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Les fouilles à nu illégales continuent en prison

Jugées dégradantes, humiliantes ou attentatoires à la dignité humaine, les fouilles intégrales systématiques ne devraient plus avoir cours dans les prisons françaises depuis la loi pénitentiaire de novembre 2009. Mais rien n’a changé, comme l’a noté le Contrôleur des prisons, dans son rapport rendu public le 22 février. Une seule solution pour les détenus : saisir la Justice.

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Birdy, d’Alan Parker (1984)

Appelons-le Monsieur R. Ce vendredi 24 février, ce détenu incarcéré au centre de détention de Roanne sera représenté par son avocat devant le tribunal administratif de Lyon. Une procédure de référé-suspension pour « faire stopper les fouilles systématiques » dont il est l’objet après chaque parloir.

Comme lui, il sont nombreux à ne plus supporter cette mise à nu devant les surveillants à chaque fois qu’ils ont un parloir ou une relation directe avec le dehors. Certains préfèrent même limiter ces rares contacts familiaux, comme témoigne ce détenu de la prison de Bourg-en-Bresse :

« J’ai annulé un parloir et je vais demander à mon épouse de venir me voir une fois par mois au lieu de tous les quinze jours, pour limiter cette mise à poil systématique. Agé de 72 ans et demi, je trouve ce procédé dégradant. C’est une atteinte à la dignité humaine ».

 

Une poignée de détenus échappent à la fouille

Régulièrement condamnées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour « traitement inhumain ou dégradant », la France a changé l’encadrement de l’usage des fouilles à nu. Désormais, elles ne peuvent plus être systématiques mais adaptées aux nécessités de la sécurité et à la personnalité des personnes détenues », selon la loi pénitentiaire de 2009.
Forts de cette évolution législatives, quelques détenus ont commencé en 2011 a saisir les tribunaux pour ne plus subir de fouilles. Surtout, depuis le mois d’août 2011, l’Observatoire Internationale des Prisons (OIP) a lancé une campagne pour appuyer ces recours individuels. Du centre de détention de Salon-de-Provence (pour lequel a été déposé le premier recours) aux autres taules, le mot passe.

Dans l’immense majorité des cas, les tribunaux ont donné raison aux détenus. Pour Monsieur JP, du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, le juge administratif de Lyon note par exemple dans une ordonnance du 8 février 2012 :

« L’établissement pénitentiaire en cause n’établit pas que sa situation justifierait, pour tous les détenus sans distinction, une fouille corporelle intégrale répétée à la sortie de chaque parloir autorisé ».

Par conséquent, Monsieur JP bénéficie depuis la date de ce jugement de l’absence de fouille. Mais pas les autres.

 

La « stratégie d’évitement » de la pénitentiaire

Depuis un arrêt du Conseil d’Etat du 9 septembre 2011, l’OIP a changé de stratégie, en cherchant à faire sanctionner les réglements intérieurs et autres consignes qui organisent ces fouilles intégrales systématiques. Afin que tous les prisonniers d’un même établissement ne soient plus soumis à cette procédure de sécurité.

Depuis septembre 2011, les directions des prisons de Rennes, Oermingen (Bas-Rhin) et Poitiers-Vivonne ont ainsi été condamnées.
A la suite de ces condamnations, nous aurions voulu savoir si ces prisons ont mis en oeuvre ces décisions de justice. Mais l’administration pénitentiaire ne communique pas sur le sujet.

Selon l’OIP, seul le centre de détention pour femmes de Rennes ne pratiquerait plus ces fouilles à nu de façon systématique. Pour les autres, les pratiques illégales continueraient.

C’est aussi le sens de l’intervention de Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privations de liberté (autrement dit l’autorité indépendante qui contrôle les prisons). Il a placé au coeur de son rapport annuel rendu public le 22 février, cette thématique. Pour lui, l’interprétation d’une circulaire d’avril 2011, a permis de conserver le caractère systématique, ce que confirme un directeur de prison de l’ouest de la France, sous convert d’anonymat à La Croix :

« Concrètement, il suffit que je trouve quelques objets illicites au sein de la prison pour pouvoir recourir à ces fouilles pendant une période de trois mois. À la fin de cette période, il suffit que je fasse une nouvelle prise pour renouveler le dispositif ».

C’est exactement ce qu’a fait le chef d’établissement du centre de détention d’Oermingen en mettant en avant de « récentes et nombreuses découvertes de produits stupéfiants et de téléphones portables » pour justifier de fouilles intégrales du 18 janvier au 18 février 2012. C’est à dire le lendemain du jugement du tribunal administratif de Strasbourg annulant les fouilles intégrales systématiques des détenus à l’issue des parloirs.

 

Cliquer pour accéder à notefouille18022012.pdf

 

Nicolas Ferran, juriste à l’OIP, explique :

« Depuis la multiplication des recours devant les tribunaux, il semble se mettre en place une statégie d’évitement. Une des modalités possibles étant de multiplier les notes de service de courte durée. Le temps que le juge se prononce sur une note en particulier, même si c’est en urgence, une nouvelle note aura été prise ».

 

« Les surveillants ne se laisseront pas faire »

L’administration pénitentiaire freine d’autant plus des quatre fers pour appliquer la loi, que tous les syndicats de surveillants (sauf la CGT) sont vent debout contre la fin des fouilles intégrales systématiques. Au nom de l’efficacité de telles procédures, comme l’explique Pascal Rossignol, le secrétaire général de l’UFAP-UNSA Justice en Rhône-Alpes :

« Supprimer ces fouilles systématiques, c’est dangereux pour la sécurité des surveillants et des détenus eux-mêmes. On prend le risque de faire rentrer des armes. Si on fait des prisons passoires, je ne vois pas l’intérêt de mettre des personnes entre quatre murs pour créer des zones de non-droit ».

Les syndicats de surveillants avancent deux solutions :

  • Une réécriture de la loi. Mais cela ne paraît guère envisageable compte tenu des décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
  • Investir massivement dans des scanners corporels, comme on trouve dans les aéroports.

Le remplacement des fouilles à nu par des scanners corporels a été une solution évoquée lors des débats parlementaires sur la loi pénitentiaire. C’est clairement ce qu’avaient en tête les rapporteurs de la loi en estimant que les équipements de détection « permettront certainement la suppression des fouilles intégrales ».

En ces temps de disette financière, le ministère de la Justice n’aurait investit que dans deux scanners, actuellement en expérimentation.

 

Révolutionner le métier de surveillant ?

Mais la solution ne peut qu’être technique car la fouille à nu est au coeur du métier de surveillant et de leur autorité. Le Contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue en convient dans son dernier rapport :

« Ordonner une fouille, c’est rappeler le pouvoir exorbitant de celui qui l’ordonne. C’est montrer de quel côté se trouve l’autorité; autorité d’autant plus grande que la consigne consiste justement à « désarmer » l’autre, en le rendant vulnérable; autorité d’autant plus générale qu’est elle sans rapport nécessaire avec le comportement mais seulement avec des situations : toute personne détenue provenant d’un parloir passe par la fouille intégrale, qu’elle soit calme ou violente ».

Pour le Contrôleur général des prisons, la solution doit donc passer par un changement des pratiques des surveillants :

« La clé d’un emploi justifié, donc minoritaire, des fouilles intégrales réside dans la manière dont les agents sauront distinguer les véritables fauteurs de trouble (minoritaires) et les autres (…) qui doit passer par une approche attentive et quotidienne de la vie des personnes détenues et par la capacité à régler les tensions qui s’y manifestent ».

 

Aller plus loin

La Justice suspend les fouilles à nu systématiques de la prison de Bourg-en-Bresse


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