En 2006, au moment de la candidature pour obtenir ce label européen prisé de Capitale européenne de la culture, Gérard Collomb, maire PS de Lyon, a semblé n’y croire qu’à moitié. Marseille était vue comme la grande gagnante, d’une part parce que son maire UMP, Jean-Claude Gaudin, le claironnait depuis le début, d’autre part parce que le projet culturel de 2013 collait aussi avec l’ambition de Nicolas Sarkozy, président de la République à l’époque, de fonder une Union pour la Méditerranée (qui a avorté depuis).
Et entre villes vaincues, soyons francs, une pointe d’amertume a motivé les remarques sur la nomination de Bernard Latarjet, administrateur de Radio France entre autres nombreuses casquettes, à la tête du projet : « il n’est pas très bien accueilli à Marseille » ; « ça va être plutôt dur pour lui », etc. Amertume, certes, mais sens de l’observation aussi car, difficile pour cet administrateur âgé de 70 ans, ça l’a été.
Ce que le maître d’oeuvre de Marseille-Provence 2013, en faisant son petit tour des villes de France pour vendre son programme culturel (dont le lancement officiel a lieu ce samedi 12 janvier), n’a pas nié. Lors de son passage à Lyon, Bernard Latarjet n’a esquivé aucune question :
« Il y avait cet affrontement plus ou moins feutré, plus ou moins frontal, entre des acteurs culturels et artistiques du territoire, qui assument au quotidien et dans la difficulté la vie culturelle du territoire, et une équipe de technocrates culturels qui vient on ne sait pas très bien d’où avec beaucoup de moyens a priori, imposer son programme…
Posez la question aux acteurs de Lille (ville qui a été Capitale européenne de la culture en 2004, ndlr), ce choc et ce problème arrivent dans toutes les Capitales. »
Le budget global, divisé entre tous les échelons de la collectivité et quelques investisseurs privés s’élèvent à 92 millions d’euros. Mais en réalité, à 80% environ, Marseille 2013 se fait avec les moyens existants des acteurs existants, rappelle Bernard Latarjet. Pas simple donc, de faire la sélection pour aboutir à 500 projets validés, puis d’en assurer la coordination.
La mauvaise réputation… et la fatigue
« Marseille a une actualité criminelle, violente et corrompue importante, cela ne vous a pas échappé. »
L’équipe de la Capitale 2013 n’a pas l’intention de faire l’impasse dans sa communication sur l’image de la ville de Marseille et son actualité « faits-divers ». Comment le pourrait-elle ? Elle devra toutefois attirer des millions de spectateurs pendant cette année. Une fois le constat fait, et la petite formule rhétorique de Bernard Latarjet (qui voudrait faire « du conflit plus conflictualisé encore »), l’idée est de se pencher sur la programmation concoctée. Riche, foisonnante, cela va sans dire, multiple, quasi quotidienne. Éreintante aussi, selon le directeur :
« Difficile de tenir la distance. Une année c’est long, c’est très long. C’est trop long. Si un jour nous avons un testament à transmettre, c’est ce que nous dirons. D’abord dans la phase de préparation : six ans c’est interminable. Ensuite, mieux vaut faire deux capitales par an. »
Mais c’est bien sur toute l’année 2013 qu’il faudra garder le rythme. La programmation artistique a donc été divisée en trois saisons : hiver, printemps-été, et automne, chacune d’entre elles étant ouverte par un temps fort, une grande expo par exemple, un rendez-vous sur lequel le paquet sera mis en termes de com’.
C’est surtout cet été que Marseille compte accueillir un maximum de public. Là-dessus aussi, le directeur du programme ne veut pas faire dans le lyrique :
« Les autres villes ont raconté n’importe quoi et nous ferons la même chose. »
Impossible de comptabiliser la totalité des personnes qui passeront voir une expo gratuite, se rendront à trois spectacles, etc. Mais s’il faut se fixer des objectifs, l’équipe de Marseille s’appuie sur le chiffre de 5 à 6 millions de visiteurs comptabilisés dans la ville par an, auxquels elle souhaite en ajouter, à l’occasion de la Capitale 2013, 2 millions d’autres.
Pas d’expo Albert Camus mais une eurométropole quand même
La question à été posée clairement à Bernard Latarjet : a-t-il le sentiment de participer au projet politique de création d’une eurométropole dans l’agglo de Marseille ? Question d’autant plus importante que ce dossier de Capitale européenne de la culture a été rythmé par les dissensions entre plusieurs acteurs et les communes entre elles, celles qui doivent un jour former une seule et unique eurométropole. Le point d’orgue de ces conflits, entre Marseille et Aix-en-Provence notamment, a abouti à l’annulation d’une grande exposition Albert Camus dans cette dernière ville. « Le seul échec de ce travail commun », résume Bernard Latarjet.
« En 2006, au lancement de la candidature, il n’était pas question de métropolisation par la loi. Mais Jean-Claude Gaudin qui est à l’origine du projet, lui, voulait que ce projet culturel soit métropolitain, et voulait même associer Nice et Toulon. Nice a été candidate de son côté et Toulon est sortie de la candidature, mais il y avait cette idée.
L’Opéra de Marseille coûte 16 millions d’euros à la Ville chaque année, des charges lourdes pour une ville comme Marseille qui est pauvre et dont les richesses sont périphériques : la métropolisation paraît essentielle. »
Le projet de Marseille2013 est donc bel et bien métropolitain, dans sa gouvernance, dans son financement, dans son programme :
« Ce sont de bons travaux pratiques de métropolisation, concède Bernard Latarjet. Mais ça va être très dur, le passage d’une pratique culturelle à une véritable métropolisation, ce n’est pas si simple. »
A la fin de cette cavalcade, c’est bien une bonne copie qu’il espère rendre. Bernard Latarjet aimerait que, comme celui de Lille, le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille lui dira, en décembre 2013, après la course culturelle : « vous nous avez fait gagner 10 ans ».
Le correspondant du journal Libération qui, ironie du sort, a été longtemps correspondant du même quotidien à Lyon, écrivait sur son blog au moment de sa rentrée de janvier :
« L’année 2013 s’annonce à Marseille importante, passionnante, bouleversante, tentante. Le début d’un virage pour la ville et son agglomération ? Sans doute, mais à quel degré ? 45° ? 90° ? 180° ? 360° (histoire de continuer de foncer gentiment dans le mur) ? »
Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un ancien lyonnais, mais on se pose la même question : le défi est à la hauteur du potentiel de cette ville.
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