TRIBUNE /
C’est simple : le ticket à 2 € dans les bus, c’est faire passer les plus modestes à la caisse. Le public concerné par ce tarif élevé habite en marge du centre-ville et ne dispose pas de billetterie automatique à proximité de son logement pour acheter des tickets moins chers (1,60 €). Cette tarification vise également les personnes qui ne disposent pas d’abonnement, c’est-à-dire les occasionnels (retraités, étudiants) et les moins insérés socialement.
Enfin, le ticket à 2 € concerne les personnes « de passage » dans l’agglomération, ce qui peut participer à donner une image négative des TC (transports en commun) lyonnais à l’extérieur. Contre la position idéologique, voire morale, de l’augmentation perpétuelle du ticket de bus, et à l’occasion de la journée des transports en commun, dans le cadre de la semaine de la mobilité, voici quelques arguments en faveur de sa gratuité à Lyon.
En route vers la fraude
L’augmentation des tarifs dans les bus s’inscrit à contresens des mesures adoptées par les autres collectivités françaises. Une étude publiée en août 2012 et réalisée par le Groupement des autorités responsables des transports (Gart) et l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) a démontré que les tarifs des TC avaient diminué dans l’ensemble de la France au cours des dix dernières années. Mieux, de nombreuses villes moyennes (Aubagne, Castres, Châteauroux, Compiègne, etc.) se sont lancées dans la gratuité totale de leur réseau, avec réussite !
A Paris, le Stif a récemment décidé d’abolir les frontières des trois zones de tarification le week-end. De nombreux conseils généraux pratiquent des tarifs extrêmement bas (1 € ou 2 € le trajet) au regard des distances parcourues par les usagers. Quel est l’argument du Sytral pour mettre le ticket à 2 € dans les bus ? Permettre une meilleure fluidité du trafic des bus en faisant gagner du temps au chauffeur qui ne rend plus la monnaie. Très bien, la gratuité s’en charge aussi car le chauffeur n’a plus de contrainte de billetterie. Le Sytral avance aussi que les ventes de tickets dans les bus ont diminué de 40 %. Bien évidemment, l’augmentation du prix ayant probablement accentué la fraude !
Les bus gratuits, mais pas le reste
A Lyon, les usagers ne financent que 23 % du budget total du réseau (199 millions d’euros). Plus de 30 % est assuré par le Versement Transport des entreprises, un petit quart par l’emprunt, le reste par les subventions des collectivités et de l’Etat. Une augmentation de quelques euros dans les impôts locaux ne suffirait-il pas à subvenir aux besoins du réseau de bus, notamment si l’on maintient les modes de déplacement lourds (métro, tramway) payants?
Après tout, ce sont les impôts qui payent les autoroutes (Le Tronçon Ouest du périphérique est annoncé à 2,5 milliards d’euros !). Surtout, des alternatives de financement existent. A Barcelone, ce sont les recettes du stationnement automobile qui financent les projets de mobilité durable.
Pourquoi conserver le métro et le tramway payant ?
Ces deux infrastructures ont besoin d’investissements plus importants et la gratuité peut engendrer des problèmes de saturation plus difficiles à résoudre que dans les bus. Un autre argument pertinent contre la gratuité totale est que les populations du centre-ville pourraient alors se détourner de la marche ou du vélo pour prendre les TC sur de courtes distances.
Cet argument est moins convaincant pour les bus puisque, à Lyon, ce moyen de transport concerne essentiellement la périphérie de l’agglomération. De plus, le bus affiche une efficacité (temps/distance parcourue) moins importante que le métro et le tramway. En conservant un tarif sur ces deux modes de déplacement, le Sytral s’assure aussi le maintien de plus de la moitié des recettes provenant des usagers.
« Sortir de son quartier »
De fait, la gratuité des bus peut engendrer des effets positifs en matière d’activités économique et sociale dans les zones périurbaines, notamment dans les quartiers les plus marginalisés. D’une part, les économies réalisées par les personnes modestes ne sont pas négligeables. D’autre part, une meilleure mobilité accroît l’intégration sociale. Elle favorise le retour à l’emploi et incite les habitants à « sortir de leur quartier ». En supprimant la barrière symbolique du ticket, on met un terme aux situations de fraude, premier symbole d’incivilité et de stigmatisation des individus au sein des TC.
Un ouvrage à paraître en septembre retrace l’innovation politique de la gratuité des transports à Aubagne. Il montre comment, en sortant d’une logique tout-marchand, les transports collectifs sont devenus un nouvel espace de sociabilité et de liberté pour les individus. A Aubagne, la gratuité a même convaincu les plus sceptiques.
Moins de voitures…
L’agglomération lyonnaise est aussi l’une des plus polluées de France. Et les transports représentent environ 40 % de cette pollution. En 2011, une étude européenne a montré que la pollution de l’air faisait perdre plusieurs mois d’espérance de vie aux Lyonnais.
Quelles réponses pour améliorer la situation ? La seule solution apportée lors des pics de pollution est de recommander aux enfants et aux personnes âgées de ne pas sortir de chez eux. Et pourtant, la gratuité des bus peut inciter les automobilistes à se déplacer autrement, notamment dans un contexte d’augmentation des prix de l’essence. L’incitation par la gratuité est une approche différente des autres mesures contraignantes pour les automobilistes (stationnement payant, restriction d’accès). Elle serait une mesure complémentaire et appréciée par les automobilistes.
La gratuité, pour « rayonner »
Et si Lyon devenait un exemple européen en matière d’innovation dans les transports et d’écologie grâce à la gratuité du réseau de bus ? En tant que première grande ville à tenter l’expérience, l’agglomération attirerait de nombreux spécialistes, chercheurs, élus et praticiens venus d’ailleurs, contribuant à renforcer le tourisme professionnel et l’attractivité de la ville.
Des entreprises, attirées par la qualité d’un tel service public, pourraient s’installer dans l’agglomération et créer de nouveaux emplois. Lyon pourrait ainsi se repositionner sur la scène européenne et internationale. D’ailleurs, des financements européens ne sont-ils pas attribués aux villes qui innovent en matière de transport et de développement durable ?
Si la gratuité dans les transports fait souvent figure de posture utopique, ces quelques arguments visent à montrer que la question peut sérieusement être envisagée dans une grande agglomération. D’ailleurs, ne faudrait-il pas réaliser des expériences avant de généraliser une telle mesure ? L’expérience pourrait avoir lieu pendant les pics de pollution récurrents de l’agglomération, en février et en juin, afin d’effectuer des études d’impact inédites sur le réseau, l’air et le report modal.
Le but, ici, est d’apporter un contrepoint aux arguments en faveur d’une augmentation perpétuelle des prix des TC. 2 € le ticket, est-ce bien sérieux ?
PAR MAXIME HURE, Enseignant-chercheur, Association P2M et blogueur sur Rue89Lyon (Mobile Home)
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