Reportage
Du bruit. Pas vraiment de brouhaha, mais un léger frémissement occasionné par les activités des élèves. Dans un coin de la salle, à l’abri des stores roulants baissés, un petit blond feuillette un livre. Se faufilant entre les jambes des adultes, un autre s’empare d’un objet non identifié pour les non-initiés et s’installe à une table, tentant d’appréhender la chose. Une autre passe, blouse éclaboussée et pinceau à la main. Va-et-vient. Les “3/6 ans” travaillent.
Sur les étagères, différents outils sont mis à disposition. Quand ils le souhaitent, « au moment qui leur convient », les enfants peuvent utiliser «le matériel». Des enfilades de perles pour apprendre à compter, des lettres rugueuses pour apprendre à lire, des boîtes à conjugaison, des tablettes à géométrie… Les objets ont été pensés par Maria Montessori, première femme à accéder au poste de médecin en Italie, pour « favoriser l’apprentissage par l’expérimentation », et « découvrir des notions abstraites de façon concrète ».
La spécificité Montessori à 500 euros par mois
Chacun est poussé à avancer à son rythme : “sans note ni pression”. Un carnet souligne les objectifs atteints, les obstacles à venir et à franchir. Et pas question de récréation non plus. Les enfants faisant tous une activité différente, “il serait dommage de les couper en plein élan”. Dans le même esprit, les petits de Montessori vont à l’école le mercredi matin. A l’heure où l’on parle de la suppression des notes et de l’évolution des rythmes scolaires, le projet questionne. Une souplesse dans le fonctionnement, mais qui induit aussi le fait de ne pas être affilié à l’Education Nationale.
Mais là où le bât blesse, c’est quand on passe à la caisse. La pédagogie quelque peu idéalisée a un coût, et il est de 500 euros par mois pour un enfant. Petit cadeau, c’est dégressif si une même famille inscrit toute la fratrie. Elvire Arrighi, secrétaire de l’association des parents d’élèves a mis ses deux garçons à Tom Pouce :
“On préfère ne pas être propriétaires mais avoir nos enfants dans cette école. Chaque mois pour les deux nous dépensons 900 euros. Plus qu’un sacrifice nous voyons ça comme un investissement. D’ailleurs à la sortie des classes, il n’y a pas de grosses voitures, personne ne vient là parce que c’est privé et payant. Mais qu’on reste clair, il y a une sélection qui se fait d’elle-même car c’est un sacrifice qu’il faut pouvoir faire.”
Un « gros regret » pour la directrice :
“ Le coût c’est notre talon d’Achille. Nous ne recevons aucune subvention, même après trente ans d’existence. Tout repose donc sur les parents qui font un réel sacrifice mais il s’agit pour eux d’un choix pédagogique. Même chose pour les équipes qui acceptent d’être moins rémunérées que si elles étaient dans l’Education Nationale.”
Pas de Mercedes mais des vélos devant l’école
Ce choix pédagogique est donc impulsé par une démarche intellectuelle des parents. Car inscrire son enfant à Montessori ne va pas de soi : tous les parents ne connaissent ou ne s’intéressent pas aux pédagogies alternatives. Cela implique qu’ils se posent la question du « comment va apprendre mon enfant ». Il faut ensuite faire le pas de sortir du système « classique » et public.
Au quotidien, les parents sont directement intégrés au processus éducatif, ce qui n’est ni une évidence, ni une possibilité dans toutes les familles. Au-delà de la sélection induite par le coût de l’école Montessori, le critère socio-culturel est bien plus prégnant. Est-ce une école pour familles bobos ? Françoise Néri ne souhaite pas que cette image soit collée à son école et au système Montessori, mais ne peut pas apporter de réponse à une sélection, plus qu’économique, culturelle.
Et selon les deux parents d’élèves interrogés, c’est visible devant les portes de l’école :
« A la sortie on ne voit pas de grosses voitures mais des parents qui se déplacent à vélo ou en transport en commun. Ici les habits de marques ça n’existe quasiment pas. Les gens ne viennent pas parce qu’ils ont de l’argent mais parce qu’ils ont fait un choix. »
Le choix de l’apprentissage de l’autonomie et gestion du travail dès trois ans : il s’agit de la théorie sur laquelle a été conçue la pédagogie par Maria Montessori en 1905. Françoise Néri, directrice et fondatrice de l’école Tom-Pouce tient à lever le doute sur l’aspect brouillon que peut avoir une telle méthode d’apprentissage :
« Généralement les enfants sont bons juges de ce qu’ils choisissent. Un outil qu’ils maitrisent déjà, ça va rapidement les ennuyer. La curiosité est naturelle, les enfants ont envie d’apprendre, ils vont donc travailler sur des éléments qui les font avancer sans les mettre en échec.
Et puis il y a une émulation permanente, les petits voient les plus grands faire et veulent réussir les mêmes choses. Et les grands consolident leurs acquis en expliquant et en montrant à leurs petits camarades.»
Dans les écoles Montessori, les classes sont constituées par tranches d’âges : 3-6 ans, 6-9 ans, 9-11 ans, sans compter les « tous petits ». Et pour suivre chaque groupe, on trouve deux éducateurs –car on ne parle pas ici d’enseignants, les éducateurs recevant une formation spécifique dans un institut specialisé– l’un parlant français, l’autre anglais, histoire d’inculquer la langue de Shakespeare dès le plus jeune âge et d’apporter un suivi quasi personnalisé aux élèves. Quasi personnalisé, car les enfants dépassent parfois le nombre de 20 par groupe. « Pas de soucis » : si ce n’est pas l’éducateur qui répond immédiatement à une question, ce sera un camarade. Les plus grands ont d’ailleurs fait de ce principe leur slogan de ce début d’année: « si tu ne sais pas demande, si tu sais partage ».
Dans une classe de 6è « normale », on les prend pour des « bébés »
Quant à l’après, c’est une question que se posent tous les parents. La peur du changement. Anne-Laure Carriere, vice-présidente de l’association des parents d’élèves de l’école explique:
“L’entrée au collège est toujours un cap mais les enfants qui ont reçu une pédagogie Montessori sont des enfants que l’on responsabilise dès le plus jeune âge et à qui l’on donne les clefs pour s’adapter à toute situation. La seule chose qui revient dans la bouche d’élèves tout juste sortis de Montessori c’est de dire qu’en 6ème on les prend pour des bébés.”
Alors pour éviter ce “cap”, ou du moins le repousser jusqu’à l’entrée au lycée, Françoise Néri travaille avec cinq autres écoles alternatives de la Région, à la création d’un collège –classe d’âges 12/15 ans- près d’Ambérieu-en-Bugey. L’établissement qui devrait ouvrir pour la rentrée 2014 sera doté d’un internat. Apprentissage de l’autonomie, again and again.
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