Photo archive – Expulsion du bidonville de la rue Paul Bert, à Lyon, le 3 novembre – Crédit : Bruno Amsellem / Signatures
Par Laurent Burlet et Leïla Piazza (actualisé le vendredi 10 août à 11h30)
Ce vendredi, au petit matin, un squat du 7e arrondissement de Lyon, pourtant bien accepté dans le quartier, devait être expulsé. Une soixantaine de personnes allait à nouveau se retrouver à la rue après plus d’un an d’occupation de cet immeuble qui devrait subir des travaux en 2014.
Sauf que la mobilisation des associations et habitants du quartier a sans doute refroidi les pouvoirs publics. En effet, dès 6h ce vendredi matin, une soixantaine de personnes était présente en bas de l’immeuble. Plus tôt, mercredi, l’association Sans Droit ni Titre avait rencontré le préfet délégué à l’égalité des chances, Alain Marc, pour lui présenter un projet de bail précaire permettant aux habitants de l’immeuble de rester jusqu’au début des travaux.
« S’il nous a reçu c’est surement parce que Manuel Valls a demandé aux préfet de faire de la concertation avec les associations », commente Julien, avant d’ajouter qu’en repartant, « on avait l’impression qu’une porte s’était ouverte ».
A tel point qu’il se murmure, d’après Gilberte Renard du Collectif Roms que jusqu’à jeudi soir encore, des discussions avaient lieu au sein de la préfecture et du Grand Lyon. A 8h30, des applaudissements se font entendre. Un agent du SDIG (service départemental d’information générale – les ex-RG) vient d’annoncer que l’expulsion était annulée « pour aujourd’hui ». Impossible de savoir s’il s’agit d’une annulation définitive. « Soit ils veulent réellement étudier le projet (de bail précaire, ndlr), soit ils ont tout simplement choisi de reporter pour éviter qu’il y ait du monde présent comme aujourd’hui », commente Corinne Iehl, habitante du quartier et membre de l’association Cré’Avenir. En fin de matinée, des membres de l’association Sans Droit ni Titre se sont rendus en préfecture où il leur a été répondu que le préfet n’avait « pas le temps » de les recevoir.
Expulsions en série
Plus tôt dans la semaine, les évacuations de terrains squattés par des Roms de Roumanie se sont multipliées dans l’agglomération lyonnaise, suite à des décisions de justice. Et comme l’avait promis Manuel Valls, le 25 juillet dernier, le préfet du Rhône a envoyé la force publique pour déloger les squatteurs.
De sources associatives, la liste s’allonge :
– Vendredi 3 août déjà, une maison de Saint-Fons a été évacuée par la police de ses neuf occupants.
– Lundi 6 au matin, l’ancien atelier dans le quartier de la Rize à Vaulx-en-Velin était expulsable. Pourtant, les quelque 150 occupants n’ont pas attendu les forces de l’ordre et avaient préféré partir dans la nuit.
– Mardi 7, c’était le tour d’un bidonville de Villeurbanne, installé sur un terrain propriété de la ville, à proximité de l’avenue Salengro. Cette fois, les 90 habitants ont été délogés par les forces de l’ordre. Et ont été expulsés dans la matinée. Dans le calme. Si des contrôles d’identité ont été effectués, aucune OQTF (obligation de quitter le territoire français) n’aurait été distribuée.
Toujours à Villeurbanne, dans des garages de la rue Léon Blum, la cinquantaine d’occupants était partie avant l’arrivée des forces de l’ordre. Seule une famille restait.
L’errance, c’est maintenant
Environ 300 Roms se sont retrouvés sur le trottoir cette semaine. Une fois chassées de leurs habitations de fortune, ces familles SDF n’ont nulle part où aller. Elles doivent se mettre en quête d’un nouveau lieu à squatter.
Car les sans-abri ne peuvent pas compter sur les foyers d’hébergement d’urgence. Comme dans la plupart des grandes villes de France, le dispositif lyonnais mis en place par la préfecture du Rhône affiche complet. Le 8 août, 298 personnes avaient appelé le 115 et se trouvaient sans solution. Ce qui a valu à Baptiste Meneghin, du réseau des professionnels de l’urgence sociale, ce commentaire sur la « politique saisonnière » menée par le gouvernement :
« Les structures ouvertes pour le plan froid sont aujourd’hui toutes fermées. L’Etat héberge l’hiver et maintient à la rue l’été. Et ceux qui avaient trouvé des abris précaires sont expulsés ».
Pour les Roms, trouver un nouveau lieu à squatter n’est pas simple. Se déplaçant en grands groupes familiaux, ils sont rapidement repérés par la police qui les chasse de leur point de chute. Dans les 48 heures suivant une installation illégale, le propriétaire peut en effet directement faire appel à la police pour déloger les occupants. Au-délà, les forces de l’ordre ne pourront intervenir sans une décision de justice.
Cette semaine, selon des témoignages associatifs, dans les heures et les jours qui ont suivi les démantèlements de squats, les familles roms ont connu ce sort. Ainsi, plusieurs personnes délogées mardi, qui avaient trouvé un nouveau refuge à Saint-Fons, ont aussitôt été chassées, raconte Gilberte Renard, une militante associative du collectif Rom.
Idem, ce jeudi 9 août, une soixantaine d’anciens squatteurs de Vaulx-en-Velin ont été délogées jeudi matin « pour des raisons » de sécurité par la police bien qu’ils se seraient installés sur ce terrain de Villeurbanne depuis plus de 48 heures. Ils sont actuellement à proximité du périphérique, sur un autre terrain, et reçoivent régulièrement la visite de la police. Pour l’instant sans conséquence.
Retours « volontaires » en Roumanie
Certains choisissent le retour dans leur pays d’origine. Lors des différents passages de la police de cette semaine, l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) accompagnait les forces de l’ordre pour proposer le versement de 300 euros par adulte et 100 euros par enfant, afin que les familles puissent rentrer « volontairement » dans leur pays. Ce que l’on nomme l’« aide au retour humanitaire ».
Et ce jeudi matin, quatre cars d’une soixantaine de places ont conduit des Roumains vers l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry. Direction la Roumanie par vol charter.
Les associations considèrent que ces retours « volontaires » sont des expulsions du territoire déguisées permettant de « faire du chiffre ».
Selon un militant associatif présent sur les lieux de rendez-vous, il y avait parmi ceux qui prenaient le car, des personnes issues des squats évacués les jours précédents.
« Certains profitent de l’effet d’aubaine et ont promis de revenir à la rentrée », affirme-t-il.
Ce n’est pas le premier charter de ce type. De septembre à décembre 2011, on en a compté quatre et l’ONG Médecins du Monde, estime que depuis le début de la présidence Hollande il y en a eu un le 10 mai et un autre le 5 juillet vers la Roumanie.
A Lyon, le 9 août, des Roms montent dans le car pour un charter en direction de la Roumanie. Crédit : Laurent Burlet
Valls, Sarkozy, même combat ?
Dans une lettre adressée au collectif Romeurope, le 27 mars 2012, le candidat Hollande avait pris position contre la politique de Nicolas Sarkozy en la matière :
« Je souhaite que, lorsqu’un campement insalubre est démantelé, des solutions alternatives soient proposées. On ne peut pas continuer à accepter que des familles soient chassées d’un endroit sans solution. »
Se rappelant cette promesse, le ministère de l’Intérieur a publié un communiqué le 8 août, dans lequel il a affirmé :
« Les préfets ont reçu pour instruction de mener systématiquement un travail de concertation préalable avec les élus locaux et les associations, afin de procéder à un examen approfondi des situations individuelles et de proposer des solutions d’hébergement, prioritairement pour les familles et les personnes les plus vulnérables ».
Pourtant, dans l’agglomération lyonnaise, aucune solution de relogement n’a été proposée cette semaine, même aux familles ayant des enfants en bas âge ni même à l’une des mères expulsées qui venait d’accoucher d’un prématuré. Et les associations se plaignent de ne pas avoir été « concertées » en amont.
Aurélie Neveu, coordinatrice de Médecins du Monde à Lyon « ne voit pas la différence avec l’été dernier » :
« Il n’y a eu ni concertation, ni proposition de relogement. Cet été est comme l’été précédent : on expulse les squats sans relogement, en ne proposant comme solution qu’un « retour volontaire » en Roumanie. Or, on sait pertinemment qu’ils vont revenir en France ».
« C’est dans le droit fil de Sarkozy et Guéant », affirme Gilberte Renard :
« S’ils avaient voulu, ils auraient pu arrêter une politique aussi inhumaine qu’inutile ».
Marie Higelin, une « indignée » de Vaulx-en-Velin, qui aide les Roms du secteur va plus loin. Pour elle, c’est même « pire qu’avant » :
« L’année passée, quand ils se faisaient expulser d’un squat, ils pouvaient au moins trouver un autre endroit pour squatter. Là, dès qu’ils se posent la police arrive et les chasse systématiquement ».
Un changement de discours
Si sur le terrain les associations ne voient pas de grand changement, le propos n’a toutefois plus rien à voir avec celui du discours de Grenoble.
Quelques jours après l’annonce de la poursuite des démantèlements de Manuel Valls, le collectif Romeurope avait été reçu par le cabinet du ministre. Malik Salemkour vice-président de la Ligue des Droits de l’homme et animateur du collectif Romeurope, avait apprécié le changement de discours, dans Libération :
« Durant deux heures et demie de réunion, il n’a jamais été question de délinquance, nous avons parlé de logement, de scolarisation, des mesures transitoires. C’est une rupture de ton considérable par rapport au précédent gouvernement. On n’est plus dans la stigmatisation, on remet le sujet à sa juste proportion ».
Aurélie Neveu de Médecins du Monde « prend note de cette volonté d’ouvrir une réflexion large ».
Dans son communiqué, le ministère a annoncé que feront l’objet d’une réflexion:
– les « conditions de l’aide au retour proposées lors des éloignements des personnes ne remplissant pas les conditions du séjour ».
– les « mesures transitoires », restreignant l’accès au travail des citoyens roumains et bulgares.
– les « expérimentations d’accompagnement sanitaire et de scolarisation des enfants menées dans plusieurs villes de France, en lien avec les collectivités et le milieu associatif [qui] sont en cours d’évaluation». Comme à Lyon, où une centaine de roms a été régularisée discrètement.
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