Rares sont les paisibles retraités provinciaux qui ont dû inquiéter autant le chef de l’Etat à quelques jours du second tour de l’élection présidentielle. Raymond Avrillier, ancien élu de la mairie de Grenoble et militant écologiste de la capitale des Alpes, n’a pas eu besoin de faire partie des cercles parisiens pour provoquer un tressaillement médiatique et politique.
Ses outils ? Une bonne connaissance des procédures – aiguisée par 50 ans de syndicalisme –, l’appui d’organisations militantes – « les copains d’Anticor », salue l’adhérent –et plusieurs années de disponibilité dans l’agenda.
« La fin des privilèges »
En juillet 2009, une information lui met la puce à l’oreille. Le premier rapport de la Cour des comptes sur la présidence de la République indique que l’Elysée a versé 392.228 euros en 2008 pour des sondages OpinionWay parus dans Le Figaro et sur LCI. Ces recours multiples aux sondages questionnent Raymond Avrillier.
Celui qui a hérité de ses parents l’esprit montagnard dans sa double définition, « Celle des habitants de la montagne, et celle de la Révolution française », prend la plume pour déposer une requête au tribunal administratif de Paris.
« J’ai symboliquement initié cette procédure dans la soirée du 4 août 2009. La nuit de la fin des privilèges lors de la Révolution française. Trois ans plus tard, la justice m’a donné raison en considérant que les marchés de sondages et les résultats ne relevaient pas de l’immunité présidentielle. Ils étaient communicables à toute personne qui en fait la demande. »
Que pensez-vous de son mariage avec Carla Bruni ?
Malgré l’ordonnance, l’Elysée tarde à fournir les pièces demandées. Il faut attendre le 28 mars pour que les précieux documents inaccessibles jusqu’alors, lui soient livrés par cartons entiers désormais.
« Ce que révèlent ces documents est ahurissant. Entre 2007 et 2009, la présidence de la République a payé une facture totale de 6.351.238,40 euros de sondages sans la moindre mise en concurrence ni appel d’offre ; dont 3 millions aux sociétés familiales de Patrick Buisson, le conseiller d’extrême droite de Nicolas Sarkozy, sur des questions aussi essentielles que : Que pensez-vous de son mariage avec Carla Bruni ? », s’indigne le militant écologiste en roulant une cigarette qui s’éteindra 100 fois au cours de l’entretien.
Hasard du calendrier combiné à la lenteur administrative, les derniers documents lui sont envoyés le 18 avril dernier. Quelques jours avant les scrutins présidentiels. Raymond Avrillier en fourni la preuve en guise de bonne foi, fier de son coup.
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Tombeur de rois
Son coup, ce n’était pas une première. Le Grenoblois a plus d’une tête à son tableau de chasse. En plus du titre de maire honoraire de Grenoble, ses trois mandats successifs d’adjoint municipal lui ont déjà permis de mettre à mal un autre système corruptif. Dans la capitale des Alpes, le nom de Raymond Avrillier est rarement évoqué sans la précision «Si… tu sais, le tombeur d’Alain Carignon ». En 1994, c’est effectivement lui, le militant écologiste d’opposition, accompagné d’un journaliste de France 3, qui traduit sur papier le système de corruption qui lie l’ancien maire de Grenoble à la société de la Lyonnaise des eaux.
« Il a fallu attendre plus d’un an pour que la justice se saisisse du dossier. Mais en 1996, Alain Carignon est passé du ministère de la Communication à une cellule de la prison de Villefranche-sur-Saône, construite par la Lyonnaise des eaux! », relève avec amusement le tombeur de rois.
Quand on l’interroge sur cette époque, il formule une esquisse de remord vite nuancé :
« Avec le recul, je pense qu’on aurait dû titrer le livre “Un système corruptif” et non pas “Le système Carignon”, puisque tous les notables en profitait et qu’il existait des cas similaires à Montpellier, Marseille ou Paris. Mais c’est navrant de voir qu’un homme condamné pour corruption, abus de biens sociaux, et subornation de témoins, soit aujourd’hui conseiller officieux du Président de la République. »
La gloriole du pécule
D’abord destiné à devenir enseignant comme son père, Raymond Avrillier a finalement consacré près de 20 ans de sa vie à la politique grenobloise, sans grande lumière.
« Ma réussite est d’avoir re-municipalisé l’eau de Grenoble quand j’étais adjoint en charge de l’assainissement. Nous avions permis 90 millions d’euros d’économies aux usagers. La fonction d’un élu est juste de servir l’intérêt général. Mais si on à l’habitude d’inaugurer les constructions, on n’inaugure jamais les économies », plaisante celui qui propose désormais des formations aux élus, comme pour exercer l’enseignement promis.
Tailleur pour dames et messieurs
S’il a duré en politique, il n’est pourtant l’homme d’aucun parti, sinon celui de la petite Association Démocratie Ecologie Solidarité (ADES). Alors on pourrait croire que le thème de la moralisation de la vie politique qui s’est glissé dans la campagne présidentielle hydraterait sa soif de lutte contre la corruption, mais on se tromperait.
« Je réfute les termes de purification, d’assainissement et de moralisation de la vie politique. Je ne suis pas dans un catéchisme centriste ou dans les incantations socialistes. Les outils existent, ils méritent d’être renforcés. Mais tout est déjà en place pour un contrôle par les citoyens et par les élus. La démarche que j’ai effectuée pour les sondages, pourquoi aucun parlementaire ne l’a faite avant moi ? »
Bayrou, Hollande, tous ceux qui ont eu le malheur d’aborder ce thème lors de leur campagne se font tailler un costard aussi finement que Raymond Avriller taille sa moustache. Exceptée peut-être, Eva Joly, qui en plus de ne pas porter de costume, lui a rendu hommage en préambule de son avant-dernier meeting présidentiel à Grenoble.
« Je suis heureuse d’être ici en terre écologiste, qui compte tant de militants de grande qualité et depuis bien longtemps. C’est ici à Grenoble qu’on a mené le combat contre Superphenix, c’est ici qu’on a mené le combat contre la corruption. Je pense naturellement à Raymond Avrillier qui n’a pas arrêté de dénoncer des scandales. Sa dernière réussite concerne les sondages présidentiels. »
Jurisprudence et graffitis
Entre les grands scandales, Raymond Avrillier se fait la main sur de plus petites affaires pour s’accaparer quelques jurisprudences. En décembre 2011, comme pour occuper ses vacances d’hiver, le fin limier procédural entame un nouveau bras de fer avec l’administration. Par curiosité, il sollicite via la Cnil les informations le concernant et qui figurent dans les fichiers intéressant la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique. Mais pour seule réponse, c’est le « Secret Défense » qui lui est opposé. Ni une, ni deux, il dépose une requête auprès du Conseil d’Etat. En novembre de l’année suivante, « la juridiction « enjoint au ministre […] de communiquer les informations sollicitées ».
« D’habitude je me défends toujours seul. Mais dans cette affaire, le parquet a fait appel. Ce qui m’oblige à prendre un avocat sur ma petite retraite », se mord-il les doigts.
Pas suffisant pour le décourager. Raymond Avrillier explique mystérieusement qu’il est « sur un nouveau filon », comme pour exciter notre curiosité. « C’est sur la campagne de 2007 ». Mais nous n’en saurons pas plus.
Et quand on lui demande ce que lui, pense du mariage de Nicolas Sarkozy avec Carla Bruni ?
« Je m’en moque mais je constate que celui qui a opposé la vie privée lors de son mariage était bien plus sensible que ce qu’il dit à l’opinion publique sur cette union », plaisante-t-il en repartant le long des murs tagués du rectorat.
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