Euro-métropole » ne pourrait être aussi qu’une paix des braves entre deux hommes conscients de leurs limites électorales.
A la lecture de l’article « Décentralisation : les Lyonnais ne pourront plus dire qu’ils viennent du 69 », un souvenir m’est revenu en mémoire.
C’était en 2009, à l’orée du printemps. En cette fin d’après-midi, André Vallini organisait une réunion publique dans la petite ville iséroise de Saint-Marcellin. Le président (PS) du conseil général de l’Isère, encore auréolé de son rôle à la tête de la commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau, faisait salle comble sur la réforme territoriale voulue à l’époque par Nicolas Sarkozy.
Membre de la commission ad hoc présidée par l’ancien Premier ministre Edouard Balladur, celui qui faisait encore office de Garde des Sceaux putatifs, en cas de victoire socialiste en 2012, mettait les rieurs de son côté en imitant Balladur. Se réclamant d’un « jacobinisme modéré », il adoptait des thèses départementalistes tout en se gardant des positions extrémistes de certains de ses collègues présidents de Département, alertant à longueur d’affichages sur abribus sur la « suppression » des aides sociales si cet échelon territorial venait à disparaître…
Alors journaliste au Dauphiné Libéré, devant couvrir la réunion, déjà passionné par les questions de découpage et de gouvernance territoriale, je l’interrogeais sur la proposition 8 de la commission Balladur :
« Créer par la loi onze premières métropoles, à compter de 2014, d’autres intercommunalités pouvant ensuite, sur la base du volontariat, accéder à ce statut ».
Selon moi, cette mesure entraînerait forcément la disparition des départements, ou tout au moins la création, dans un premier temps, de « onze départements-croupions » autour de ces grandes métropoles…
Vallini semblait moyennement préoccupé par la question, sans doute, en partie, parce qu’il ne croyait pas vraiment à sa mise en place :
« Cette mesure, c’est quelque chose voulue par les maires de grandes métropoles, comme Gérard Collomb. Il est bien évident qu’elle l’intéresse, comme elle intéresse mon collègue du Rhône Michel Mercier, qui se retrouverait à la tête d’un ensemble rural qui lui serait plus favorable que l’agglomération lyonnaise ».
Nous y voici donc. Le projet de redécoupage présenté à la presse par les deux hommes ne surprendra que ceux qui ne se sont jamais intéressés à la question.
Le souvenir évoqué, arrivent les réflexions.
« Euro-métropole » : une proposition de la commission Balladur exhumée
D’abord, le projet Collomb-Mercier reprend quasiment mot pour mot la proposition de la commission Balladur, le néologisme « euro-métropole » en plus. Malgré la condamnation à mort du conseiller territorial, dont la création était sous-entendue par la proposition 3, par la nouvelle majorité, tout ne semble pas, pour Gérard Collomb, à jeter dans idées émises à l’époque. Après tout pourquoi pas. Souvent il vaut mieux recycler des travaux précédents que de créer de nouveaux « comités Théodule » sur la question, comme autant de couches supplémentaires au millefeuille réglementaire.
Le millefeuille, justement, c’est ce que je dénonçais déjà le 18 avril 2009, sur mon blog des Artisans-Politologues, où les propositions Balladur étaient passées au crible. La proposition Collomb-Mercier suscite davantage de questions qu’elle ne résout de problèmes. Les euro-métropoles seront-elles des mini-départements urbains, ce qui augmentera mécaniquement le nombre de conseils généraux ou structures assimilées ?
Les risques de compliquer un peu plus l’actuel enchevêtrement administratif français sont réels, d’autant plus que l’éventuelle future loi « Lyon Euro-métropole » pourrait ne pas ressembler au « rêve » de MM. Collomb et Mercier, le « lobby départementaliste » restant puissant à l’Assemblée comme au Sénat, où siègent les deux élus. Sans compter le débat sur les transferts de compétence, qui semble tranché entre eux mais pourrait prendre une toute autre tournure dans d’autres parties du pays.
Une solution, que je préconisais en 2009 comme récemment sur Rue89Lyon, serait de faire disparaître les départements au profit de regroupements souples de communes, adaptés aux spécificités locales : métropoles, villes, zones périurbaines, campagnes… Le tout dans le cadre des régions.
La proposition Collomb-Mercier pourrait ne pas faire que des heureux dans la région. L’agglomération lyonnaise, ce n’est pas uniquement le Rhône, mais aussi les marges de certains départements limitrophes : Ain, Isère et Loire. Quels seront les contours de « Lyon Euro-métropole » ? L’actuel Grand Lyon ou la zone métropolitaine associant également Saint-Etienne, Vienne et Bourgoin-Jallieu ? Le duo d’élu a son idée sur la question, mais on sait fort bien que chaque redécoupage entraîne de délicats arbitrages.
Le Rhône, terre de redécoupages
Le redécoupage est une vieille spécialité du Rhône, qui est né d’une bi-départementalisation du Rhône-et-Loire en 1793, suite au soulèvement de Lyon contre la Convention. Les révolutionnaires de quatre-vingt-treize avaient la volonté de réduire l’influence de Lyon. Plus de deux siècles plus tard, l’étalement urbain et périurbain a compliqué ce schéma. Ces cinquante dernières années, les pouvoirs publics répondaient à ce défi par l’adjonction de communes de l’Ain (1967) et de l’Isère (1971).
Des vagues, certes, le projet en fera dans la périphérie de l’ « Euro-métropole ». Mais l’écume se trouve déjà en son cœur. Le duo Collomb-Mercier aura-t-il fait un enfant dans le dos de certains de leurs amis politiques ? Fabienne Lévy, l’une des responsables lyonnaise de l’UDI, dont fait partie Michel Mercier, déclarait, mardi 4 décembre, sur sa page Facebook :
« Je suis choquée non pas des annonces des patrons du CG et du Grand Lyon sur la décentralisation et un département du Rhône découpé avec une franche opposition rural urbain mais de la méthode pour y parvenir : sans jamais demander l’avis des élus! »
La progression mécanique de la gauche
Dernier élément de ce débat qui s’annonce riche : la géographie électorale.
Et comme sur ce blog nous préférons une bonne carte à de longs discours, voici les rapports de force gauche-droite aux cantonales depuis 1958, à Lyon.
Rapports de forces dans les cantons lyonnais depuis 1958
Parce qu’il s’agit bien des cantonales, l’ « Euro-métropole » devant, au moins, modifier la configuration actuelle.
Je ne m’étendrais pas sur Lyon, nous avons déjà examiné les différents découpages et redécoupages de la capitale des Gaules dans un post précédent. Les Lyonnais ne seront pas étonnés en découvrant cette carte : un centre à droite (sauf pour un canton II très hésitant), une première couronne penchant globalement à droite et une périphérie davantage à gauche.
Rapports de forces dans les cantons du Rhône depuis 1958
La situation est différente dans le reste du département. La zone d’influence de la gauche prend une forme semi-radioconcentrique, à l’est d’une ligne Rillieux-Givors. Ses fiefs les plus solides ne sont pas les moins peuplés : Saint-Fons, Vénissieux Nord et Sud, et Villeurbanne Centre et Nord. Ils sont aussi les plus proches de Lyon et marquent au sud une continuité avec le canton XIV qui a toujours élu un socialiste depuis sa création en 1998.
Ce dernier point est important : les redécoupages dus à la progression démographique ont permis à une gauche jusque-là peu implantée (sauf dans une moindre mesure le PCF) d’accroître le nombre de ses conseillers. En 1958, le département, qui n’a eu que des présidents du conseil général de droite et du centre depuis la Libération, compte quatre conseillers de gauche (radicaux mis à part). Trois communistes (Givors, Lyon XII et Villeurbanne) et un UDSR (Neuville-sur-Saône).
Puis les créations de cantons se sont enchaînées, avec souvent des victoires de gauche à la clé :
- Bron (PCF), en 1964, Lyon XIII (PCF), en 1964, Villeurbanne Nord et Sud (SFIO) en 1964.
- Les deux cantons jusque-là isérois de Meyzieu et Saint-Symphorien-d’Ozon, tous deux détenus par la Convention des institutions républicaines, en 1970.
- Rillieux-la-Pape (PS) en 1973.
- Oullins (PS) en 1976.
- Caluire-et-Cuire (UDF), Décines-Charpieu (PS), Saint-Priest (RPR), Vénissieux Nord et Sud (PCF) et Villeurbanne-Centre (PS) en 1982.
- Irigny (UDF), Saint-Fons (PS), Tassin-la-Demi-Lune (UDF), Vaulx-en-Velin (RPR) en 1985.
- Sainte-Foy-lès-Lyon (RPR) en 1988.
- Lyon XIV (PS) en 1998.
- Ecully (UDF), et Gleizé (RPR) en 2001.
Soit, sur vingt-trois créations (le conseil général compte actuellement 54 sièges), quinze gains immédiats pour la gauche.
Que le centre et la droite aient mécaniquement perdu du terrain du fait de l’expansion d’un électorat urbain moins favorable, c’est une évidence. D’ailleurs, la mécanique a brièvement joué en sens inverse en 1982 et 1985, deux scrutins très défavorables aux socialistes, à Saint-Priest et Vaulx-en-Velin.
Ce qui transparaît aussi de ces deux cartes, c’est que la gauche conserve peu de chances de conquérir le département tant que sera en place le mode actuel de scrutin des cantonales, davantage basé sur les territoires que sur la démographie. Gérard Collomb l’a bien compris. Son projet est également un biais, une façon de contrecarrer cet état de fait.
Michel Mercier est également conscient de cet état de fait. Son futur département-croupion promet de rester stable à droite et au centre. Les taches en turquoise clair sur les cantons du nord ne doivent pas faire illusion. Elles sont dues le plus souvent à une implantation ancienne du radicalisme rural sur ces territoires : Anse, Beaujeu, le Bois-d’Oingt pour ne citer qu’eux… En réalité, la gauche n’y a pratiquement eu aucune prise depuis 1958.
En allant plus loin, on peut même considérer que l’ « Euro-métropole » pourrait servir à la gauche de digue contre un éventuel reflux en 2014. Si l’impopularité actuelle du gouvernement devait perdurer jusqu’aux cantonales, ce serait un scénario à la 1982/1985 qui attendrait les socialistes. Combiné à la géographie électorale de la périphérie lyonnaise, il pourrait faire des dégâts. Car les positions de la droite demeurent solides dans l’ouest lyonnais, et la gauche a perdu quelques positions en grande banlieue : Saint-Symphorien-d’Ozon en 1994, Meyzieu en 2011… Sans compter les zones périurbaines où le FN brouille de plus en plus les cartes.
C’est aussi sous l’angle d’une paix des braves maintenant le statu quo électoral qu’il faut considérer le projet Collomb-Mercier.
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