Ce lundi 28 novembre alors que s’ouvrait la conférence internationale sur le climat à Durban (Afrique du Sud), le maire de Lyon et président du Grand Lyon (PS) Gérard Collomb prenait la parole devant un parterre de chefs d’entreprise et d’élus pour présenter le plan d’actions lyonnais pour le climat.
Dans ses propos, il y avait du Jacques Chirac version « Johannesburg 2002 » quand il déclarait : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Pour Gérard Collomb aussi, l’heure est grave si l’on veut éviter une augmentation de 4 degrés de la température de la planète d’ici 2100 :
« Nous pensons que nous sommes à un moment clé de l’histoire de ce monde. Et il faut que nous inversions le cours de ce monde si demain nous ne voulons pas qu’il soit trop tard. C’est aujourd’hui que notre réaction doit avoir lieu. Dans cette nécessité historique, les métropoles ont un rôle particulier à jouer ».
Optimiste, Gérard Collomb a affirmé qu’il était possible d’agir sur l’ensemble des facteurs (entreprises, déplacement, habitat, énergie). Certes, le Grand Lyon, en tant que communauté urbaine, ne peut œuvrer directement ou indirectement, que sur un quart des émissions de l’agglomération.
Mais grâce à son Plan climat déjà signé par 54 partenaires, il estime qu’on atteindra, en 2020, les objectifs européens, déclinés nationalement et localement : moins 20% des gaz à effet de serre (en majorité du dioxyde de carbone – CO2), moins 20% de consommation d’énergie et atteindre une part de 20% d’énergies renouvelables. Le fameux objectif de 3×20 fixé par la Commission européenne en 2007.
Tout le monde ne partage pas l’enthousiasme de Gérard Collomb. Pour Marion Richard, chargée de mission Climat et territoires au sein du Réseau Action Climat (RAC), les efforts importants des collectivités locales butent sur les orientations prises par l’Etat pour lutter contre le réchauffement climatique. Et en la matière le compte n’y est pas.
Pour comprendre les limites étatiques de ce plan climat version lyonnaise, il faut d’abord passer en revue les actions mises en avant pour atteindre les objectifs de 2020.
Collectivités et entreprises, une même « vision partagée » pour réduire le CO2
Le Grand Lyon n’est pas la première agglo à élaborer ce genre de plan en partenariat avec une flopée d’entreprises et de communes. Là où le Grand Lyon innove, c’est dans un scénario précis de réduction 3×20 basé sur les chiffres des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble des acteurs économiques.
Le Vice-président en charge du plan climat, Bruno Charles (Europe-Ecologie/Les Verts) raconte l’anecdote pour montrer le degré de collaboration entre la collectivité et les entreprises :
« Je suis allé voir le Medef en pensant que j’allais me faire jeter. J’ai commencé en leur disant que s’ils ne prenaient pas en compte la contrainte écologique et l’évolution du prix de l’énergie dans vos calculs, ils seraient morts dans dix ans. A ma grande surprise, ils ont été unanimes pour dire qu’ils le savaient mais qu’ils attendaient que le politique donne le cadre et l’impulsion. Ce que nous avons fait avec la conférence climat ».
Le pari des « cleantechs » et de la réhabilitation des bâtiments
Parmi les 173 actions de ce plan climat, les édiles du Grand Lyon ne mettent pas l’accent sur le développement des transports en commun et des modes doux (moins 2% de CO2 prévu en 2020).
Ils misent énormément sur les « cleantechs », ces industries censées être davantage respectueuses de l’environnement (alors qu’aucun chiffrage n’a été réalisé en matière de réduction de CO2). Gérard Collomb n’a que ce mot à la bouche et met en avant deux projets.
- L’institut de recherche Indeed porté principalement par l’Institut Français du Pétrole (IFJ), implanté dans la Vallée de la chimie. En lien avec l’Université de Lyon, cet institut ambitionne de développer des « écotechnologies » pour concevoir l’« usine décarbonée du future ».
- Une usine de méthanisation de GDF Suez, générant du gaz à partir de la dégradation du bois, également implantée au sud de Lyon. Cette usine pilote, baptisée GAYA, pourrait être la première concrétisation d’Indeed.
Derrière ces deux projets phares, le vice-président en charge du dossier, estime que l’évolution des prix de l’énergie (pétrole, électricité, gaz) sera déterminante :
« On sait que les prix de l’énergie vont aller en augmentant. Dans nos différents scénarii, on s’est basé sur une augmentation modérée. Les acteurs économiques savent qu’ils vont devoir s’adapter s’ils ne veulent pas mourir ».
Dans le schéma du Grand Lyon, les entreprises devraient être suffisamment incitées par les prix prohibitifs de l’énergie et du carbone pour se décider à faire des travaux de rénovation.
Même logique pour l’immense chantier qu’est la rénovation de l’habitat privé datant d’avant le choc pétrolier. Pour ces véritables passoires énergétiques, le Grand Lyon prévoit d’investir 40 millions d’euros entre 2012 et 2014 (cf. fiche action 4.5) sous forme de garantie d’emprunt aux particuliers. Au total, la collectivité devrait voter en février 2012 une enveloppe de 100 millions d’euros.
Qui va jouer le jeu de la rénovation ?
Bien sûr, le Grand Lyon compte également sur le maintien des dispositifs d’aide de l’Etat (éco prêt à taux zéro ou crédit d’impôt) et sur une forte implication de tous les services de la Communauté urbaine et des communes lyonnaises. Malgré tout, ce plan climat souffre de deux limites.
- Dans le contexte actuel de crise économique, rien ne dit que l’engagement des entreprises va se transformer en actions concrètes. Idem pour les particuliers. D’autant que ces actions devront être très rapidement mises en œuvre pour qu’on ait une chance d’atteindre les 3×20 en 2020.
- Surtout, une récente étude du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED) a montré que les dispositifs mis en place par le Grenelle (réglementation thermique, éco-prêt à taux zéro et crédit d’impôt) ne permettront pas d’atteindre les objectifs que l’Etat s’est fixés : moins 38% de consommation d’énergie dans le bâtiment en 2020, et une division par 4 des émissions de gaz à effet de serre en 2050. Dans le cadre actuel de la loi, on atteindrait seulement un chiffre de moins 8,5% en 2020.
Cela explique que les principales ONG environnementales, réunies au sein du Réseau Action Climat (RAC) demandent une nouvelle fois la mise en place d’une contribution climat-énergie – autrement appelée taxe carbone (qui s’applique également à l’énergie et qui découle d’un prix fixé à la tonne de CO2). Jointe par téléphone à Durban, la chargée de mission Climat et territoires, Marion Richard explique :
« Aujourd’hui, il est évident que les prix de l’énergie vont augmenter, mais personne n’est capable de donner le prix du baril en 2020 et les changements de comportement sont remis au lendemain. La contribution climat-énergie ancre dans les esprits le fait qu’il faut compter sur une augmentation du prix de l’énergie. Elle permet aussi aux acteurs économiques de prévoir leurs investissements sur le long terme, puisqu’ils connaissent dès le départ le coût initial de la tonne de CO2 et son augmentation dans le temps. Enfin, elle complète les instruments réglementaires et fiscaux qui agissent sur le choix des équipements, mais pas sur leur niveau d’utilisation ni la localisation des ménages et des entreprises et la consommation d’énergie liée au transport qui en découle ».
Les énergies renouvelables soumises à la volonté de l’Etat
Comme pour les économies d’énergie, c’est l’Etat qui mène la danse et pas les collectivités. En accordant ou non des aides, il a la possibilité de développer les filières. Or depuis quelques mois, en cherchant à faire des économies, le gouvernement rabote à tout va ce qu’il considère comme des niches fiscales :
- Le crédit d’impôt développement durable pourrait connaître une baisse de 20% si l’article du projet de loi de finance 2012 est confirmé.
- L’éco-prêt à taux zéro n’est pour l’instant pas menacé. Mais les acteurs du logement considèrent que, pour être opérant, son remboursement devrait s’étaler non pas sur 10 ans mais sur 15.
- Sans compter que les tarifs d’achat garantis par EDF de l’électricité de panneaux photovoltaïques diminuent et que la réglementation change de mois en mois. Par ailleurs, l’éolien s’est vu opposer une multitude de contraintes administratives.
Malgré les intentions affichées lors du Grenelle de l’environnement, l’Etat n’est pas moteur en matière de changement de comportements. Par conséquent, les efforts des grandes villes risquent fort d’être entravés.
Parallèlement, les investissements publics d’importance prennent plusieurs années avant d’être opérationnels. Le Grand Lyon va ainsi reprendre la compétence réseau de chaleur pour développer des chaufferies au bois.
Mais la prise de compétence n’interviendra pas avant 2014 et un projet de chaufferie met aujourd’hui cinq ans, en moyen, pour voir le jour. Sans compter la filière bois qu’il va falloir mobiliser pour assurer la livraison de tonnes et de tonnes de bois.
Pour Marion Richard, la conclusion ne fait aucun doute :
« Même avec la meilleure volonté du monde, sans contribution climat énergie, une obligation de rénovation thermique des logements et un changement de gouvernance donnant davantage de compétences et un droit à l’expérimentation aux communautés d’agglomération et urbaines, l’objectif des 3×20 sera compliqué à atteindre sur les grandes villes ».
Rendez-vous est pris pour 2020.
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