Chaque jour le confirme, la paupérisation comme les précarités s’étendent dans notre société, à mesure que se creusent les inégalités. Mais un phénomène nouveau apparaît maintenant : les situations de grande précarité tendent à devenir des situations majoritaires dans certaines catégories sociales, dans certaines classes d’âge ou dans certaines zones géographiques, jusqu’à en devenir la situation ordinaire.
La crise a aggravé brutalement la situation, et l’État, comme la société dans son ensemble, semblent totalement désarmés, face à une situation sans précédent depuis 1945. Précarité, chômage, mal logement, travailleurs pauvres, exclusion, non accès aux soins, décrochage scolaire, pauvreté, discriminations, inégalités, autant de phénomènes inquiétants qui signent l’entrée dans une nouvelle ère, celle de la relégation et de l’isolement social.
En réponse à cette situation d’urgence, le seul discours que l’on a entendu jusqu’ici, est : il faut plus de budget pour les services sociaux, plus d’argent pour la politique sociale. Nous nous inscrivons en faux contre cette vision.
La France est déjà le premier pays au monde pour les transferts sociaux, si le résultat n’est pas à la hauteur, ce n’est pas le volume des dépenses qui est en cause, mais sa structure.
Nous redistribuons énormément, mais n’importe comment, et bien souvent aux plus riches, comme avec le quotient familial, et nous n’arrivons pas à toucher correctement ceux qui ont le plus besoin de la solidarité nationale.
Quand nos politiques les atteignent, c’est pour les enfermer dans des trappes à pauvreté et à survie dans l’assistance, dont aucune sortie n’est plus envisageable pour eux.
Le parallèle saute aux yeux : on a pensé résoudre les difficultés de l’Éducation nationale, en doublant son budget, on a vu se développer l’échec scolaire, au même rythme. Il est temps de voir que l’argent ne peut remplacer la compréhension des phénomènes contre lesquels on doit se battre.
Confrontés à une dure réalité, nous avons un devoir d’intelligence, et de cohérence. Ce n’est pas une augmentation des sommes consacrées au social, que la dette rend illusoire, qui peut répondre aux problèmes posés, mais une adaptation de notre dispositif social aux besoins de ceux qui souffrent.
Le système social, qui a été conçu après-guerre, a été construit pour une société qui n’existe plus, il faut donc concevoir ces dispositifs pour la France d’aujourd’hui, si nous voulons les rendre opérationnels et efficaces.
« Notre système crée de nouvelles formes d’inégalités, renforce la précarité, et l’exclusion sociale. »
Il faut remettre à plat, et avoir le courage de repenser ces dispositifs, à partir des mêmes principes, sur lesquels le Conseil National de la Résistance avait reconstruit la République après l’effondrement de la fin des années 30, avec la création de la Sécurité sociale, l’aide aux logement, l’aide sociale à l’enfance, les Allocations familiales. Aujourd’hui l’enjeu est décisif, puisqu’il en va de la survie de notre pacte social et républicain.
Des milliers d’associations essayent d’intervenir pour rendre moins absurde la vie des gens qui sont pris dans les trappes à pauvreté, dans les trappes à chômage, dans tous les dispositifs terribles que ce système désuet génère, et pour lequel ces associations font un travail décisif.
Mais, pour une personne qui sort du mécanisme, dix y entrent dans le même temps. Le non recours aux droits et aux services est devenu un phénomène massif, tant la complexité du millefeuille administratif écarte nos concitoyens les plus démunis des aides ou services auxquels ils ont légitimement droit. Notre système crée de nouvelles formes d’inégalités, renforce la précarité, et l’exclusion sociale.
On ne peut pas, on ne peut plus se reposer sur le seul travail de ces associations aussi méritantes soient-elles. Qui imagine la catastrophe, si elles décidaient d’arrêter, découragées par les coupes budgétaires dont elles sont par ailleurs les premières victimes ?
« L’État doit fixer un calendrier de mise en place des réformes, dans lequel une première étape, importante, est un état des lieux, qui doit être fait avec l’ensemble des acteurs »
Pour redresser cette situation, il faut que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités. Tout d’abord, il faut qu’ils s’engagent au maintien du contrat social français issu de la Résistance. Ensuite, il faut qu’ils s’engagent dans l’adaptation de ce système à la société contemporaine, faute de quoi il implosera, parce qu’il sera toujours plus coûteux et toujours moins efficace. Pour cela il est nécessaire que les pouvoirs publics et que les milliers d’associations locales se rencontrent.
Il est urgent de mettre sur pied de véritables États généraux pour la rénovation du modèle social français.
Nous appelons ici le gouvernement, les collectivités et les communes à agir sans délai. L’État doit fixer un calendrier de mise en place des réformes, dans lequel une première étape, importante, est un état des lieux, qui doit être fait avec l’ensemble des acteurs et donc des États généraux qui devraient se tenir avant 2015, en s’appuyant, notamment, sur les expériences des territoires et de leurs élus.
Nous appelons ici les associations à se rassembler, à se préparer à ces États généraux, à faire remonter des Cahiers de doléances, des propositions, des idées et ainsi montrer aux pouvoirs publics qu’ils peuvent, confiants, s’engager dans cette voie. Car ils auront le soutien de centaines de milliers de Français qui sont engagés aux côtés de ceux qui souffrent. Ils s’engageront aussi aux côtés de l’État, qui n’est pas le seul acteur sur ce terrain, mais qui, seul, a la capacité de restructurer notre modèle.
Mais nous partons de loin sur ce terrain, et l’État y est bien mal placé pour comprendre seul, tant est grande la distance entre les personnes disposant d’un emploi à vie qui sont d’un côté du guichet, la précarité et le désespoir, de ceux qui sont de l’autre.
Par le collectif « Pour des États généraux de la rénovation du modèle social français » : Bouchera Azzouz, présidente fondatrice des Ateliers du Féminisme Populaire (ancienne Secrétaire générale de Ni Putes Ni Soumises) ; Stéphane Gemmani, président fondateur du Samu Social de Grenoble, élu à la ville de Grenoble en charge de l’accessibilité, la prévention et la préconisation sociale ; Gilles Casanova, militant et responsable politique.
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