Suicide Club (2001, disponible en DVD)
Le film le plus connu de son auteur, ce qui n’est pas forcément un bien. Passée la mythique intro et son dézingage d’une cinquantaine d’écolières sous une rame de métro, le film se voudrait une auscultation chorale d’un phénomène de société, mélangée de force à un décorum J-Pop bizarrement envahissant. Entre fascination, répulsion et pur grotesque, Sono Sion cherche encore sa voie cinématographique, la trouve le temps de quelques séquences, mais sans vraiment laisser présager les incroyables déferlements à venir.
Hazard (2005, inédit)
Grandement improvisé dans des rues new-yorkaises rarement vues au cinoche, Hazard est plus un exercice de style en roue libre qu’un vrai film. Un petit hommage au débotté à la Nouvelle Vague et au cinéma vérité, assaisonné de plans iconiques captés sur le vif. La déclaration d’intention est dans le titre, en même temps.
Comme dans un rêve (2005, diffusé sur Arte en son temps)
Un autre exercice d’improvisation, plutôt laborieux, avec une image encore plus dégueu que l’essai précédent. Mais qui permet à Sono Sion de barbouiller les prémices de son futur style narratif de prédilection : le découpage en chapitres, la multiplication de points de vue, les entrelacs temporels, les voix-off sur les caméras en constant mouvement.
Noriko’s Dinner Table (2005, disponible en DVD avec Suicide Club)
Les choses sérieuses commencent. Fort de ses diverses expérimentations, Sono Sion s’embarque dans une sorte de préquelle à Suicide Club. Si les événements du premier film sont évoqués, ils ne le sont qu’en filigrane, pour parfaire l’ambiance d’apocalypse intime que l’auteur compose avec une maestria presque sadique. A travers le déchirement d’une famille apparemment modèle, l’errance de deux gamines en quête d’identité et le basculement dans la folie de leur père, Sono Sion s’approprie l’un des thèmes phares du cinéma japonais contemporain : la destruction de la famille nucléaire japonaise, pour cause de défaillance critique du dogme patriarcal. Et on peut dire qu’il ne fait pas les choses à moitié. Les péripéties ont beau s’enchaîner avec une radicalité de plus en plus soutenue dans la violence morale, le côté aérien et délicat de la mise en scène apporte systématiquement son paisible contrepoint. Les ténèbres accueillies avec un sourire triste.
Strange Circus (2005, inédit)
Une auteure de livres érotiques, clouée dans un fauteuil roulant, tempère ses traumatismes de jeunesse en se réfugiant dans un monde onirique fellinien ; un mystérieux jeune homme enquête de son côté sur son mystérieux passé. Âmes sensibles, fuyez (pauvres fous). C’est un peu comme si Sono Sion avait volontairement cherché à extraire les pires tortures morales et physiques de son esprit crapuleux, pour mieux pouvoir avancer sereinement par la suite. Et histoire de pousser encore plus loin le raffinement, il apportera un soin tout particulier à la composition de ses plans, et surtout à leur impact graphique sur le spectateur. Lourdement dérangeant dans son traitement frontal de l’inceste de ses répercussions, Strange Circus s’épanche dans un univers visuel aux idées incroyables, aux images profondément marquantes. Toujours à deux doigts de la complaisance, Sono Sion finit par se lâcher dans un final dont la macabre agressivité est à même de ruiner votre journée, votre soirée, le lendemain, voire la semaine suivante. Une exploration du grotesque, dans les acceptions les plus extrêmes du terme.
Exte (2007, inédit)
Pour sa première œuvre de commande, Sono Sion accepte un projet qu’on peut qualifier, sans crainte, de plutôt crétin : les clientes d’un salon de coiffure se font poser des extensions MALEFIQUES qui transforment leurs cheveux en armes mortelles possédées par on ne sait trop quel démon. Même avec Chiaki Kuriyama (Kill Bill) dans le rôle principal, Sono Sion peine à faire exister son histoire et préfère se réfugier dans le grand n’importe quoi. On le comprend.
Love Exposure (2008, disponible en DVD / Bluray)
Ça y est. Nous y sommes. LE gros dossier. Mon film préféré depuis près de deux ans. Un feuilleton rocambolesque, quatre heures gorgées de bruit, de fureur, de ferveur, de stupre, d’émotions à fleur de peau, d’espoir et de désespoir à égale mesure. Avec la fièvre adolescente et l’éternelle figure du père démissionnaire comme carburants, Sono Sion réinvente avec une inspiration à son zénith les grandes figures de son propre folklore, du cinéma d’exploitation japonais (cité à travers la figure de Sasori, la Femme Scorpion) jusqu’à son habituelle veine autobiographique, qu’il transcende une nouvelle fois en grande quête romanesque. Love Exposure condense toutes les armes dramaturgiques du cinéaste en un mélange bouillant de candeur et de rage contenue, à la fluidité tout simplement sidérante. On passe d’un personnage à l’autre sans jamais s’égarer, au fil d’épisodes dramatiques tous plus imprévisibles les uns que les autres. Alors oui, je sais que quatre heures, c’est long. Mais faites-moi confiance : vous n’avez jamais vu ça.
Be sure to share (2009, inédit)
Un film TOUT MEUGNON. Après la tornade Love Exposure, Sono Sion change totalement de registre, de style de mise en scène, et même de discours. Exit les plans heurtés, le montage piégé – pour un peu, l’ombre d’Ozu poindrait presque. Le chantre de l’explosion familiale par le chaos raconte ici la délicate réconciliation entre un jeune journaliste et son père atteint d’un cancer – petit extra, le héros est lui aussi malade, à un stade encore plus avancé que son paternel. Avec un Sono Sion en sous-régime à presque tous les niveaux, Be sure to share lambine, mouline du pas grand-chose, se réveille à peine lors de la scène de pêche (c’est dire). Le film est dédié au père du réalisateur, ceci expliquant peut-être cela.
Cold Fish (2010, inédit)
Pour justifier la noirceur abyssale du film, Sono Sion explique qu’après ses deux précédentes réalisations, il avait un peu tout donné côté optimisme, arcs-en-ciel et petits poneys. Soit. Le cinéaste n’a jamais été le premier des boute-en-train, mais niveau désespoir, on pensait avoir déjà tout vu avec Strange Circus. Fatale erreur. Inspiré des crimes d’un tueur en série japonais particulièrement productif et du parcours de son « assistant », otage soumis à la vindicte du psychopathe, Cold Fish est un récit en cercles concentriques dont le noyau est, de nouveau, l’anéantissement de la cellule familiale traditionnelle. Plutôt incertain dans sa longue installation, le film s’emballe à mi-parcours et multiplie les climax perturbants pour asseoir sa conclusion, d’un nihilisme absolu et inédit jusque-là chez l’auteur. Prévoir, là aussi, quelques jours pour s’en remettre.
Guilty of Romance (2011, disponible en DVD)
L’ultime volet de la « trilogie de la haine » débutée avec Love Exposure et poursuivie assidûment avec Cold Fish. Le film de la rencontre avec la muse Megumi Kagurazaka, souillée de multiples façons dans cette découverte de la sexualité sous toutes ses coutures, y compris les plus sordides. Le premier film choral entièrement féminin de Sono Sion, qui ravale du coup les hommes à des créatures secondaires et toujours menaçantes, reléguées à leurs pulsions. Qui d’un greffon maladroit avec la prose kafkaïenne ou de la décision dommageable de l’auteur de supprimer l’un des trois récits de base (la romance sadomasochiste de l’inspectrice), toujours est-il que Guilty of Romance est sans doute le film le plus faiblard de la trilogie, même si Sono Sion est capable de surprendre même lorsqu’il tourne en rond.
Himizu (2011, inédit)
Le premier film du diptyque « post-Fukushima » de Sono Sion. Tourné dans la foulée du tremblement de terre, du tsunami et de l’explosion de la centrale nucléaire, Himizu s’est imprégné de cette atmosphère de chaos pour réinventer son récit, l’adapter au drame en cours. Ce revirement, tout intéressant soit-il, n’est jamais pleinement exploité, et n’arrive pas à atténuer le principal problème du film : Sono Sion s’est en effet mis en tête de pousser l’hystérie coutumière de ses personnages à leur paroxysme. Pour résumer, les trois quarts du temps, les deux personnages principaux gueulent, chialent, ou les deux en même temps, dans un exercice de catharsis hardcore rappelant bizarrement les hurlements chez Vincent Macaigne. Les thèmes favoris du cinéaste prennent la même tournure : histoire de bien marquer le coup, les parents passent leur temps à tabasser leurs mômes en leur demandant de se suicider. Dans ce marasme recelant tout de même quelques scènes dignes d’intérêt, on accueille la scène finale avec bonheur : tout d’un coup, les deux jeunes héros, allongés l’un contre l’autre, se parlent sans crier. Bon, ça ne dure pas, mais faut avouer que c’est beau.
The Land of Hope (2012, sortie en salles le 24 avril)
Même si narrativement, les deux films n’ont absolument rien à voir, The Land of Hope constitue en quelque sorte le double positif de Himizu. Serein, sans débordements, le film décrit cette fois l’immédiate répercussion de l’accident nucléaire sur quelques personnages plus ou moins liés entre eux. Une poignée de belles scènes ne sauve pas l’ensemble : The Land of Hope est un film profondément gentil, parfois même de façon agaçante. On s’y sent obligé de répéter les jolies phrases au moins trois fois. On y dénonce le nucléaire et les mensonges gouvernementaux d’une façon remarquablement mignonne. Et sinon, tu la sens la symbolique de la barrière ? La figure paternelle, cette fois-ci, est un exemple de détermination et de sacrifice à respecter et à aimer de tout son cœur, en contre-sens total avec ce que développait Sono Sion dans ses trois films précédents – en particulier dans Himizu. En fait, The Land of Hope ressemble à un joli film tourné pour faire bonne figure dans les festivals internationaux. Qui sait, peut-être qu’un jour, Sono Sion concrétisera le projet qu’il se traîne depuis quelques années : l’adaptation du livre-enquête Lords of Chaos : The Bloody Rise of the Satanic Metal Underground, sur la scène métal norvégienne du début des années 90…
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