« Pas de manifestation concrète pour le moment ». « Nous sommes en pleine réflexion »… Les réponses données par quelques acteurs du numérique susceptibles de parler de l’ouverture des données publiques dans l’agglomération n’ont rien d’excitant, alors que l’opendata est censé être le truc sexy de 2012. A Lyon, le concept des donnés publiques en ligne ressemble à un grand trou vide autour duquel se penchent quelques têtes chercheuses, fascinées par le potentiel et isolées dans leur découverte.
Il y a quelques semaines, Karine Dognin-Sauze, vice-présidente au Grand Lyon et présidente du forum des Interconnectés qui s’est déroulé en décembre dernier, a annoncé la préparation d’un livre blanc sur l’opendata, pour la fin du premier semestre 2012. L’élue semble être allée un peu vite en besogne. Au Grand Lyon, la prudence reste de mise, même si le dossier intéresse « sérieusement ». En réalité, la question se situe encore au niveau des services techniques, qui évaluent l’opportunité d’ouvrir les données, et surtout sous quelle forme.
Philippe Vial directeur adjoint des systèmes d’information à la communauté urbaine, fait le point :
« On est plus dans une logique d’approche qui cible les besoins, ce qui ne veut pas dire qu’on ne va pas donner des infos de façon beaucoup plus générale. »
L’« opendata » tel que le système est présenté, c’est-à-dire une mise en ligne de toutes les données produites par la collectivité, de façon brute, sur un site-plateforme, ne semble pas être le chemin que le Grand Lyon souhaite emprunter. Il serait plutôt une option parmi d’autres.
Philippe Vial explique :
« L’ouverture des données peut prendre la forme de services, d’une mise à disposition soit payante soit pas payante des données par des entreprises, mais avec des contraintes d’usage, de licence, etc. Ce sont sur ces axes-là qu’on travaille aujourd’hui. »
Changement des mentalités et autres gros chantiers
A Nantes, à Rennes, en Saone-et-Loire, on s’est emparé de l’opendata comme d’un sujet structurant pour la vie locale. Arnaud Montebourg, en tant que président du conseil général de Saone-et-Loire, a favorisé la création d’opendata71, un site Internet sur lequel sont publiées les données du département. Notes de frais des élus incluses. Le socialiste s’est saisi de l’opendata pour jouer la carte de la transparence démocratique.
A Lyon, un collectif opendata69 s’est récemment constitué, qui consiste pour le moment en des réunions menées par des professionnels de la communication, du web, de journalistes, issus notamment de l’Atelier des médias, de développeurs, de rares élus… Samy Rabih, membre actif d’opendata69 et développeur au sein de l’agence web O2sources à Lyon, imagine qu’il faudra faire un travail long pour changer les mentalités :
« Aux problématiques techniques et de droit, s’ajoutent celui de la mentalité de l’administration qui cultive le secret et donne parfois le sentiment d’écraser le petit administré. »
Pour le Grand Lyon, la question de l’ouverture de ses données est un casse-tête qui se situe plutôt en bout de chaîne : il ne s’agit pas tant de savoir comment les données pourraient être diffusées que de savoir quel usage il pourrait en être fait.
Les acteurs favorables à l’ouverture des données et la collectivité ne sont pas loin d’être d’accord ; l’état d’esprit est différent. Samy Rabih décrit sa vision ainsi :
« L’opendata vise à ce que la donnée qui est diffusée soit enrichie, voire corrigée. C’est ce qu’on appelle du cross-sourcing. Les utilisateurs peuvent être des améliorateurs. »
Au sein des services techniques du Grand Lyon, on est bien d’accord pour dire que l’opendata, « c’est une philosophie ». Philippe Vial explique :
« Cela veut dire : j’ouvre mes données mais je n’assure pas le contrôle sur l’utilisation de ces données. On a peut-être intérêt à utiliser d’autres moyens que l’opendata pour ouvrir nos données, des moyens qui ne risquent pas d’aller à l’encontre de la mise en place des stratégies politiques publiques. »
Damien Clauzel, membre du Parti Pirate, spécialement sensible aux questions numériques, mais aussi de surveillance et d’information sur Internet, a intégré opendata69 mais son travail est entamé depuis quelques temps déjà avec, notamment, le Laboratoire ouvert lyonnais (LOL) :
« L’intérêt des administrations pour les données ouvertes est fort. En partie parce que cela devient obligatoire et qu’elles doivent s’y mettre, en partie parce que cela rentre dans le cadre de leur modernisation, et en partie car cela permet (éventuellement) de soutenir l’économie locale.
Mais dès qu’il s’agit de passer à la phase de réalisation, les blocages apparaissent : des élus refusent que les citoyens « mettent le nez dans [leur] bureau », les services juridiques bloquent car ils ont peur de se faire taper (violemment) sur les doigts en cas de publication d’informations personnelles ou confidentielles, les gens réalisent qu’il faut allouer un budget et donc que finalement les données ouvertes ne sont pas si prioritaires que cela, etc. »
Les transports, enjeu numéro 1 à Lyon
Des thématiques spécifiques surgissent toutefois. Philippe Vial l’a lui-même noté :
« La donnée centrale, qui intéresse soit les usagers soit les entreprises, c’est le transport, la mobilité. C’est une donnée extrêmement importante, on travaille sur une façon de mettre à disposition ces infos, avec des règles d’usage, des règles d’utilisation, au travers de licences à mettre en place. Cela ne peut pas se faire n’importe comment. »
Le Sytral, autorité organisatrice des transports en commun à Lyon, est pour le moment peu loquace. Parce qu’en cours de réflexion. Marion Vézine, chargée des nouvelles technologies d’information voyageurs, au sein du service communication du syndicat mixte, résume :
« Aujourd’hui pour le Sytral c’est trop tôt pour parler d’une stratégie sur l’ouverture de nos données. On est en cours de benchmark sur ce qui se fait dans d’autres villes. On participe à un groupe de travail sur l’opendata, au sein du Gart (groupement des autorités responsables de transports publics). Tout le monde y réfléchit, se pose des questions, c’est un sujet d’actualité, c’est évident. »
Samy Rabih ne peut que comparer, lui aussi, avec ce qui se fait ailleurs en France :
« A Rennes, tout est ouvert, tout est déjà utilisable. Ce qui ajoute au sentiment de fermeture que peuvent donner les transports en commun lyonnais. Il y existe peu d’interactions avec le client, il n’y a pas de community managment spécifique. »
Faire des ronds avec l’opendata ?
Le principe de l’opendata représente donc, dans l’idée, une avancée démocratique, mais permettrait aussi de créer, comme le soulignait Damien Clauzel, de l’activité économique. Un nouveau business ? Des petites entreprises, du type start-up (bien que le terme soit quasi mort en même temps que le concept), dédiées à la lecture, au décryptage, à l’utilisation concrète et à la commercialisation de ces infos. Il pourrait s’agir d’une manne à exploiter.
Philippe Vial reste dans l’idée que la collectivité doit garder un contrôle sur le principe des données ouvertes :
« Si on veut que des sociétés développent de nouveaux services, des applications, à partir des données qu’on va mettre à disposition, encore faut-il s’assurer qu’elles soient fiables dans la durée, que des modèles économiques se présentent comme étant acceptables, et qu’il y ait finalement une vraie dynamique. On a des pistes sérieuses avec des entreprises qui nous ont déjà sollicités, parce qu’elles ont déjà des besoins sur ces questions-là ».
Diffuser des données, oui, mais uniquement quelques unes dans un premier temps, sélectionnées pour des besoins économiques éventuels bien identifiés et structurés. Pas la corne d’abondance.
Romain Blachier, élu PS dans le 7è arrondissement de Lyon, animateur acharné de la blogosphère et membre d’opendata69, concède :
« A Lyon et dans le Grand Lyon la politique numérique doit s’améliorer. On reste dans des choses trop traditionnelles. Sans doute faudrait-il quelqu’un pour s’en occuper… »
De son côté, Samy Rabih tient à ce que le travail d’opendata69 soit dédié pour l’heure à la création de « relations avec les autorités, sur le long terme ». Une mission qui ne vise pas d’objectifs commerciaux. Il en est convaincu, l’opendata pourrait intéresser tout le monde :
« Cela ne concerne pas que des mecs barbus qui veulent développer des trucs informatiques la nuit, en mangeant des chips ».
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