En décembre 2011, la communauté urbaine de Lyon, le Grand Lyon, a lancé quatre appels d’offre pour confier aux entreprises privées la collecte des déchets ménagers de Lyon et Villeurbanne. Les 56 communes restantes relèveront de la régie publique.
Pour le Grand Lyon, les équilibres entre privé et public ne seront pas modifiés. Thierry Philip, vice-président du Grand Lyon (PS) chargé de la propreté, explique :
« Aujourd’hui, le privé traite cinq des neufs arrondissements de Lyon, la moitié de Villeurbanne et 44 communes extérieurs. La régie fait le reste. Soit 50% privé et 50% public. Demain, on reste à 50% régie, 50% privé ».
Gérard Collomb détaille la démarche :
« On voulait qu’il y ait le même équilibre public/privé. Car on nous aurait accusés de vouloir privatiser le service. Ou bien dans l’autre sens de tout vouloir municipaliser. Nous avons rendu la concurrence la plus vive possible en faisant en sorte que personne ne connaisse les zones sur lesquelles portent les appels d’offre ».
1/ Contre la « privatisation rampante » de la collecte des déchets
Les syndicats du Grand Lyon, réunis en intersyndicale*, conteste cette vision des choses. Pour eux, il s’agit d’une « privatisation rampante ».
Ils contestent tout d’abord les chiffres fournis par la direction de la propreté. La CGT a fait son calcul. Après l’appel d’offre, la répartition serait précisément de 51,34% pour le privé et de 48,66% pour le public.
Surtout, ils mettent en avant le lot numéro 4. Cet appel d’offre concerne la collecte des déchets mis dans les silos enterrés de l’ensemble de l’agglomération. Certains habitants des communes de Rillieux-la-Pape ou de Neuville-sur-Saône peuvent déjà apporter leurs déchets dans ces immenses poubelles creusées dans le sol. Pour les syndicats, ces silos vont se multiplier, notamment à proximité des grands ensembles.
Conclusion : les entreprises privées vont, à l’avenir, ramasser de plus en plus de déchets.
Sans compter, rajoutent les syndicats, que les entreprises privées possèdent déjà le ramassage des ordures de fin de marchés alimentaires, les corbeilles de rue et une partie du ramassage des feuilles mortes et du tri sélectif.
La secrétaire générale de FO, Myriam Camusso, résume :
« Le Grand Lyon peut dire qu’on reste à 50/50. Mais en réalité on bascule vers le privé. Ce qui laisse mal augurer de la suite ».
2/ Pour ne pas faire de « cadeaux » aux entreprises privées
Pour l’ensemble des syndicats, les tournées les plus rentables, celles du centre-ville, sont confiées au privé.
Le président du Grand Lyon, Gérard Collomb s’inscrit en faux :
« C’est plus dur de ramasser dans le 1er arrondissement que dans les communes extérieures où il n’y a pas les mêmes difficultés de voierie ».
Plus dur mais aussi, certainement, plus rentable, disent les syndicats. Les entreprises privées actuelles qui ramassent les poubelles (pour rappel environ 50% de l’actuelle collecte), comme Sita (Suez Environnement) ou Veolia Propreté, sont payées à la tonne d’ordures collectée. Conclusion, moins elles font de kilomètre, plus elles gagnent d’argent. C’est ce que défend Lotfi Ben Khelifa, secrétaire général de la FNACT-CFTC en prenant deux exemples :
« A Lissieu, il faut faire 92 km pour ramasser 9 tonnes. A Gerland (Lyon 7e), on collecte 19 tonnes pour 18 km. Le privé récupère donc les tournées les plus rentables. D’autant plus que, ces dernières années, elles ont été optimisées ».
3/ L’« exploitation » et le « mauvais service » sont du côté du privé
Les syndicats considèrent également que les entreprises privées « se gavent » en baissant leur coût au détriment des conditions de travail de leurs salariés et du service à la population. Le moyen le plus simple, disent-ils, est de diminuer le nombre d’éboueurs derrière les camions. Pour le « service complet » (qui inclus la sortie des poubelles), ils seraient deux rippeurs dans le privé au lieu de quatre dans le public.
Bref, les éboueurs du privé se feraient clairement exploiter.
Selon Bruno Coudret, le directeur de la propreté du Grand Lyon, une tonne dans le privé coûte 75 euros et 130 euros dans le public. A cette affirmation, les syndicalistes voient rouge. Lotfi Ben Khelifa de la FNACT-CFTC se réfère à une enquête comparative de Que-Choisir paru en octobre 2011 et qui conclue qu’à service comparable, le surcoût des sociétés privées s’élève en moyenne à 12 % pour la collecte :
« Nous ne savons pas quels critères la direction de la propreté prend en compte. Mais s’il faut que le public ressemble au privé, ce serait grave. Heureusement que le public joue son rôle de protection des personnels quand, après 30 ans passés derrière un camion, on peut proposer des solutions de reclassement ».
Au final, ce que redoutent les syndicats, c’est que, dans cinq ans, en 2017, quand il y aura un nouvel appel d’offre, le Grand Lyon décide de confier la totalité de la collecte des déchets au privé, au nom d’un plus faible coût pour la collectivité.
4/ La défense des conditions de travail en second plan
Cette thématique est moins mise en avant par les syndicats qui privilégient plutôt celle de la « défense de l’outil de travail » et de la défense du statut d’« éboueur-fonctionnaire territorial ». Car, disent-ils, si toute la collecte des déchets passe au privé en 2017, ce sera la fin de leur métier.
Cependant, les représentants syndicaux craignent également une dégradation des conditions de travail.
Le « fini-parti » (particularité du métier d’éboueurs qui permet le départ des agents une fois la tournée terminée) est très largement critiqué par les syndicats eux-mêmes pour ses conséquences néfastes sur la santé des éboueurs. Malgré tout, sa suppression prochaine, induite par la réorganisation de la collecte des déchets, inquiète.
Le secrétaire général de la CGT-propreté du Grand Lyon, Djamel Mohamed explique :
« Travailler 35 heures, ce n’est pas travailler 25 heures avec le fini/parti. On le sait. Toutes les études d’ergonomie le montrent. Les éboueurs feront notamment davantage de kilomètres sur un marche-pied derrière le camion. On va être cassé. Sans compter le dangerosité du métier qui va être renforcée ».
Pour faire passer la pilule du changement de tournées, le vice-président à la propreté, Thierry Philip, a annoncé qu’un samedi sur deux ne serait pas travaillé :
« On voulait répondre à une revendication des organisations syndicales qui date de 40 ans qui était de ne pas travailler tous les samedis, et donc de donner un samedi sur deux ».
Djamel Mohamed, de la CGT, n’a pas tout à fait la même vision du samedi de repos. Pour lui, il s’agit « d’un accord de 2003 qui est enfin appliqué ».
5/ Les syndicats veulent une discussion politique
Depuis le 13 février, jour de conseil communautaire, les syndicats ont décidé de passer à la vitesse supérieure. Ils ont distribué leur tract à l’entrée pour interpeller les élus et, surtout, Thierry Philip et Gérard Collomb. Car, disent-ils, un problème de transparence et de dialogue social se pose. Armand Creus de l’UGICT-CGT :
« On n’a pas été réunis en amont du lancement de cet appel d’offre. C’est un problème de respect du dialogue social. Mais c’est aussi un problème de démocratie, car ni les syndicats, ni les élus n’étaient au courant de ces appels d’offres puisqu’ils ne sont pas soumis aux règles de délégation de service public ».
Le vice-président à la propreté, Thierry Philip, justifie cette démarche :
« La direction de la propreté a réuni les syndicats mais après la publication d’un marché. Car on n’a pas le droit de parler d’un marché avant qu’il ne soit publié. C’est la loi. Les syndicats ont été prévenus à la réunion suivante ».
Les syndicalistes en appelaient à Gérard Collomb pour avoir une discussion politique sur la gestion du service public de la collecte des déchets. Ils ont obtenu gain de cause et vont le rencontrer. Le mardi 28 février, se tenaient les premières « prises de paroles » dans les deux principaux dépôts des quelque 500 éboueurs que compte la régie. Lesquels éboueurs, aux dires des représentants syndicaux, voulaient partir en grève immédiatement.
6/ Collomb/syndicats : Chacun campe sur ses positions
Comme on pouvait s’y attendre, la rencontre du 29 février entre l’intersyndicale et le président du Grand Lyon n’a pas permis de faire redescendre la pression. Au contraire, les positions sont en train de se consolider. A la sortie de cette rencontre, chaque partie a tenu à repréciser ses arguments, par communiqués interposés.
D’un côté, Gérard Collomb, a affirmé, au cours d’une conférence de presse qu’il ne reviendrait pas sur les appels d’offre car « il appartient aux élus de déterminer les modalités de la mise en oeuvre de la collecte des ordures » :
« Si toutes les actions du Grand Lyon se décident en Assemblée Générale, je m’en vais et la ville sera bien gérée ».
Entouré par ses directeurs de service, le président du Grand Lyon a répété qu’il n’y a « pas de privatisation de la collecte du Grand Lyon. Son directeur général des services, Benoît Quignon, a voulu faire pièce à l’un des principaux arguments de l’intersyndicale, en affirmant qu’ »il n’y a pas de secteurs plus rentables que d’autres » :
« Sur la partie centrale, on pourrait se dire que les moyens affectés sont plus facilement rentabilisés puisqu’il y a moins de distance à parcourir. Certes mais le service complet nécessite de sortir puis de rentrer les bacs. Cela demande des moyens humains supplémentaires. Nous avons fait le calcul. Globalement, le coût de revient de la prestation est comparable qu’il soit sur le centre ou sur la périphérie car certes il y a moins de rippeurs mais il y a plus kilomètres à parcourir ».
Une bataille de chiffres est engagée. Gérard Collomb espère que la confrontation que les services du Grand Lyon pourront démontrer que « les chiffres sont les bons et qu’il n’y a pas de piège ».
Du côté de l’intersyndicale, on considère toujours que les chiffres fournis sont fantaisistes et on réaffirme que les tournées de Lyon et Villeurbanne sont plus rentables. Djamel Mohamed, de la CGT :
« Il n’y a aucune obligation pour les entreprises privés de mettre 4 rippeurs derrière le camion contrairement à ce qui se pratique pour le service complet en régie. On le constate déjà pour certains quartiers de Villeurbanne : des entreprises ne tournent qu’avec 2 rippeurs ».
Les syndicats demandent toujours une prise de position « politique » de Gérard Collomb en retirant son projet et pas seulement des rencontres « techniques » avec la Direction de la Propreté pour parler de chiffres.
« La balle est dans le camp de Collomb, conclut Lotfi Ben Khelifa, de la FNACT-CFTC. On lui a proposé un échange équitable de territoires, au lieu de la privatisation de Lyon et Villeurbanne ».
Il y a bien peu de chances que le président du Grand Lyon saisisse cette voie de sortie.
Les syndicats le savent. Leur communiqué est d’ailleurs plus affirmatif que la veille : « L’assemblée générale est maintenue pour le 12 mars et nous déposons un préavis de grève pour cette date ».
7/ trois jours avant la grève, les propositions de Collomb jugées insuffisantes
Trois jours avant le début du préavis, lors d’une rencontre le 9 mars, le président du Grand Lyon a finalement fait trois propositions :
- Le Grand Lyon est « prêt à confier à la régie la charge des silos en périphérie ». Cette phrase sibylline est la « proposition » principale faite par Gérard Collomb. Les syndicats considèrent en effet que le lot n°4 qui consiste à confier ces silos enterrés aux entreprises privées est un véritable jackpot pour ces dernières. Car le Grand Lyon développant de plus en plus cette méthode de collecte, les tonnes de déchets vont rapidement grimper. A terme, disaient les syndicats, la fameuse répartition 50/50 entre public et privé allait pencher très fortement en faveur des entreprises, si elles obtenaient les silos enterrés. Gérard Collomb a donc fait un pas significatif en direction des syndicats.
- Un samedi sur deux de repos sera attribué à tout le personnel sans doubler les tournées de collectes du samedi. Pour la première fois, le Grand Lyon parle d’appliquer cet engagement de 2003 sans doubler les rondes. Ce qui signifie aussi un effort financier supplémentaire pour la collectivité. Dix nouveaux postes devraient être créés. Dans le même registre financier, Gérard Collomb a également « proposé » une réduction de plus de moitié du recours à l’intérim pour remplacer les employés absents. Coût de cette proposition : environ 1,5 million d’euros, selon le Grand Lyon.
- Dans cinq ans (en 2017) le Grand Lyon passera un nouveau marché de collecte des déchets. Il y aura un nouveau redécoupage territorial entre la régie et le privé. A cette échéance Lyon et Villeurbanne passeront, en partie, dans le giron de la régie publique.
En d’autres termes, en 2012 Gérard Collomb ne revient pas sur ce que les syndicats appellent une « privatisation » en confiant la totalité du centre de l’agglomération au privé. Mais il veut les rassurer en s’engageant sur l’avenir.
Manifestement, syndicats et éboueurs « de base » n’ont pas fait confiance aux « propositions » de Gérard Collomb et demandent toujours, par la grève, que l’équilibre actuel entre public/privé soit maintenu.
Depuis le déclenchement de la grève, ils n’ont aussi guère apprécié les propos du vice-présidents à la propreté, Thierry Philip déclarant notamment qu’un rippeur débutant gagne 1710 euros. « C’est ce que gagne un agent avec 32 ans d’ancienneté », a précisé l’intersyndicale. Les syndicats ont choisi de durcir le mouvement en déposant un préavis « complémentaire » de grève, portant sur l’octroi de tous les samedis pour les agents de la collecte.
*CGT, UGICT-CGT, FNACT-CFTC, CFDT, FO, FA-FPT, UNSA
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