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Suicides chez les inspecteurs du travail : un scénario à la France Télécom ?

Les agents de l’inspection du travail étaient appelés à cesser le travail mardi 7 février, suite au suicide de l’un des leurs le 18 janvier dernier. Ils dénoncent un scénario « à la France Télécom » alors qu’ils sont censés être les garants de « la santé et de la sécurité au travail ».

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Grève des Inspecteurs du travail 07 février 2012 Rue89Lyon

Crédits photos : Thomas Francillard

Le 18 janvier dernier, l’inspecteur du travail Romain Lecoustre se pendait à son domicile. Quelques jours plus tard, une large intersyndicale* appelait tous les personnels du ministère du travail à se mettre en grève. Le ministère du Travail a estimé le taux de grévistes à 24,55 %. La France compte 2 190 agents de contrôle dont 767 inspecteurs, soit un agent pour 8 345 salariés.
A Lyon, mardi matin, environ 200 personnes se sont réunies devant le siège de leur direction régionale, la DIRRECTE, à la Tour Suisse de la Part-Dieu (Lyon 3e).
Ils veulent faire reconnaître le suicide de leur collègue comme un « accident de service ». Pas seulement. Ils demandent que soit prise en compte la souffrance au travail. Car chacun se reconnaît dans la situation de Romain.

 

« C’est Romain, ça aurait pu être nous »

Le jour de l’inhumation de Romain Lecoustre, le 24 janvier, des assemblées générales se sont réunies un peu partout en France. A Lyon, les derniers mails envoyés par ce jeune inspecteur du travail du Nord-Pas-de-Calais ont été lus. Nombreux sont ceux qui se sont identifiés à son calvaire.
Marie Pierre Maupoint, inspectrice syndiquée à Sud :

« Cela aurait pu être nous. Les situations qu’il a vécues sont très proches de celles que nous vivons ».

Un des collègues de Romain Lecoustre a publié sur un blog deux mails qu’il avait envoyés après sa tentative de suicide en juin 2011 :

« Côté boulot, je suis arrivé en section et je me suis pris beaucoup la tête sur des gros dossiers. Je dis pas que je suis le meilleur des inspecteurs, mais je ne comptais pas mes heures, je bossais à la maison, le week-end, pendant les congés et quand j’étais dans les murs de la direction départementale c’était pour ressentir cette ambiance de merde, les collègues qui n’allaient pas bien et comme tu le dis justement, les remarques de [« P », la chef de l’époque] sur mes chiffres, sur l’activité de mes contrôleurs et tout et tout. Sauf que ça m’a touché mais que j’ai toujours essayé de rester tête haute et ne rien lâcher. (…)

Je me suis éloigné de mes amis, j’ai commencé à sombrer dans quelque chose qui m’est impossible de décrire. Une forme de dépression que je n’avais connue… Même pas une dépression mais une souffrance, un mal de vivre au travail ».

Il voulait faire reconnaître sa tentative de suicide comme « accident de service ». Ce fut finalement le cas le 3 février, après son suicide. Et ce 7 février, un Comité d’hygiène et de sécurité (CHS) s’est tenu, à Paris, pour statuer sur le lien entre son travail et le suicide.

 

« Schizophrène, l’inspection du travail devient France Télécom »

Selon le ministère du travail cité par Mediapart (payant), sept agents (dont trois inspecteurs du travail) ont mis fin à leurs jours depuis 2007. Le 4 mai 2011, c’est l’inspecteur du travail Luc Beal, secrétaire national du syndicat Snutefe-FSU qui se suicidait.

En région Rhône-Alpes, les agents sont particulièrement remontés puisqu’une enquête du cabinet Technologia, à l’initiative du Comité d’hygiène et sécurité, portant sur l’unité territoriale du Rhône, rendue en 2010, faisait la liste des principaux ingrédients de cette souffrance au travail :

  • Une charge de travail importante. « Les exigences de travail sont conséquentes du fait de fortes contraintes temporelles et d’une forte charge de travail. (…) 60% des agents jugent que leur travail est bousculé ».
  • Un manque de soutien de la hiérarchie. A l’inverse, le rapport juge « le soutien social entre collègues satisfaisant ».
  • Des problèmes de santé, notamment du sommeil. « 63% des agents décrivent des troubles du sommeil en lien avec le travail ».

 

Pour ces agents du Rhône, la réponse de la direction n’a pas été à la hauteur. Ils parlent de « déni » car, de ce rapport, la direction territoriale a déduit seulement un « défaut de communication ».

« On nous a proposé des petits déjeuners où chacun devait se présenter. Pour apprendre à mieux se connaître. On nous apporte des réponses managériales. C’est ce qui s’est passé chez France Télécom », raconte Jean-Michel Bonnet, inspecteur syndiqué à la CGT.

Les agents font volontiers le parallèle avec l’ancienne administration des télécoms où les suicides se sont multipliés en pleine restructuration.

« C’est schizophrène, on a eu à gérer le cas France Télécom. Mais on fait la même chose en connaissance de cause. On est censé mettre en place la prévention des risques psychosociaux dans les entreprises mais nous sommes les premiers à connaître cette souffrance au travail », déclare Ian-Patrick Dufour-Gruenais, inspecteur, également syndiqué à la CGT.

 

« La politique du chiffre = une souffrance éthique »

Les inspecteurs du travail mettent surtout en cause une politique du chiffre qui dénature leur travail. Comme dans la police, ils décrivent une course aux « bâtonnets ». Gilles Gourc, contrôleur du travail, du syndicat CNT :

« Nos objectifs de contrôle ont augmenté de 50% pour l’année 2011 alors que nous sommes en sous-effectif chronique ».

La pression de la hiérarchie se fait plus grande pour mener telle ou telle campagne de contrôle. Gilles Gourc poursuit :

« On fait du quantitatif, comme le contrôle du registre unique du personnel, ça fait un bâtonnet dans les statistiques. Mais on nous dissuade de mener des enquêtes plus longues, comme sur la discrimination syndicale ou le harcèlement moral ».

Conséquence, ils mettent en avant, outre la surcharge de travail, une difficulté à faire leur métier. Gilles Gourc :

« Les demandes qui arrivent à notre bureau ne sont pas celles de la hiérarchie. Du coup, il y a une différence entre ce qu’on veut faire et ce qu’on fait. C’est générateur d’une souffrance éthique ».

Cette difficulté vient s’ajouter à l’absence de reconnaissance de la part des supérieurs, ce qui se concrétise par l’absence de prime :

« Comme Romain, l’ancien directeur départemental du Rhône n’arrêtait pas de nous dire qu’on était mal classé », relate Jean-Michel Bonnet.

 

« On est arrivé à l’os »

Pour faire remonter cette parole, des cahiers de doléances ont été élaborés en 2011. Les 316 pages, mises en ligne, disent comment les agents sont « submergés » ou ramenés à des tâches d’exécutants :

« Je suis agent de catégorie C. Je suis mal payé, mal primé. J’ai eu un poste où j’avais droit à des prises d’initiatives, même à être l’interlocuteur officiel d’autres services de l’Etat. Les nouveaux modes de gestion issus de la RGPP (Réforme générale des politiques publiques) ont fait de moi un agent de saisie, un agent d’exécution ».

Dans le collimateur, la trop fameuse RGPP, pour Réforme générale des politiques publiques. La fusion des services, qui a abouti à la création de la DIRRECTE, a amené une grande désorganisation.
Les agents pointent également le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux : selon les syndicats, moins 55% de fonctionnaires du ministère du travail depuis deux ans et une absence de concours de catégorie C. Pour la première fois, on parle de supprimer une section d’inspection. Une première, disent-ils.

Les demandes des agents, outre la reconnaissance comme « accident de service » sont simples : l’arrêt de la politique du chiffre et des suppressions de postes.

 

“Les risques psychosociaux concernent tout le monde”

Pour porter leurs revendications, ils ont envahi les locaux de la DIRRECTE et ont obtenu une audience auprès du directeur régional, qui a proprement botté en touche : « Nous sommes attristés par ce suicide », nous a déclaré Michel Delarbre.
Pour répondre aux revendications, il a cette formule : « Les risques psychosociaux concernent l’ensemble des entreprises. A la DIRRECTE, il n’y en a pas plus qu’ailleurs ».

Un air déjà entendu du temps de France Télécom, avant que le nombre de suicides n’atteigne des records.
Afin de « préserver la santé et la qualité du service public », les grévistes réunis en assemblée générale, ont adopté une motion appelant à « exercer leur droit de retrait lors des prochains entretiens individuels d’évaluation » pour marquer leur refus de la « politique du chiffre » et de « l’individualisation des relations au travail ».

 

* CGT, CFDT, FO, FSU, Sud, CNT et UNSA


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