Après les déboires du groupe Lejaby, les quelques employées qui ont monté les Atelières, société spécialisée dans l’assemblage de lingerie haut-de-gamme, démarrent leur production ce lundi à Villeurbanne. Avec une vocation claire : prendre le créneau du « savoir-faire français », celui-là même qui avait fait l’objet d’une bataille médiatique pendant la campagne présidentielle.
Jérémy El Mlaka/Rue89Lyon
« Le fourreau, je dois le faire en combien de temps ? En tout, pour le montage de la culotte, c’est 5 minutes non? ». Dans l’atelier de lingerie-corseterie made in France, les ouvriers (19 femmes et 3 hommes) s’affairent, se lèvent, se donnent des conseils.
A quatre jours de l’ouverture officielle de l’atelier, l’odeur des travaux à peine terminés embaumait encore les lieux, qui arborent des cocardes républicaines pour bien signifier qu’ici, on fait du made in France. Du mobilier arrive encore. L’heure est aux derniers réglages, aux dernières recommandations techniques de Murielle Grandjean, directrice technique :
« C’est moins de 60 secondes pour le montage en fourreau de ta culotte. Pour tout ce qui concerne le temps d’exécution vous aurez un protocole détaillé. »
« Acquérir le geste »
Pour l’instant, tous terminent de s’entraîner. Sur des morceaux bleus de soutien-gorge ou de culottes envoyés par la Maison Lejaby. Mais les artisans n’ont qu’une hâte : commencer le « vrai travail ». Recrutés fin septembre, les ouvriers ont enchaîné trois mois de formation à Sup de Mode Lyon puis au Lycée Adrien Testud de Chambon Feugerolles, dans la Loire (42). Une étape qui a permis de souder le groupe dans lequel on retrouve trois anciennes Lejaby, selon Johan Dampierre, ouvrier, issu de l’univers de la broderie :
« On a eu des bons moments depuis octobre, le groupe s’est tout de suite bien formé. On s’appuie sur les points forts des autres. Les plus expérimentés ont l’œil, le geste ; les jeunes sont parfois plus au point sur les machines, l’électronique. »
Au sein de l’équipe, hétérogène et assez jeune, peu sont issus du monde de la lingerie. Un inconvénient quand on veut être à la pointe de l’assemblage made in France ? Pas du tout, assure Muriel Grandjean :
« On a des univers très variés dans notre groupe. On a l’expérience de personnes issues de la corseterie ou du textile et d’autres qui ont des compétences techniques ou qualité, notamment chez les plus jeunes, qui ont une facilité à s’adapter. C’est l’intérêt d’avoir un groupe soudé. Ils vont pouvoir bouger, se remplacer pour casser la monotonie du travail à la chaîne. ».
Mais pas dans l’immédiat, comme le laisse penser Johan :
« On est censés être polyvalents à terme. Mais là, on a chacun des postes attitrés pour gagner en rapidité et acquérir le geste. On pourra changer, dans l’absolu ».
Jérémy El Mlaka/Rue89Lyon
« Avec le vrai travail ce sera autre chose »
« Groupe soudé », « polyvalence », « casser la monotonie » : des formules qui semblent pour l’instant coller à la réalité des Atelières. Jacqueline Lo a passé 20 ans à la coupe chez Lejaby avant d’être licenciée lors du plan social de février 2012,. Elle en connaît un rayon sur les commandes qui arrivent à la dernière minute. Elle attend donc de voir :
« L’ambiance entre collègues est bonne. Jusque là ça va, mais avec le vrai travail ce sera autre chose. Parfois il y a des urgences, il faut travailler vite, faire des heures sup’. Ca, on le sait quand on a travaillé pendant 20 ans dans un atelier ».
Du côté de Richard Llung, directeur administratif, les arguments sur la bonne entente du groupe sont rodés :
« Dans le monde du travail, il ne faut pas que des conflits gangrènent. S’il y a des frictions, des problèmes, on leur a dit qu’il fallait nous le dire tout de suite. Savoir se parler avec respect est important. Dire « tu as vu, je crois qu’il y a un problème avec ta pièce » vaut mieux que balancer « c’est pourri ce que tu as fait ». C’est ce qu’on va essayer de faire ici, tous ensemble ».
Celui qui occupe par ailleurs une fonction d’élu au sein de l’équipe municipale de Villeurbanne, s’est laissé convaincre par le projet initié par Muriel Pernin, « une amie de très longue date ». Directrice d’une agence de communication axée sur le citoyen, elle aura en charge la stratégie et le développement de l’entreprise.
C’est en « faisant de l’image », une nécessité selon elle, que la directrice générale des Atelières a réussi à fédérer autour du projet avec Laura Gondolfi, chargée du volet formation. Les premiers à l’avoir rejoint ce sont 6 salariés de chez Lejaby qui font aujourd’hui partie des associés-fondateurs de l’entreprise. Parmi eux, 4 travaillent encore chez Maison Lejaby, une est partie à la retraite et une autre, licenciée, a rejoint les Atelières.
Muriel Pernin, explique les Atelières sur France Inter le 27 novembre 2012
Agnès Bouchacourt, assistante administrative chez Lejaby pendant 13 ans qui officiera au poste d’administrative au sein des Atelières, se souvient :
« Au départ, Nicole Mendez (déléguée CFDT toujours en poste chez Maison Lejaby) nous a conviés à une réunion avec Muriel Pernin, très émue de voir ce savoir-faire unique disparaître de France. Je l’ai écoutée, j’ai tout de suite aimé l’entendre raconter l’histoire d’une re-localisation en France, d’un savoir-faire français.
On se rencontrait toutes les semaines et on voyait qu’on commençait à écrire quelque chose pas à pas. Jusqu’au 18 juin où on a eu l’idée de lancer un appel au don (…). La dernière fois que Muriel est passée sur une radio, ça eu un gros impact. Elle a une façon de raconter l’histoire qui fait qu’on a envie de s’y raccrocher ».
Profitant d’un relais médiatique important, et du tour politique de « l’affaire Lejaby » via un affrontement entre Arnaud Montebourg et Laurent Wauquier sur le terrain du produire français, leur page Facebook « Soutenez nous avec 10 euros » atteint est suivie par plus de 2 800 personnes. En pleine campagne présidentielle, celui qui est depuis devenu ministre du Redressement productif avait fait du « soutien-gorge tricolore » le symbole de la promesse de ré-industrialisation de la France.
Aujourd’hui, la souscription publique s’élève à plus de 80 000 euros. Ensuite sont venus les financements et les premières commandes, explique la directrice.
Jérémy El Mlaka/Rue89Lyon
Maison Lejaby Couture : partenaire particulier
« Nous avons trois commandes ferme. Pour la première, celle de Maison Lejaby ce sera environ 5 000 pièces. Nous avons d’autres propositions commerciales mais nous attendons le 14 janvier et le début de la production pour relancer. »
La situation peut paraître cocasse. Le premier contrat passé aux Atelières, peut-être le plus déterminant, est une commande de Maison Lejaby, propriété d’Alain Prost qui a repris le site Lejaby de Rillieux-la-Pape en ne maintenant que 192 des 330 emplois. Pas si étrange que ça, selon Agnès Bouchacourt :
« Alain Prost a récupéré ce qu’il pouvait et il est très attaché à la qualité du produit. Par contre j’en veux aux autres. A Palmers (le dernier actionnaire de Lejaby, ndlr) qui lui, était surtout attaché aux finances et nous a fait un beau coup de bluff : deux plans sociaux en deux ans. Et puis les clients ne se retrouvaient plus dans les produits Lejaby qui avaient perdu en qualité. »
Avec Alain Prost, l’objectif est que le haut, et même le moyen-de-gamme retrouvent leur lettres de noblesse. En 2012, il a même embauché 20 nouveaux salariés. Jeudi 17 janvier, il présentera « Renaissance », la nouvelle collection de Maison Lejaby. Les Atelières, elles, participeront pour partie à l’assemblage des pièces d’une collection. C’est cette volonté commune d’une lingerie 100 % française qui serait à la base du partenariat noué entre les deux sociétés, selon Jacqueline :
« Monsieur Prost voulait créer un atelier Made in France mais il n’a pas trouvé suffisamment d’ouvrières spécialisées. Celles d’Yssingeaux n’étaient pas disponibles. Muriel [Pernin] voulait faire ça aussi, donc c’est arrivé au bon moment ».
22 ouvriers, 2 ex-Lejaby
Pour monter un atelier d’assemblage haut-de-gamme, encore fallait-il trouver des ouvriers formés pour ça. Une recherche plus difficile que prévue selon Muriel Pernin :
« Au début, on pensait recruter beaucoup d’ouvrières d’Yssingeaux mais le groupe a été repris par un sous-traitant de LVMH pour en faire un atelier de maroquinerie et les salariés ont suivi. A ce moment on s’est demandés s’il ne fallait pas arrêter l’aventure. Mais on a décidé d’organiser un recrutement national, avec l’aide de Pôle emploi et Laura Gondolfi a monté une formation spécifique. »
Si l’activité du site venait à accélérer, il reste un potentiel de recrutement important et les « nouvelles recrues pourront être formées sur place ». Reste que sur les 22 ouvriers, seuls 2 sont des ex-Lejaby.
Résultat, la vocation des Atelières a un peu changé en cours de route, explique Richard Llung :
« On est passé de l’idée de sauvegarder l’emploi à celle d’entreprendre et de créer de l’emploi. On veut prouver que fabriquer en France c’est possible. On attend un chiffre d’affaire d’1,2 million d’euros à la fin de l’année ».
Le management participatif, c’est quoi?
Tout autant que la réussite du projet, c’est sa vocation expérimentale et participative qui est mise en avant. Les Atelières se sont montées en SCIC, une société coopérative d’intérêt collectif. L’intérêt collectif c’est donc, ici, le savoir-faire français. Le côté participatif, lui, correspond à une certaine idée de l’entreprise (l’écart entre le plus haut et le plus bas salaire ne dépasse pas 1 à 3) portée par les 9 associés-fondateurs et fondé sur le dialogue avec les salariés, espère Johan Dampierre :
« Si une décision doit être prise, notamment sur une nouvelle commande alors qu’on a un planning chargé, la direction ne décidera pas seule. Notre décision (celle des salariés) ne sera peut-être pas validée mais au moins, on nous aura posé la question. Ce sont nos emplois aussi et on va s’impliquer pour que l’aventure continue ».
Jérémy El Mlaka/Rue89Lyon
Les ouvriers, payés entre 1 300 euros et 1 500 euros nets par mois, sont tous en CDI et devraient avoir voix au chapitre, selon le principe d’un homme = une voix. Au sein du conseil d’administration, ils forment le collège « savoir-faire » de l’entreprise.
Trois autres collèges y figurent : le collège Institutions publiques (la Région a apporté une subvention de 60 000 euros, la préfecture également et la Caisse des dépôts et des consignations a fait une avance de 80 000 euros en quasi-fonds propres); le collège Investisseurs (une vingtaine de particuliers ont apporté entre 5 000 euros et 20 000 euros chacun pour un total de 185 000 euros). Le dernier collège, et non des moindres dans la forme de société qu’est la SCIC, est celui des associés fondateurs, qui concentre 50 % du pouvoir de décision et en maîtrise l’orientation :
« Beaucoup promeuvent le produire en France ; nous, nous apportons une garantie 100 % français. On est les seuls à relocaliser une activité. En France, à part un atelier au Mans, on est les seuls à faire du façonnage et de l’assemblage de luxe. »
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