suis très gêné que ce boulanger ne souhaite pas être présent lors des distributions. Un autre producteur s’est, lui, engagé à venir tous les mardis pendant 1h30 pour un minimum de 40 paniers à chaque fois. C’est beaucoup, mais son pain est très bon ».
La présence du producteur lors des distribution est fondamentale. Et en tout état de cause, fournir une AMAP prend beaucoup moins de temps que tenir un stand dans un marché.
En ce qui concerne le choix des producteurs de fruits et légumes, les amapiens se conforment à la charte des AMAP qui privilégie l’agriculture biologique, sans en faire une condition sine qua non. A défaut, l’agriculture doit être raisonnée, une concept qui fait débat, et le producteur doit s’engager à se convertir au bio, avec le soutien de l’AMAP. Il s’agit d’un échange de bon procédé : les amapiens garantissent l’achat d’un certain volume de produits sur une longue durée, permettant au producteur d’engager une coûteuse modification de son mode de production.
Le gros avantage de l’AMAP, le producteur repart avec sa camionnette vide. Crédit : JEM/Rue89Lyon
« Il devient plus difficile de faire rentrer des gens en AMAP »
En 2004, quand apparaît cette première AMAP de l’agglomération, les seuls systèmes de paniers qui existent sont les Jardins de Cocagne qui fournissent des paniers agricoles réalisés par des personnes en réinsertion.
En quelques années, les AMAP deviennent l’un des symboles du circuit court, porté par des citadins soucieux de leur alimentation et réceptifs aux problématiques des agriculteurs. L’apogée est atteint en 2008-2009. Depuis, la courbe ne grimpe plus, sans que ce soit pour autant « la grosse crise », assure Laure Galland :
« On est arrivé à un moment où il devient plus difficile de faire rentrer des gens en AMAP puisqu’on a atteint la plupart des personnes qui pouvaient être intéressées. Et les personnes qui ne le sont pas, ne finissent pas par être convaincues. (…) Surtout en ville, où il y a un turn over important et au final les personnes qui adhèrent remplacent celles qui quittent les AMAP ».
Afficher Les AMAP de l’agglomération lyonnaise sur une carte plus grande
Reste que dans l’agglomération lyonnaise on compte 43 AMAP, bien plus que dans les autres départements de la région, exception faite de l’Isère qui bénéficie aussi d’un grand centre urbain. Cette stagnation du nombre de créations dans les zones urbaines est contrebalancée par l’essaimage relativement important de ce genre d’assos dans le reste du territoire du Rhône, qui compte près de 15 AMAP, dont les dates de création sont généralement plus récentes. Par comparaison, on recense 13 AMAP sur l’intégralité du département de l’Ain. En 2011, l’Alliance PEC estime que près de 3 500 foyers du Rhône adhèrent à une AMAP.
D’ailleurs, dans les agglomérations, d’autres systèmes de distribution de paniers sont apparus dans le sillon des AMAP, avec un fonctionnement moins contraignant pour le consommateur. A ce constat Laure Galland, répond tout en nuances :
« S’il n’y avait pas ces autres circuits peut-être qu’on se développerait plus. Mais de toute façon, ceux à qui ça ne convient pas, iraient ailleurs. Il en faut pour tout le monde. C’est pour ça qu’on fait partie du Collectif RACCOURCI (qui réunit plusieurs acteurs des circuits courts). Chacun doit trouver sa place dans le paysage. On ne fait pas les mêmes choses et on est attentif au fait que quand un nouveau point de distribution ouvre, il ne fasse pas concurrence à un système déjà existant ».
Pas toujours facile, puisque Bissamap à Caluire a ouvert non loin d’un point de distribution de paniers d’A deux pas des champs. Mais il n’y aurait pas de concurrence entre les deux dans la mesure où A deux pas des champs repose sur un système de commande sur Internet sans engagement du consommateur.
Des AMAP étudiantes qui s’adaptent aux particularités des adhérents
La charte des AMAP assigne un cadre général aux associations mais n’est pas normative. D’ailleurs comme insiste Laure Galland : « Il y a autant de modèles que d’AMAP ». La possibilité de déroger à certaines règles théoriques est latente dans les AMAP étudiantes. Crées par des étudiants dans certaines écoles ou universités, ces AMAP sont destinées à la fois aux élèves et au personnels des établissements.
La principale différence repose sur les modalités de l’engagement : pas de distribution l’été, ni pendant les vacances scolaires. La contrepartie pour le producteur qui se retrouve privé d’un débouché pendant quelques mois, c’est le nombre de paniers commandés.
Des étudiants qui filent un coup de main lors d’une distribution hebdomadaire sur le campus de l’Insa. Crédit : JEM/Rue89Lyon
Sur le campus de l’Insa à la Doua, Stéphanie, agricultrice à Lucenay, livre entre 95 et 120 paniers par semaine. Un peu moins en ce moment : « c’est le deuxième semestre et beaucoup d’étudiants sont en stage ou à l’étranger ». L’asso a un peu de mal à mobiliser des adhérents qui ne se bousculent pas pour effectuer leur permanence. Mais avec une centaine d’adhérents, il y en a toujours pour filer un coup de main.
A l’ISARA, école d’ingénieurs en alimentation et agriculture, l’association, confrontée au même phénomène aborde les choses d’une manière différente, comme l’explique Pierre, étudiant et responsable « oeufs » au sein de l’AMAP :
« On demande aux gens de venir faire une permanence dans l’année, sans la rendre obligatoire. Certes, c’est dans la charte des AMAP mais on est 10 dans le bureau de l’association, on s’en sort. Et puis la distribution se fait entre midi et deux, les étudiants n’ont pas forcément le temps ».
Les universités Lyon 2 et Lyon 3 ont elles aussi un système de distribution de paniers. Et, bon signe pour les AMAP, une nouvelle association s’est montée cette année à l’Ecole Centrale.
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